Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 novembre 2015 à 8h35
Loi de finances 2016 — Mission « direction de l'action du gouvernement » programme « protection des droits et libertés » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte, rapporteur pour avis :

Le programme 308 « protection des droits et libertés » concerne le budget de onze autorités administratives indépendantes chargées des droits et libertés, dont une autorité constitutionnelle, le Défenseur des droits, et une autorité publique indépendante, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Deux modifications de périmètre significatives interviennent cette année. En premier lieu, compte tenu de l'adoption, en avril 2015, de la loi de modernisation du secteur de la presse, l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) entrera, à compter du 1er janvier 2016, dans ce périmètre. Deuxième changement majeur, la mise en place de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) en remplacement de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) par la loi de juillet 2015 complétée par celle que nous venons d'adopter sur la surveillance des communications électroniques internationales. Rappelons enfin que la commission d'enquête du Sénat sur les autorités administratives indépendantes a mené cette année un travail approfondi sur l'ensemble de ces autorités.

Parmi les autres modifications législatives intervenues, mentionnons celle du 26 mai 2014, qui a donné compétence au Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour contrôler les mesures d'éloignement à l'encontre des étrangers frappés d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). C'est une lourde charge pour le budget du Contrôleur, qui mobilise ses services et dont les agents sont amenés à raccompagner les intéressés jusque dans leur pays de destination. Signalons, enfin, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, qui a conféré de nouvelles compétences à la Commission nationale de l'informatique et des libertés en matière de contrôle des sites internet susceptibles d'être bloqués.

Le budget global reste assez stable : en autorisations d'engagement, il s'établit à 97,14 millions d'euros, soit une très légère baisse, de 0,74 %, tandis que les crédits de paiement enregistrent une augmentation de 4,59 %, à 102,81 millions d'euros. Sont prévus 21 ETP (équivalents temps plein) supplémentaires, dont neuf pour la CNCTR compte tenu des nouvelles compétences qu'elle assurera, six pour la CNIL, dont la tâche s'alourdit à mesure que s'étend la place du numérique dans notre société, quatre pour la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui monte en charge depuis sa création en 2014, et deux pour le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Les autorités administratives indépendantes n'échappent pas au contrôle budgétaire. Elles alimentent des indicateurs de performance et sont soumises à un effort minutieux de mutualisation. C'est ainsi qu'en 2016, l'ensemble immobilier Ségur-Fontenoy accueillera à la fois la CNIL et le Défenseur des droits.

La CNCTR disposera, fin 2016, de 18 ETP. Ses compétences sont bien plus larges que ne l'étaient celles de la CNCIS puisque sa mission ne se limite pas aux interceptions de sécurité mais concerne aussi le contrôle des algorithmes et du stockage des données de connexion qui lui sont confiées. Outre qu'elle dispose de capacités d'intervention accrues, elle est chargée du traitement du contentieux, via sa faculté de saisine du Conseil d'État qui lui est reconnue au cas où elle jugerait que le Premier ministre n'aurait pas dû s'écarter de son avis. Ainsi que l'a souligné Francis Delon devant notre commission, eu égard aux compétences techniques et à la protection des données qui seront confiées à la CNCTR, sa charge montera progressivement en puissance. Ce qui suppose que le budget suive.

Le Défenseur des droits estime aussi que compte tenu de la situation, il a besoin d'étoffer son réseau de correspondants territoriaux - n'oublions pas que toutes les situations qu'il dénoue sont autant de contentieux judiciaires épargnés. Il a également encore besoin de moyens pour mener à bien la fusion décidée il y a quelques années. Car on oublie trop souvent, en présentant la fusion des autorités administratives indépendantes comme le moyen de rationaliser, que la fusion a un coût.

La CNIL voit sa charge augmenter tous les ans selon une courbe exponentielle et devra, en 2018, s'adapter au nouveau Règlement européen en matière de protection des données personnelles, qui touchera à la fois ses métiers et ceux de la CADA, d'où la réflexion qui devrait s'engager au cours des prochains mois sur la fusion de ces deux autorités.

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique travaille à flux tendu. Elle doit traiter aujourd'hui 10 000 déclarations de patrimoine et compte tenu des projets en cours de discussion au Parlement, concernant en particulier la déontologie dans la fonction publique, on peut estimer que 4 200 personnes supplémentaires seront concernées, ce qui représenterait une augmentation de plus de 40 % de sa charge. Il faudra être vigilant sur ses capacités à remplir correctement sa mission.

Grâce à la commission d'enquête du Sénat sur les autorités administratives indépendantes, j'ai découvert que la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) employait depuis plusieurs années du personnel hors budget : cinq personnes mises à disposition par les ministères de la défense et de l'intérieur n'apparaissent pas dans les effectifs. J'ai entendu son secrétaire général, car c'est une situation qui me semble poser problème au regard de l'indépendance de cette commission, dont je rappelle qu'elle joue un rôle essentiel puisqu'elle permet de garantir qu'il n'y a pas de manipulation par le pouvoir exécutif du secret de la défense nationale dans le cadre de procédures judiciaires. C'est aussi elle qui est chargée de s'assurer, en cas de perquisition où le secret de la défense nationale trouve à s'appliquer, que les documents méritant d'être protégés à ce titre le soient bien, et que le juge ne reçoive pas plus d'information que les parties. C'est une mission importante, dont on peine à imaginer qu'elle puisse n'être pas assurée par une autorité administrative indépendante.

Les travaux de la commission d'enquête ont soulevé la question des fusions. Il faut être prudent, car l'exemple du Défenseur des droits montre que ce n'est pas si simple. Même si les frontières sont parfois assez ténues, comme entre le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, ou entre la Commission consultative du secret de la défense nationale et la CNCTR, et que l'on peut imaginer qu'il sera utile de procéder à quelques ajustements, il reste que les métiers sont aujourd'hui différents : la fusion ne saurait être considérée comme la panacée.

Je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits compte tenu de l'effort engagé sur les coûts de fonctionnement et d'une évolution du nombre des emplois qui tient compte des nouvelles missions dont ont été chargées ces autorités administratives indépendantes, tout en appelant à la vigilance sur deux points. La mutualisation des moyens, tout d'abord, ne doit pas porter atteinte à l'indépendance de ces autorités - je pense en particulier aux systèmes informatiques, qui doivent rester pleinement sous leur contrôle. Les mises à disposition, en second lieu, sont à mon sens susceptibles de porter atteinte à l'indépendance de ces autorités. La situation à la CCSDN perdurera cette année, avec cinq mises à dispositions. Compte tenu des contraintes budgétaires, je n'ai pas pu proposer d'amendement pour y remédier, mais je vous propose de demander au Gouvernement que ce soit la dernière fois et qu'il y soit mis fin à l'avenir. Les autorités administratives indépendantes doivent avoir la maîtrise de leurs personnels.

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