Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour examiner la proposition de résolution visant à affirmer le rôle déterminant des territoires pour la réussite d’un accord mondial ambitieux sur le climat.
Il était important que le Sénat siège ce soir pour débattre de ce sujet. Notre assemblée adoptera une position institutionnelle, sur le fondement de l’article 34-1 de la Constitution, concernant les négociations internationales sur le climat et la 21e conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ou COP 21.
Une résolution adoptée par le Sénat constitue un moyen fort, non pas pour créer, à l’instar d’une loi, une nouvelle règle de droit, mais plutôt pour exprimer une position motivée sur une question déterminée.
Porte-parole de tous les signataires de cette proposition de résolution, je tiens à souligner qu’elle est le résultat d’un travail collectif de réflexion et d’écriture au sein de notre groupe de travail sur le suivi des négociations internationales, groupe élargi il y a plusieurs mois sur l’initiative du président Larcher, qui a accompagné et encouragé personnellement tous nos travaux.
Ce texte est véritablement le reflet de la position de l’institution, sa rédaction participative puisant dans les contributions nombreuses et riches de toutes les instances du Sénat, commissions et délégations, et de tous les groupes politiques. Chaque groupe, chaque contributeur représentant sa commission ou sa délégation s’exprimera, ce qui me permettra d’être aussi bref que possible en ne vous dévoilant qu’en substance la teneur de la proposition.
Au travers de ce texte, nous avons tout d’abord cherché à réaffirmer une position ambitieuse dans les négociations. Nous sommes aujourd’hui dans la dernière ligne droite. La pré-COP qui s’est tenue à Paris du 8 au 10 novembre dernier a été plutôt encourageante. Les discussions ont progressé, en particulier sur l’idée d’une réévaluation périodique des engagements, tous les cinq ans par exemple, comme un récent accord franco-chinois le propose et comme les États-Unis semblent l’accepter. Cette idée s’accompagne de la notion fondamentale de non-retour en arrière, et donc d’une progression continue sur tous les engagements.
Pour autant, à deux semaines de l’ouverture de la COP 21, beaucoup de sujets restent ouverts : comment répartir les efforts des pays développés et des pays en développement ? Quelles règles de suivi et de transparence appliquer ? Comment inscrire un objectif de long terme pour l’adaptation ? Faut-il mentionner l’objectif de limiter le réchauffement à 1, 5°C plutôt qu’à 2°C, comme le souhaitent les pays les plus exposés, qui savent pertinemment que le premier degré vient déjà d’être atteint ?
Dans ce contexte incertain, la présente résolution vise à réaffirmer avec force l’ambition qui doit être celle de la France. Il est important de ne pas perdre de vue l’objectif d’un accord contraignant, sachant que seuls les mécanismes de mesures, rapports et vérifications – le dispositif « MRV » – permettront de garantir une bonne mise en œuvre en toute transparence.
Cet accord devra impérativement être universel : s’il doit être équitable, sur la base de responsabilités communes, mais différenciées, et respectueux des capacités de chaque État, tous les pays doivent être mobilisés face au défi planétaire du changement climatique.
L’accord devra enfin être financé ; c’est là véritablement le nœud du problème. L’accord de Copenhague avait vu la création du Fonds vert pour le climat. Toute la question est désormais de l’abonder et de financer la lutte contre le changement climatique à hauteur des engagements pris. Il existe assurément des marges de manœuvre, si, comme la résolution le préconise, les États suppriment progressivement les soutiens publics aux énergies fossiles, qui, je le rappelle, sont de l’ordre de 650 milliards de dollars par an.
Ces trois conditions – un accord contraignant, universel et financé – sont certes exigeantes, mais elles sont incontournables et à la mesure de l’enjeu. L’urgence est bien là ! La COP 21 est probablement un des derniers moments où l’humanité est en capacité d’inverser la tendance. Nous sommes dans une période où nous devons assumer notre responsabilité climatique. Je mesure bien que, comme l’écrit fort justement l’économiste Daniel Cohen, « les sociétés démontrent toujours une capacité étonnamment faible à se projeter dans le futur ». Il ajoute de façon très pertinente que, comme nous le savons tous, « la difficulté de l’action collective, lorsque l’on doit payer des coûts immédiats pour un objectif de long terme, est considérable ».
Pourtant, vous le savez, le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, dresse un constat alarmant. Le climat a certes historiquement toujours connu d’importants changements, mais la période actuelle est la conséquence de plusieurs décennies d’émissions de gaz à effet de serre dans notre atmosphère. Les dérèglements climatiques qui en résultent ont commencé d’avoir des effets dévastateurs. Tous les États, tous les individus seront touchés, mais tous ne le seront pas également : le changement climatique frappera plus fortement les pays en développement, généralement plus exposés et plus vulnérables, et l’impact sera également différencié au sein de chaque pays, car les plus faibles, les plus démunis et, parmi eux, les femmes, du fait de leur plus grande pauvreté dans le monde, seront le plus fortement touchés.
D’une manière générale, le changement climatique aura pour effet d’aggraver les inégalités existantes. Il aggravera également les migrations de populations, et la question des déplacés environnementaux, d’une actualité brûlante, sera bien entendu un des points à évoquer dans l’accord de Paris. Comme l’écrit très bien l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, « réduire notre empreinte carbone n’est pas une simple nécessité environnementale, c’est le plus grand chantier de défense des droits de l’homme de notre époque ».
