Intervention de Yves Détraigne

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 novembre 2015 à 8h35
Aide juridictionnelle — Communication

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

L'objet de mon intervention est limité : je tenais à vous informer sur la question de l'aide juridictionnelle, qui sera abordée très prochainement dans la discussion budgétaire. Alors que tout le débat se concentre sur le volet « recette » de la réforme proposée par la garde des sceaux, qui sera examiné dans le cadre de la première partie du projet de loi de finances, il ne faut pas pour autant négliger son volet « dépense ».

Deux types de mesures sont prévus. Les premières ont trait à la rétribution de l'avocat. Le Gouvernement a tout d'abord proposé une revalorisation de l'unité de valeur, partiellement compensée par une modification du barème des prestations d'aide juridictionnelle, qui revient, dans les faits, à moins rémunérer certaines prestations courantes et à mieux rémunérer d'autres prestations plus rares. Le bilan, pour les avocats, risquerait cependant d'être négatif. Pour l'éviter, le Gouvernement propose de remplacer la modulation géographique de l'unité de valeur par une contractualisation entre le président du tribunal de grande instance (TGI) et les barreaux, afin de leur verser une dotation supplémentaire d'aide juridictionnelle en fonction des besoins et des efforts consentis.

D'autres dépenses supplémentaires sont à attendre, ensuite, d'une double extension du périmètre de l'aide juridictionnelle. En premier lieu, le plafond de l'aide juridictionnelle totale serait porté de 941 euros à 1 000 euros, le plafond de l'aide juridictionnelle partielle étant relevé dans les mêmes proportions, ce qui devrait ouvrir le bénéfice de l'aide à près de 100 000 nouveaux justiciables. En second lieu, le bénéfice de l'aide juridictionnelle serait étendu aux médiations judiciaires.

Au total, ces dépenses supplémentaires représenteraient 25 millions d'euros en 2016, 50 millions en 2017. Pour les financer, le Gouvernement propose trois ressources supplémentaires.

La première correspond à une hausse supplémentaire sur les assurances de protection juridique, pour 10 millions d'euros en 2016 et 20 millions en 2017 ; la seconde, à une hausse, pour un volume équivalent, de la taxe prélevée sur les actes d'huissiers, acquittée par leurs clients ; la dernière ressource, enfin, devait correspondre à une affectation au Conseil national du barreau d'une partie des produits financiers perçus par les avocats sur les fonds de leurs clients déposés sur leur compte CARPA (caisse des règlements pécuniaires des avocats), pour 5 millions d'euros supplémentaires en 2016 et 10 millions en 2017.

Tous les barreaux se sont vivement opposés à ce dernier prélèvement, qu'ils ont assimilé à une taxe sur leur profession. En effet, même si, à proprement parler, les fonds CARPA n'appartiennent pas aux avocats, puisqu'il s'agit des fonds de leur client, les produits financiers importants perçus sur ces fonds - 25 millions d'euros pour le barreau de Paris - sont actuellement affectés au financement des barreaux, qu'il s'agisse des dépenses liées à la gestion de l'aide juridictionnelle, à la formation professionnelle ou à l'action sociale au bénéfice des avocats.

La ministre a finalement renoncé à cette taxe. L'Assemblée nationale n'a toutefois pas eu le temps de procéder à cette suppression, qui devrait intervenir au Sénat. La commission des finances du Sénat a d'ailleurs adopté un amendement supprimant la taxe sur les CARPA. Les autres éléments de la réforme pourraient être maintenus : augmentation de l'unité de valeur, limitation de sa modulation géographique, extension du périmètre de l'aide juridictionnelle, modification du barème et contractualisation.

Quelles sont les perspectives ? Compte tenu de la montée en puissance des dispositifs, le problème de financement se posera avant tout en 2017. Il manquera alors 20 millions d'euros. Il faut trouver des recettes supplémentaires.

