Intervention de Annick Girardin

Réunion du 16 novembre 2015 à 21h30
Rôle déterminant des territoires pour la réussite d'un accord mondial ambitieux sur le climat — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution

Annick Girardin :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez fait le choix, dans le contexte pesant et dramatique que nous connaissons, celui de ces événements qui ont choqué l’ensemble des Français ainsi que la communauté internationale, de reporter à cette séance du soir, à la suite de la réunion du Congrès, auquel nous avons tous participé, l’examen de la proposition de résolution déposée par M. Jérôme Bignon.

Je veux saluer ce choix, car il montre que rien, et surtout pas la barbarie terroriste, ne peut ébranler les institutions de la République. Tel était le sens du discours, empreint de gravité, du Président de la République devant le Congrès. Malgré le deuil que nous portons tous, malgré la douleur et nos pensées permanentes pour les victimes et leurs familles, la République est debout.

Notre République s’apprête aujourd’hui à accueillir le grand rendez-vous international sur le climat, la COP 21.

Ce grand rendez-vous, bien sûr, se tiendra. C’est le choix du Gouvernement, car c’est une action indispensable pour lutter contre le dérèglement climatique.

La COP 21 se tiendra, accompagnée de mesures de sécurité renforcées afin de protéger l’ensemble des participants et des Franciliens. Tous les membres du Gouvernement concernés évaluent actuellement ce dispositif.

Toutes les mesures nécessaires seront prises pour garantir la sécurité de ce grand rendez-vous.

J’en viens à la proposition de résolution en débat ce soir.

L’étymologie du mot « territoire » place les territoires au cœur des questions d’environnement. La terre, notre planète, est bien l’objet qui nous occupe, alors que quelques jours nous séparent de la COP 21.

La planète, notre maison commune, et ses habitants, les Terriens, se trouvent confrontés – vous le savez et l’avez dit, mesdames, messieurs les sénateurs – à un défi majeur : le dérèglement climatique.

Cette menace pourrait rendre certains territoires inhabitables, au sens propre, par exemple en effaçant de la surface du globe certaines îles du Pacifique et en créant une nouvelle catégorie de réfugiés, les réfugiés climatiques, auxquels nous devrons obligatoirement apporter des réponses.

Cette menace, si elle se concrétise, si nous n’agissons pas, pourrait faire de cette terre qui nous fait vivre grâce à ses richesses, notamment agricoles, un espace inhospitalier, source de conflits et de crises majeures.

La semaine dernière, la Banque mondiale a publié un nouveau rapport, inquiétant.

Ce rapport évalue à 100 millions supplémentaires le nombre de pauvres vivant sur la planète si nous n’agissons pas, c’est-à-dire si nous échouons à limiter le réchauffement en dessous de 2°C.

Face à cette menace, la mobilisation de toutes les énergies sera nécessaire. Dans ce contexte, la résolution que vous proposez, monsieur Bignon, met en lumière le rôle des territoires pour la réussite de l’accord de Paris sur le climat.

Je veux saluer votre choix, qui, loin de se limiter au constat, appelle à l’engagement de tous les territoires pour la réussite de la COP 21.

Les territoires sont en effet en première ligne face au dérèglement climatique. Ce sont leurs élus qui, au quotidien, pensent le développement économique, la protection de l’environnement et le bien-être des populations face aux menaces du climat.

Comme vous l’avez dit, monsieur Poher, ce constat est valable pour la France, en métropole comme dans les outre-mer, où de nombreux territoires font face aux aléas climatiques. Je pense ainsi aux sécheresses qui pèsent sur les revenus des agriculteurs, à la montée des eaux, ou bien encore, dans des moments plus dramatiques, aux pluies diluviennes et aux cyclones qui, trop souvent, provoquent des dégâts majeurs et, malheureusement, des pertes humaines.

Ces phénomènes devraient s’accentuer avec le dérèglement climatique. Les territoires sont donc au cœur d’une mauvaise bande-annonce, celle d’un monde où le chaos climatique s’imposerait.