Devant cette situation, l’objet de la résolution que nous examinons aujourd’hui est d’affirmer le rôle déterminant des territoires pour nous, sénateurs de la République française. L’article 24 de la Constitution nous confère ce rôle, en disposant que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République, c’est-à-dire à la fois des territoires et des collectivités qui administrent ces territoires.
Ce rôle est déterminant, parce que les territoires sont en première ligne face aux effets du changement climatique. Ils sont un échelon fondamental pour la compréhension des phénomènes à l’œuvre. Ce sont les territoires dans leur grande diversité, qu’il s’agisse de villes, de villages, de zones littorales ou de montagne, qui se trouvent confrontés aux catastrophes naturelles, à la montée des eaux, aux inondations, à l’érosion des côtes ou encore à la pollution de l’air. L’évaluation des mesures d’adaptation à prendre viendra du terrain.
Mais les territoires ne sont pas qu’un échelon important pour la compréhension du phénomène, ou seulement les victimes de ces changements climatiques ; ils sont aussi et avant tout l’échelon pertinent pour y répondre.
À ce titre, la situation des territoires ultramarins français est unique et particulièrement remarquable. Ils sont présents dans toutes les zones géographiques, climatiques et océanographiques. Ils illustrent la diversité des effets du changement climatique : la menace s’exerce déjà très concrètement dans ces territoires, avec une fréquence accrue des épisodes météorologiques extrêmes, l’élévation de la température et du niveau des océans, la raréfaction de la ressource en eau ou encore la prolifération des espèces invasives, qui pose problème d’un point de vue sanitaire, mais également pour l’agriculture et la préservation de la biodiversité.
Ce stress climatique a conduit à une prise de conscience très rapide des collectivités et des acteurs locaux. Nos outre-mer sont aujourd’hui une véritable vitrine des réponses que l’on peut apporter à ces dérèglements, comme nous avons essayé de le mettre en évidence, Jacques Cornano et moi-même, dans un récent rapport pour la délégation à l’outre-mer élaboré dans le cadre du travail collectif évoqué au début de mon intervention. Les initiatives sont nombreuses, depuis la restauration des récifs coralliens et des mangroves jusqu’au bon fonctionnement des océans par l’adaptation et le renforcement de la résilience des écosystèmes, en passant par la mise en place de nouveaux modèles agricoles ou le développement des énergies renouvelables.
La proposition de résolution met donc en avant l’atout formidable que constituent pour la France les outre-mer, à la fois caisses de résonance du changement climatique et laboratoires des politiques innovantes à mettre en œuvre, non seulement chez nous, mais aussi bien sûr plus largement dans les pays de la Caraïbe et ceux des océans Indien ou Pacifique.
Plus globalement, et c’est là le sens de cette proposition de résolution, les territoires et les collectivités qui les représentent sont et seront longtemps les acteurs décisifs de la lutte contre le changement climatique. La COP 21 traduit à ce titre une prise de conscience : contrairement aux précédents accords climatiques, l’accord de Paris consistera d’une part en un accord international rassemblant les engagements des États, d’autre part en un agenda des solutions s’appuyant sur les initiatives des territoires et devant servir de « boîte à outils » pour mener des politiques d’adaptation partout dans le monde. Le programme des Nations unies pour l’environnement, le PNUE, estime d’ailleurs que 70 % des actions pour le climat doivent être menées à l’échelle locale, au plus près des citoyens.
Alors que les négociations internationales ont parfois tendance à s’enliser, les collectivités mettent déjà en place de nombreuses actions, tant d’atténuation que d’adaptation.
Je pense aux nombreuses initiatives concernant la maîtrise de l’urbanisation, le développement des transports collectifs et des mobilités propres, la rénovation thermique des bâtiments, la gestion des déchets ou encore le développement des énergies renouvelables.
Je pense aussi aux initiatives prises pour la lutte contre l’érosion et la défense du trait de côte. Les littoraux sont particulièrement emblématiques dans la lutte contre les dérèglements climatiques, entre préservation de notre patrimoine et valorisation économique. Ils sont depuis des millions d’années le point nodal de la délicate rencontre de la terre et de la mer, et leur attractivité, qui ne se dément pas, nous oblige. Manifester notre ambition climatique pour les littoraux, c’est aussi préserver les océans, dont le rôle est évidemment déterminant dans les phénomènes climatiques. Les collectivités sont également en pointe en matière de coopération décentralisée, assurant des partenariats humains et financiers ainsi que des transferts de technologies et d’ingénierie locale.
Je pense enfin au rôle essentiel des territoires dans la sensibilisation aux enjeux du changement climatique. Au plus proche des habitants, les collectivités sont les mieux à même de relayer le discours éducatif et pédagogique sur les enjeux climatiques et de favoriser ainsi l’appropriation du sujet par tous les citoyens. Cette sensibilisation n’est pas seulement verticale : les collectivités sont aussi les mieux placées pour recueillir les idées innovantes, accompagner les initiatives des habitants et les faire remonter ou les diffuser.
Voilà donc l’objet de la résolution que je vous propose, en mon nom et en celui de tous nos collègues signataires, d’adopter aujourd’hui. Le dérèglement climatique est certes mondial, mais les solutions sont et seront locales !
Au travers de cette résolution, nous formons le vœu non seulement que la France affirme et mette en avant le rôle des territoires, s’appuie sur eux pour la mise en œuvre des actions d’adaptation, de développement et de financement, mais aussi, plus largement, qu’elle soit véritablement porteuse, dans le cadre de cette 21e conférence des parties, d’un changement de modèle de développement pour ce siècle, libéré du carbone et respectueux de notre planète.