Monsieur le président, vous avez été bien inspiré d'organiser ce déplacement. Le département et les maires ont apprécié que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat vienne sur le terrain se rendre compte de ce qui s'était passé.
J'avais présidé la mission commune d'information qui avait travaillé sur les inondations dans le Var et dans le Sud-Est de la France. Notre mission avait remis ses conclusions, sur le rapport de Pierre-Yves Collombat, le 24 septembre 2012. Plusieurs constats avaient été faits. La conclusion principale était la très grande insuffisance accordée dans notre pays, dans les faits comme dans le discours, à la prévention. Nous ne sommes pas trop mauvais dans la gestion des catastrophes. En amont en revanche, nous souffrons de graves insuffisances.
L'analyse des événements de juin 2010 et de novembre 2011 nous avait également montré qu'il y a deux types de crises : la crise théorique pour laquelle toutes les procédures standard ont été prévues, et la crise exceptionnelle, imprévisible, pour laquelle les procédures ne fonctionnent pas. Dans le cas des inondations d'octobre dernier, au vu du bilan tragique que le président a rappelé, nous étions dans le second cas de figure. Malheureusement, il semble se répéter.
Trois points me semblent fondamentaux : l'alerte, la culture du risque et enfin, la compétence de gestion de l'eau et des milieux aquatiques (GEMAPI).
L'alerte tout d'abord. Samedi 3 octobre, six départements du Sud-Est, dont les Alpes-Maritimes, ont fait l'objet d'une alerte orange « orages » et « pluies-inondations », émise par Météo France. En émettant cette vigilance orange, Météo-France a prévenu que des phénomènes importants allaient survenir, suggérant à la population d'être « très vigilante » et de se tenir « au courant de l'évolution de la situation ».
Au vu du bilan désastreux, humain et matériel, la question se pose : pourquoi n'a-t-on pas déclenché une alerte rouge ? En cas d'alerte rouge, les habitants doivent non seulement se tenir au courant de la situation, mais surtout suivre impérativement les consignes de sécurité des autorités, notamment l'interdiction de se déplacer. Cette forme de vigilance est très contraignante. Le préfet doit en outre procéder à l'alerte systématique des maires et des services concernés, ce qui n'est pas le cas pour une vigilance orange. Je me suis trouvé, en tant que maire de ma commune touchée par les inondations, sans la moindre information le soir des événements, ni des autorités, ni des pompiers que je n'ai pas réussi à joindre pendant la soirée.
Météo-France indique que l'épisode orageux a été correctement cerné et que les vigilances rouges concernent généralement des phénomènes de plus grande ampleur. Ici, seule une partie limitée du département a été touchée.
Pour autant, je suis convaincu que les réactions des élus comme de la population auraient été très différentes si l'alerte fournie avait été adaptée. Il y avait le soir des inondations un concert ainsi qu'un match de foot à Nice, qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Compte tenu du peu de prévention mis en oeuvre, nous ne devons qu'à la chance que le bilan n'ait pas été plus lourd !
L'alerte est donc véritablement un point à creuser dans la suite de nos travaux. La commission mise sur pied par le préfet des Alpes-Maritimes a bien identifié ce problème.
Les citoyens sont habitués à voir constamment à la télévision des alertes orange et nous sommes face à un problème d'accoutumance à ces alertes. Se pose donc la question de la compréhension par les élus locaux et par les citoyens de la signification de l'alerte et des comportements à adopter. Un certain nombre de destinataires dans ma commune ont reçu l'alerte orange lors de son déclenchement. Personne ne me l'a transmise. Météo-France nous a expliqué qu'il n'y avait eu que deux alertes orange dans l'année dans le département. Le phénomène d'accoutumance est dû à la répétition des alertes au niveau national. Dans notre cas, même tardivement, il aurait fallu déclencher une alerte rouge, qui permet de débloquer des moyens de réponse.
Ce qui m'amène à mon deuxième point : la culture du risque. L'inondation est le premier risque naturel en France. Un habitant sur quatre est concerné mais la population n'est pourtant pas informée sur les conduites à suivre en cas de survenue d'un événement extrême. J'en veux pour preuve les circonstances de certains des décès constatés le 3 octobre. Plusieurs des morts sont attribuables au fait que les personnes sont descendues dans leur garage souterrain et ont tenté de sauver leur véhicule. Ce type de comportements ne devrait pas se produire, ou se reproduire, si nous avions une culture du risque. Des messages simples pourraient être transmis à la population : rechercher les points hauts, ne pas se réfugier dans les sous-sols, éviter de prendre les voitures. Des simulations pourraient également être organisées en grandeur nature. La culture du risque est donc le deuxième chantier à approfondir dans le cadre de nos travaux.
Enfin, concernant la GEMAPI, nous avions constaté lors de la mission inondations en 2012 qu'aucune politique globale n'était menée en France, faute de compétence clairement définie et attribuée. La compétence de gestion des milieux aquatiques et prévention contre les inondations a donc été créée, avec un financement adapté, à l'initiative de Pierre-Yves Collombat, soutenu par moi-même et suivi par le Sénat, dans le cadre de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. Cette compétence, confiée aux intercommunalités, a vocation à être exercée par des établissements publics territoriaux de bassin, en ce qui concerne les grands fleuves, et par des établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau, pour les sous-bassins fluviaux. Le texte que nous avons voté et que l'Assemblée nationale a confirmé prévoit également que la gestion des ouvrages et équipements de prévention soit rationalisée.
Cependant, l'entrée en vigueur de ce dispositif a été plusieurs fois reportée. Nous avons voté la loi en 2014. La GEMAPI a d'abord été reportée à 2016, et nous en sommes maintenant arrivés à 2018 ! Là aussi, s'il nous faut approfondir le sujet sur certains points, il n'en reste pas moins qu'il y a urgence. On ne peut continuer à renvoyer indéfiniment le traitement de ce dossier douloureux qui, je le rappelle, cause chaque année de nombreuses victimes et des milliards d'euros de dégâts. Si le dispositif doit être amélioré, améliorons-le en concertation avec les différentes parties prenantes, mais il est nécessaire maintenant d'agir et d'agir sans délai. Nous n'avons que trop tardé.
Ces événements sont amenés à se reproduire. Arrêtons de parler d'événement exceptionnel. Seul un manque de mémoire longue peut laisser croire que chaque inondation exceptionnelle est un événement sans précédent. Au titre des statistiques de Météo-France, l'événement d'octobre est exceptionnel. Une telle quantité d'eau n'avait jamais enregistrée en aussi peu de temps. Nous avions pourtant connu le même type d'événement dans le Var. Il est à craindre que le changement climatique se traduise par une récurrence accrue de ces inondations dites « exceptionnelles ».
Aux Pays-Bas, pays pourtant largement situé sous le niveau de la mer, et donc selon les critères administratifs français, en zone rouge absolue, il y a des décennies que les inondations ne se soldent plus par des morts, contrairement à notre pays. Avec la volonté politique et le financement nécessaires, les Néerlandais nous ont montré que, dans ces zones à risque majeur, il était possible de continuer à vivre et même à se développer. Si nous nous en donnons les moyens, il n'y a aucune raison que la France ne puisse faire de même : vivre, se développer et prendre les mesures nécessaires et adaptées aux contraintes locales pour protéger aussi efficacement la population.