Dans les pays du Sud, le constat est le même, et parfois encore plus sévère. La pauvreté est en effet une vulnérabilité de plus qui les accable.

Dans les territoires du Sud, qui sont les plus exposés aux conséquences actuelles du dérèglement climatique, alors même qu’ils ont moins pollué que les autres, les élus se démènent pour construire un monde sans carbone et sans pauvreté.

Vous avez raison, monsieur Collin, face à l’érosion côtière au Sénégal, aux menaces de super-typhon aux Philippines, ou encore aux sécheresses à Niamey, au Niger, les territoires du Sud, vulnérables, ont plus que jamais besoin de notre solidarité.

Cette solidarité est l’un des grands enjeux de l’accord de Paris.

Pour la première fois dans l’histoire de ces négociations sur le climat, nous avons l’opportunité d’écrire un accord international qui apporte des réponses concrètes aux victimes du dérèglement climatique.

Nous avons la possibilité d’inscrire l’adaptation, c’est-à-dire toutes les mesures qui peuvent aider nos concitoyens à faire face aux conséquences du changement climatique, tout en haut de notre agenda. C’est aussi ce que nous demandent les pays les plus vulnérables.

L’adaptation, c’est l’une des actions de lutte contre le changement climatique qui ne peut être construite que sur les territoires et avec eux, afin de répondre aux besoins de protection des populations.

Mais le rôle des territoires ne se limite pas à faire office de boucliers face aux conséquences du dérèglement climatique. La proposition de résolution que vous examinez aujourd’hui rappelle leur rôle central dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans la plupart des pays, en effet, c’est au niveau des collectivités territoriales que se déterminent les politiques d’aménagement du territoire, d’urbanisme, d’énergie ou de transports. C’est là que les élus doivent prendre leurs responsabilités et s’engager pleinement dans la réduction des émissions de gaz polluants.

Cette politique a d’ailleurs de nombreux co-bénéfices, qu’il s’agisse de la réduction de la pollution atmosphérique ou, dans les pays du Sud, de l’accès aux bassins d’emplois pour les populations pauvres, rendu possible par le développement des transports en commun.

Ces engagements, ils sont de plus en plus nombreux, et il faut s’en féliciter. C’est notamment pour les territoires que nous avons créé la plateforme NAZCA qui permet de collecter les engagements des territoires du monde entier pour le climat.

Lors du Sommet mondial climat et territoires, qui s’est tenu les 1er et 2 juillet derniers à Lyon, et que j’ai eu le plaisir et l’honneur d’ouvrir, de nombreux engagements très concrets ont été pris.

J’ai notamment été impressionnée par le travail des États fédérés et des collectivités territoriales qui ont lancé la « déclaration pour des territoires en dessous de 2 degrés » dessinant, autour de la Californie, du Bade-Wurtemberg et de la région Rhône-Alpes, les territoires du futur, fonctionnant aux énergies renouvelables et repensant complètement l’aménagement des zones rurales comme urbaines.

Ce rôle central des territoires dans la lutte contre le dérèglement climatique, il mérite reconnaissance et soutien.

La reconnaissance, la France y travaille depuis de nombreuses années en tant que membre du club des pays « amis des villes », sur l’initiative d’un membre de votre assemblée que je salue ici, M. Ronan Dantec.

Nous avons la possibilité, à Paris, lors de la COP 21, de franchir une nouvelle étape dans l’implication des territoires dans les négociations sur le climat.

Nous avons en effet lancé l’an dernier, avec Laurent Fabius et Manuel Pulgar Vidal, le Plan d’action Lima-Paris, qui vise à faire reconnaître pleinement la contribution des acteurs non gouvernementaux dans la lutte contre le dérèglement climatique. Cette reconnaissance, si les parties à la convention climat en conviennent, pourrait être effective dès l’an prochain.