La voie d'une participation financière des avocats est abandonnée. L'argument le plus solide contre une telle participation est qu'une profession ne doit pas être taxée pour financer la prestation qu'elle accomplit. Cet argument est toutefois fragilisé par le fait que moins de la moitié des avocats (41 %) accomplissent effectivement des prestations d'aide juridictionnelle et que 16 % seulement accomplissent 84 % de l'ensemble des missions.

Faut-il mettre à contribution les autres professions du droit ? Le Gouvernement semble s'être orienté dans cette direction lorsqu'il a proposé la mise en place, dans le cadre de la loi Macron, d'un fonds interprofessionnel d'accès au droit et à la justice, financé par une taxe acquittée par les officiers publics ou ministériels sur certains actes. Cette modalité de financement a été censurée par le Conseil constitutionnel. Pour autant, le fonds continue d'exister et le Gouvernement devrait proposer prochainement, pour l'alimenter, un nouveau dispositif financier ayant vocation à assurer, de manière pérenne, le financement d'une partie de l'aide juridictionnelle.

Cette contribution des autres professions du droit au financement de l'aide juridictionnelle pose inévitablement la question de la participation des avocats qui ne la pratiquent pas à ce même financement. Pour l'heure, seuls les avocats rémunérés par la voie d'un tarif proportionnel, c'est-à-dire ceux qui réalisent des ventes judiciaires et des adjudications d'immeubles, seraient concernés.

Une autre piste, proposée par le Conseil national du barreau et reprise par nos collègues Jacques Mézard et Sophie Joissains, serait celle d'une taxe perçue sur certains actes juridiques. Le Gouvernement s'est engagé à l'étudier. Il s'agirait de faire payer les clients des professionnels du droit. La question est actuellement débattue entre les professions qui s'interrogent sur l'assiette à retenir : les avocats sont moins concernés que les notaires par les actes soumis à droit d'enregistrement. Faut-il retenir un périmètre plus étendu, comme celui des actes rédigés ou contresignés par un professionnel du droit ?

Enfin, la dernière piste serait le retour à la contribution pour l'aide juridique versée par le justiciable qui saisit le juge - les fameux 35 euros. Cette taxe a été supprimée par la garde des sceaux dès le budget pour 2013. Elle présentait toutefois le mérite d'assurer un financement pérenne de l'aide juridictionnelle. Elle jouait aussi le rôle d'un ticket modérateur. Peut-être méritait-il d'être ajusté, mais je constate qu'in fine, chacun s'en était accommodé.

Je terminerai par deux observations. En premier lieu, il me semble qu'on ne peut pas dissocier la crise de l'aide juridictionnelle de la crise économique de la profession d'avocat. J'observe que deux autres professions, les huissiers et les notaires, délivrent des prestations d'aide juridictionnelle sans que se posent de questions quant à la rétribution de leur mission. La raison en est que ces missions restent minoritaires dans leur chiffre d'affaire et que le manque à gagner éventuel est compensé par les autres actes accomplis. Pour les 16 % d'avocats qui assurent 84 % de l'aide juridictionnelle, la variation de l'unité de valeur est cruciale. À ceci s'ajoute le fait, qu'en vingt ans, le nombre d'avocat a doublé, passant de 30 000 en 1995 à 60 000 en 2015. Cette explosion démographique n'est pas sans conséquence. Les avocats avec lesquels j'ai eu l'occasion d'échanger le reconnaissent mais s'accommodent mal de l'idée d'un numerus clausus.

En second lieu, je souhaite vous soumettre une observation formulée par le président du Conseil national de l'aide juridique. Il n'existe pas, pour les avocats, d'obligation d'intervenir au titre de l'aide juridictionnelle, à l'instar de l'obligation de garde qui s'impose aux médecins. La conséquence en est, dans certains territoires, un défaut d'assistance juridique pour les justiciables les moins fortunés, en même temps que dans d'autres, des professionnels n'accomplissent aucune prestation d'aide juridictionnelle. Ce point mérite réflexion.

Vous l'aurez compris, il me semble que le dossier de la réforme de l'aide juridictionnelle est encore ouvert.

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