Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment peut-on encore douter du rôle déterminant des territoires dans la lutte contre le changement climatique ? C’est par cette question élémentaire que je souhaite commencer mon intervention.
Le « territoire », notion simple s’il en est, recouvre pourtant deux acceptions. La première – son étymologie nous l’apprend – désigne la terre et ses ressources, dont l’homme ne s’émancipera jamais.
La seconde acception, plus moderne, désigne le territoire sur lequel s’exercent une administration, un pouvoir, une souveraineté. Nous y trouvons la réponse au défi des changements climatiques.
Les pouvoirs publics – État et collectivités territoriales – et, de manière générale, tous les acteurs évoluant sur notre territoire, doivent en effet s’emparer à nouveau des enjeux de son aménagement.
Aménager un territoire, c’est organiser la place de l’homme dans son environnement ; c’est réfléchir à la répartition des lieux de production et des lieux résidentiels ; c’est rationaliser les transports, c’est encadrer l’exploitation des ressources.
Avant de me pencher sur les moyens que nous devrons mobiliser contre le changement climatique, et donc de participer à l’échange que nous propose d’avoir notre collègue Jérôme Bignon, il me faut revenir sur le postulat de départ auquel, ensemble, nous devons souscrire.
La période 1983-2012 fut probablement la période de trente années consécutives la plus chaude des 1 400 dernières années dans l’hémisphère Nord. Cette affirmation se trouve en préambule du cinquième rapport du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
Or, si le climat a toujours évolué au gré de causes naturelles plus ou moins prégnantes – activité solaire, variations orbitales de la terre, activité volcanique, déplacement des continents –, nous pouvons affirmer, sur la base d’un large consensus au sein de la communauté scientifique, que les activités humaines, pour la première fois dans l’histoire, participent au changement climatique – ou, pour le dire de façon tout à fait précise, que les activités humaines viennent renforcer un phénomène naturel, avec pour conséquence une accélération du réchauffement des océans et des zones terrestres.
Certes, il est impossible de mesurer la part exacte du réchauffement climatique anthropique dans le phénomène du réchauffement climatique.
Pour autant, nous disposons d’éléments suffisants pour affirmer que les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine participent très largement à ce réchauffement ; il est par conséquent possible, aujourd’hui encore, de le contenir.
Je profite de ces considérations pour dire un mot du niveau de confiance que nous pouvons accorder aux travaux scientifiques conduits par le GIEC.
Ce dernier a dû, par le passé, essuyer de vives critiques, visant sa structure intergouvernementale, mais également le caractère insuffisamment nuancé de ses conclusions.
Le cinquième et dernier rapport du GIEC est plus précis qu’il ne l’a jamais été, chacun de ses résultats faisant l’objet d’une évaluation – certains d’ailleurs s’en trouvant largement pondérés.
Nous pouvons donc nous entendre sur un premier constat simple, qui ne stigmatise aucun pays, aucune industrie, aucun secteur d’activité : l’homme accélère le réchauffement climatique, ses activités causant des rejets de gaz à effet de serre – vapeur d’eau, dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote ou ozone, sans oublier les hydrocarbures halogénés.
À l’augmentation des niveaux d’émission de ces gaz à effet de serre s’ajoute un problème connexe, sans doute plus palpable encore pour nos concitoyens : celui des polluants atmosphériques et de la détérioration de la qualité de l’air.
J’ai eu l’honneur de présider cette année la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, qui a conduit à l’adoption à l’unanimité d’un rapport présenté par ma collègue Leila Aïchi. Notre commission a formulé soixante et une propositions, qui concernent aussi bien l’évaluation et la prévention de la pollution de l’air que les solutions susceptibles d’endiguer ce phénomène.
Mais nous sommes d’abord partis d’un constat édifiant : le coût économique et financier annuel pour la France de la pollution de l’air dépasse les 100 milliards d’euros.
Or, à bien des égards, le phénomène de la pollution atmosphérique doit être analysé concomitamment avec la problématique plus vaste des émissions de gaz à effet de serre. Ces deux phénomènes ont une origine commune, les activités humaines au sens large, avec des responsabilités partagées également par trois secteurs d’activité : les transports, l’industrie et l’agriculture.
Ces secteurs sont à la fois émetteurs de CO2, qui favorise le réchauffement climatique anthropique, et émetteurs de polluants atmosphériques, dont les particules fines, qui ne sont pas sans conséquence sur la santé humaine, certaines étant même cancérigènes.
Les réponses que nos territoires devront apporter au réchauffement climatique auront donc un certain nombre de points communs avec celles qu’il faudra apporter à la pollution atmosphérique.
À ce propos, je dirai tout d’abord un mot sur les territoires de nos partenaires internationaux que nous accueillerons à partir du 30 novembre. Je souhaiterais évoquer à cet égard le financement de la lutte contre le changement climatique et, plus particulièrement, les aides que les pays riches ou en transition peuvent apporter aux pays les moins avancés. Pour davantage de précisions, je ne peux que vous recommander la lecture du rapport d’information de nos collègues Fabienne Keller et Yvon Collin au titre évocateur : Financements climat : n’oublions pas les pays les plus pauvres.
Comme mes collègues, je souscris à l’idée selon laquelle il n’y aura pas de lutte efficace contre le changement climatique si nous ne disposons pas d’un outil financier qui permette de mener des actions dans les pays les moins développés. Aujourd’hui, il est quasi impossible de leur demander des efforts tant qu’ils n’auront pas amorcé leur transition économique.
Je ne saurais dire si les 100 milliards de dollars annuels seront absolument suffisants. Je ne saurais pas plus dire si la France, à l’instar d’autres pays développés, possède aujourd’hui les moyens de mener la diplomatie écologique qu’elle espère développer.