Les territoires seront, bien entendu, à l’honneur de la COP 21, en particulier lors la journée du 4 décembre à l’invitation de la maire de Paris, mais aussi lors de la Journée de l’action pour le climat, le 5 décembre, ou encore le 8 décembre, qui sera largement consacré aux actions et engagements des territoires. De nombreux élus de la ruralité viendront alors présenter leurs engagements. Des alliances, comme celles des provinces du Canada qui ont décidé de travailler avec la Californie et le Mexique pour mettre en place un marché du carbone, seront nouées.

Cette reconnaissance sera une première dans l’histoire de la convention climat. Elle répondra à un grand nombre des propositions contenues dans cette proposition de résolution.

Nous parlions précédemment de l’exemplarité de la France. La ministre de l’écologie, Ségolène Royal, et la ministre du logement, Sylvia Pinel, ont ainsi entrepris une large mobilisation des territoires, dont elles ont rendu compte lors du dernier conseil des ministres.

Certains exemples méritent d’être soulignés.

La France a pour objectif de parvenir à la création de 500 territoires à énergie positive pour la croissance verte.

Au début de 2015, ce sont 212 territoires qui ont été labellisés.

Un appel pour 1 500 projets de méthanisation en trois ans a été lancé en septembre 2014.

Par ailleurs, 58 territoires ont été lauréats, à la fin de 2014, d’un appel à projets pour les territoires « zéro déchet, zéro gaspillage », et un nouvel appel à projets a été annoncé en juin 2015.

Au niveau international, nous avons lancé, avec Laurent Fabius, un appel à projets doté d’un demi-million d’euros pour encourager la solidarité et le partage de compétences sur le climat entre les territoires du Nord et ceux du Sud.

La France est le premier pays au monde à avoir financé, avec l’Agence française de développement, l’AFD, des prêts non souverains pour des collectivités territoriales dans les pays du Sud. Nous avons ainsi mis en place un certain nombre de contraintes afin que 50 %, au moins, de nos actions en faveur des pays du Sud soient climato-compatibles.

Notre ambition est de soutenir d’ici à 2020, au travers d’actions menées avec l’AFD, plus de 100 villes qui souhaitent lutter contre le dérèglement climatique.

La coopération décentralisée est l’une des manières les plus efficaces de démontrer notre solidarité et d’agir pour la planète. C’est d’ailleurs ce qui est attendu de la COP 21 : que l’on agisse concrètement entre 2015 et 2020. Je vous rappelle en effet que le texte que nous allons négocier et l’accord que nous allons conclure seront applicables dès 2020.

Des financements seront nécessaires. La France a, d’ores et déjà, décidé de réformer ses outils. Le Président de la République a ainsi annoncé le rapprochement de l’AFD et de la Caisse des dépôts et consignations, qui permettra d’être davantage « à l’échelle » de la situation.

Le Président de la République a également décidé que 4 milliards d’euros supplémentaires seraient consacrés au renforcement de notre aide au développement, et plus particulièrement aux actions en faveur du climat.

Vous l’avez rappelé, messieurs Bignon, Magras et Guerriau, les territoires d’outre-mer subissent fortement les conséquences du dérèglement climatique. C’est ainsi le cas chez moi, à Saint-Pierre et Miquelon.

Au-delà de leurs problèmes liés au climat, ces territoires sont aussi, vous l’avez dit, une chance pour le monde dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Parce que la Guyane partage la forêt amazonienne avec le Brésil et le Pérou, parce que la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion sont tout autant exposées aux cyclones et aux autres catastrophes climatiques que leurs voisins de la Caraïbe et de l’océan Indien, parce que la Polynésie est solidaire des États atolls du Pacifique, nous avons le devoir de partager notre ambition, mais aussi nos savoir-faire, avec nos voisins.

Les outre-mer sont des laboratoires – certains d’entre vous ont employé ce mot – de la lutte contre le dérèglement climatique, en matière tant d’adaptation que d’atténuation. Ces territoires, dont la générosité n’est plus à démontrer, sont souvent à la pointe en matière d’énergies renouvelables ou de prévention des risques.