Aussi, je souscris à l’idée de trouver des ressources exogènes pour le financement de la lutte contre le changement climatique, ressources qui peuvent être le produit d’une taxe sur les transactions financières, mesure politiquement délicate, ou provenir du marché européen de carbone, dont les potentialités seront plus modestes.
Aussi, et compte tenu des blocages qui subsistent dans les négociations sur ce problème spécifique du financement de la lutte contre le réchauffement climatique dans les pays les moins développés, je ne me prononcerai pas, à cet instant, sur les équilibres financiers qui doivent être trouvés.
Permettez-moi maintenant d’insister sur la situation dans le Pacifique. Je me ferai le porte-parole des préoccupations exprimées par mon collègue Robert Laufoaulu, qui, victime d’un léger malaise, ne pourra pas s’exprimer ce soir.
Confrontées à une montée des eaux, même modérée, de nombreuses îles du Pacifique seront englouties tandis que les autres seront amenées à revoir leur organisation traditionnelle, qui a toujours privilégié la fixation de la population sur les côtes, près des palétuviers pour le ramassage des coquillages, des récifs pour la pêche, des tarodières pour l’alimentation. C’est donc un déplacement important de personnes qu’il faut envisager.
La population de Wallis-et-Futuna est sensibilisée à la montée des eaux, car, si elle a toujours connu des tsunamis et des cyclones, ces phénomènes extrêmes se multiplient. Au cours de ces deux dernières décennies, des côtes ont été inondées, entraînant l’évacuation provisoire de villages. Depuis ces drames, les chefs de villages ont aménagé des accès pour évacuer les habitants dès le déclenchement des sirènes.
Un autre problème menace Wallis-et-Futuna, lié à la question de l’eau douce. La préservation de la nappe phréatique face à la montée du niveau de la mer est quasi impossible. Le secteur primaire sera le premier à en souffrir : les tarodières disparaîtront, l’eau de mer se substituant à l’eau douce. Ainsi, outre le déplacement des populations vers les parties hautes de nos îles, la submersion des côtes aurait des effets dramatiques sur la fragile économie de ces îles océaniennes.
À Wallis comme à Futuna, il existe plusieurs points hauts. Mais que dire de Tuvalu, Kiribati, Marshall, Tokelau, qui sont à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer ? Ces États sont condamnés à disparaître. Face cet engloutissement qui semble inéluctable, Kiribati a ainsi acheté 2 400 hectares de terres à Fidji.
D’autres propositions de rapprochement apparaissent, avec l’idée récurrente que les populations des îles les plus menacées devraient, au nom de la proximité culturelle et géographique, être prioritairement accueillies dans la zone, dans les îles disposant donc de terres en hauteur.
Cette idée, certes généreuse et que nous avons vu germer dans des rapports d’organismes publics français, n’en serait pas moins déstabilisatrice. Nous insistons auprès du Gouvernement pour que la France ne prenne aucun engagement d’accueil de migrants climatiques dans ses collectivités d’outre-mer sans avoir sollicité l’accord préalable desdites collectivités.
Quoi qu’il en soit, les solutions régionales, les rapprochements et les rachats de terres ne sauraient exonérer les grandes nations industrialisées de leurs responsabilités. Les îles et archipels du Pacifique doivent mener ensemble le combat contre l’émission des gaz à effet de serre et tenter de convaincre les pays grands producteurs de CO2 de leur nécessaire solidarité à l’égard d’îles dont ils menacent l’existence même par leur développement économique. La demande de compensation portée par les gouvernants des îles du Pacifique est légitime.
Mais pour que les petits territoires océaniens se fassent entendre face aux géants producteurs de CO2 que sont la Chine, les États-Unis ou l’Inde, ils doivent compter sur l’appui de grands acteurs internationaux comme la France, puissance du Pacifique par le biais de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Wallis-et-Futuna.
La volonté de notre pays de faire réussir la COP 21 à Paris à la fin de l’année est un atout sur lequel les îles océaniennes doivent s’appuyer pour faire comprendre au monde que la montée des océans concerne toute l’humanité, car, si rien n’était fait, ce qui menace les îles du Pacifique aujourd’hui pourrait menacer demain bien d’autres régions du monde.
Un mot enfin sur nos territoires de la France métropolitaine et sur le retour d’une véritable politique publique d’aménagement du territoire, chose que nous ne connaissons plus depuis un certain temps – depuis l’époque des Trente Glorieuses.
Certes, des réflexions sont menées, des plans ou schémas élaborés et des infrastructures construites. Pour autant, je note que les pouvoirs publics ne veulent pas refonder les paradigmes qui fondent notre politique d’aménagement du territoire. L’apport des nouvelles technologies de l’information et de la communication n’est pas appréhendé. La question du volume des déplacements des personnes est trop marginalisée, lorsqu’elle n’est pas tout simplement ignorée par les véhicules législatifs, qu’il s’agisse des lois Grenelle ou de la loi de transition énergétique. La valorisation des ressources est trop absente de nos réflexions économiques. Enfin, nous ignorons, parce que nous comprenons trop mal cette mondialisation des échanges, que les territoires ont vocation à conserver autant que possible une autonomie énergétique, concept qui ne sera renforcé que par le développement des énergies renouvelables et de l’économie circulaire.
En conclusion, je souscris pleinement à l’esprit qui a présidé à la conduite des travaux de ce groupe de travail sur les négociations climatiques, présidé par notre collègue Jérôme Bignon.
Oui, la diplomatie environnementale est importante !
Oui, il est temps que des mécanismes internationaux de vérification, et même de sanction, soient enfin élaborés !
Oui, il nous faut un accord à Paris pour le 11 décembre !