Ils représentent donc, pour les petits États insulaires en développement, ce que la France a de plus fort à offrir : la solidarité de l’action, l’unité et la détermination à agir.

Certains des orateurs ont abordé des points spécifiques auxquels je voudrais maintenant répondre.

A été évoquée notamment la question de l’usage du français dans la négociation. En tant que secrétaire d’État à la francophonie, je tiens à dire que je me suis largement impliquée sur ce point. Bien entendu, le texte est négocié en anglais, mais il doit être mis à la disposition de tous en français.

Pour l’avoir vécu à la COP 20, je sais que certains pays francophones souffrent de ne pas pouvoir s’offrir de services de traduction, lesquels sont très onéreux. Les pays les plus vulnérables sont aussi les plus pauvres : ils n’ont tout simplement pas les moyens de payer des traducteurs ou des interprètes.

Pendant la COP 20, j’ai mis mon interprète à la disposition des représentants d’un certain nombre de pays en développement. Pour la COP 21, un système de libre-service d’interprétariat pour les pays francophones les plus vulnérables sera mis en place. C’est indispensable !

Nous devons aussi faire en sorte que le texte soit rapidement disponible en français. Car même s’il est négocié en anglais, il est difficile de donner un avis sur un document que l’on n’a pas lu dans sa langue maternelle.

La société civile a également été un autre sujet abordé.

Avec Laurent Fabius, nous avons régulièrement rencontré les ONG et, plus globalement, la société civile, notamment dans le cadre de la pré-COP. Le Président de la République a fait de même. Avec la Commission nationale du débat public, nous avons organisé le plus grand débat citoyen planétaire, dans plus de soixante pays. Pour la première fois, les actions et engagements de la société civile seront reconnus dans l’accord. Nous avons labellisé plus de 400 événements proposés par celle-ci.

Néanmoins, comme vous le savez, madame Jouanno, car cela avait aussi été le cas à Copenhague, la négociation est organisée par les Nations unies. Lorsqu’un pays demande la confidentialité des débats, les ONG ne sont pas admises dans la salle de réunion. Telle est la règle. La présidence a aussi pour rôle de faire respecter les règles qui sont celles de l’ONU, même si, comme vous, je souhaite que les modalités de fonctionnement des COP puissent être largement revues à l’avenir.

J’en viens à ma dernière remarque, qui porte sur le financement. Oui, monsieur Bignon, nous devons tenir l’engagement des 100 milliards de dollars par année à partir de 2020. D’après l’OCDE, nous en sommes aujourd’hui à 62 milliards de dollars. De son côté, la France passera de 3 à 5 milliards de 2015 à 2020. Pour atteindre l’objectif des 100 milliards de dollars, il faut mobiliser le secteur privé afin qu’il finance l’économie verte. Il faut, bien évidemment, également réorienter les subventions des énergies fossiles vers les énergies renouvelables. Un effort supplémentaire doit être fait pour permettre aux pays pauvres et vulnérables de s’adapter.

Enfin, le Fonds vert, dont on a annoncé qu’il serait abondé à hauteur d’un peu plus de 10 milliards de dollars, doit permettre de financer des projets concrets – actuellement, huit projets ont été approuvés. Je tiens à le dire, les problèmes viennent non pas toujours du financement, mais parfois de difficultés à « monter » les dossiers pouvant être sélectionnés dans le cadre du Fonds vert. Cela ouvre toute une réflexion sur le soutien à apporter aux pays les plus vulnérables.

Pour conclure, les territoires français, la France et son gouvernement sont donc déterminés à réussir cette grande négociation de Paris, c’est-à-dire à parvenir à un accord universel, juridiquement contraignant et ambitieux, qui permette de maintenir le réchauffement climatique en deçà de 1, 5°C à 2°C. Moi qui suis une insulaire, je me permets d’insister sur ce chiffre de 1, 5°C, …

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion