« A la barbarie, nous devons opposer l'invincible humanité de la culture » : c'est ainsi que le Président de la République a conclu son propos hier à l'Unesco et c'est dans cette perspective que nous devons examiner les moyens que nous mettons dans la culture. Je sais que nous en sommes tous convaincus, que nous partageons tous, ici, cet engagement pour la culture - mais aussi que ce n'est pas le cas de tous nos collègues, que nous devons nous battre pour que cet engagement se traduise en actes, en moyens.
C'est pourquoi je veux souligner l'importance politique de la progression des crédits du programme 131 « Création » et du soutien public au cinéma : la tendance amorcée l'an passé se confirme avec ce projet de loi de finances, c'est un acte politique fort. L'an passé, j'avais été soulagé de voir cesser la baisse des crédits culturels, nous avions marqué un palier ! Cette année, le budget de la culture augmente, nous devons d'autant plus nous satisfaire de cette hausse qu'elle se produit au moment où les dépenses publiques diminuent. Et c'est d'autant plus utile que nous allons débattre très bientôt de la LCAP : sans cette hausse des crédits, nos débats législatifs auraient été virtuels, nos grandes ambitions laissées sans moyens.
La question se pose dans des termes très proches pour les collectivités territoriales. Comme l'État, elles doivent s'adapter aux contraintes nouvelles, mais alors que l'État fait le choix de maintenir ses crédits à la culture, elles ne peuvent pas toujours s'abriter derrière la baisse des dotations pour justifier le recul de leur participation à des projets culturels. C'est même précisément en période de crise et quand les moyens baissent, que les choix deviennent plus aigus et que celui de la culture devient plus important - car la culture c'est d'abord l'expérience positive d'être ensemble, d'être autre, c'est du lien social.
J'en viens aux crédits du programme 131 « Création » : les autorisations d'engagement gagnent 16 millions d'euros (+2,25 %), les crédits de paiement progressent de 9,7 millions d'euros (+1,3 %). Cette augmentation d'ensemble est un premier motif de satisfaction.
Je déplore depuis plusieurs années que les arts plastiques, avec à peine 10 % des crédits, soient le « parent pauvre » du programme « création » - même s'il faut prendre en compte, au-delà de la nomenclature, les apports des grands équipements dont les budgets figurent au spectacle vivant. Cette année, il y a un mouvement de rattrapage, puisque les deux-tiers des crédits supplémentaires vont aux arts plastiques, au parent pauvre : l'action 2 progresse même de 11,5 % en autorisations d'engagement.
Troisième point de satisfaction, l'accent mis sur l'accès à la culture, sur le soutien à la jeune création et au renouvellement des esthétiques, sur l'aménagement culturel du territoire et sur des mesures très utiles dans la vie des artistes, comme les résidences pour les plasticiens ou le soutien aux « scènes de musiques actuelles » (SMAC) ou encore aux festivals, j'y reviendrai.
La stratégie de l'État est claire, bien formulée, en particulier l'intention de faire mieux avec des moyens très contraints : le ministère est plus exigeant avec ses opérateurs, il leur demande des contrats d'objectifs, d'accueillir des artistes en résidence, de développer la co-production et la co-diffusion, de renforcer l'éducation artistique et culturelle : tout ceci se retrouve dans la politique des labels dont nous allons reparler dans la loi prochaine. L'intention est très bonne également, quand on parle de soutenir des outils de création mutualisés, des « tiers lieux et lieux intermédiaires », des « foyers de jeunes créateurs », quand on encourage, comme les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) le font à une échelle expérimentale, la diffusion de spectacles vivants et d'expositions dans toutes sortes de lieux : les idées ne manquent pas et le ministère est à l'écoute, c'est le sens des Assises de la jeune création qu'il a lancées au printemps dernier et qui ont été fructueuses.
Nous nous saisirons de tous ces sujets lors de l'examen de la LCAP mais le mouvement a déjà commencé : dans les « pactes culturels » que le ministère signe avec les collectivités, dans les contrats d'objectifs en cours de négociation, et y compris dans la mise en oeuvre de la réforme territoriale. Le Gouvernement se mobilise pour la culture, nous l'avions vu sur le dossier des intermittents, cette loi de finances le confirme..
Nous devons également nous assurer que les progrès de méthode et les intentions se traduisent en actes conséquents et pas seulement en expérimentations ponctuelles : notre rôle est bien de conforter la réforme, de la faire aller aussi loin que possible.
C'est pourquoi, au-delà de cette satisfaction d'ensemble, je pose dans mon rapport quelques jalons et quelques questions utiles à notre travail dans le projet de loi à venir.
S'agissant des moyens nouveaux dédiés aux arts plastiques, attention aux effets d'annonce : sur trois millions d'euros d'actions nouvelles pour les arts plastiques, un million va au déménagement du Centre national des arts plastiques(CNAP), un autre au projet de la « tour Médicis » à Montfermeil... si bien qu'il ne reste qu'un million d'euros supplémentaire à partager entre les 22 Fonds régionaux d'art contemporain (FRAC), les 48 centres d'art conventionnés, le réseau des résidences et l'ensemble de la commande publique. Le CNAP doit probablement déménager, la « tour Médicis » est certainement un bon projet, mais comment la mobilisation annoncée pour les artistes sera-t-elle perçue si les moyens vont majoritairement au déménagement d'une institution et à un projet qui ne verra pas le jour avant quelques années ?
Autre sujet sur lequel nous devons avancer, la protection sociale des artistes plasticiens, la structuration de leurs professions au sens large. Je le souligne depuis plusieurs années : beaucoup de plasticiens vivent en dessous du seuil de pauvreté, leurs droits d'auteur sont bafoués, y compris par les établissements publics, leurs droits sociaux sont mal gérés, il n'existe toujours pas de convention collective spécifique car le ministère du travail ne répond pas aux demandes du ministère de la culture pour négocier. Il est grand temps d'avancer ces sujets, ou bien nos progrès budgétaires sur le programme « création » paraîtront dérisoires.
Deux mots, enfin, sur la situation des festivals, après une année que la « cartocrise », sur internet, a fait paraître particulièrement sombre. Je fais un point dans mon rapport, le diagnostic est plus nuancé que dans la « cartocrise » mais il faut savoir que les festivals, même les plus grands, sont fragiles, et que quand ils sont annulés, parfois pour un manque de quelques milliers d'euros seulement, il est très difficile de faire machine arrière, nous devons y faire très attention.
J'en viens au soutien public en faveur du cinéma. Son niveau élevé, via les taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et les différents dispositifs de crédit d'impôt au bénéfice des producteurs, constitue un cas d'école que l'Europe nous envie, d'autant que leur efficacité ne cesse de progresser. Le succès de nos productions ne cesse de conforter ce choix politique : le cinéma français a encore brillé dans les salles en 2014. Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?, Supercondriaque et Lucy ont attiré des millions de spectateurs. À l'affiche, plus de 340 oeuvres originales françaises ont continué à faire vivre l'industrie culturelle la plus populaire, ses milliers d'entreprises et ses 250 000 emplois directs. Le succès de notre cinéma bénéficie à la renommée et à l'image de la France de par le monde.
Dans son rapport d'avril 2014 relatif aux soutiens à la production cinématographique et audiovisuelle, la Cour des comptes soulignait d'ailleurs les résultats indéniables d'une politique conduite en France avec vigueur et constance depuis plus de soixante-cinq ans, toutes majorités politiques confondues.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement - en cohérence avec des engagements pris par le Premier ministre au Festival de Cannes en faveur de la culture - fait le choix de poursuivre son effort budgétaire à destination du cinéma : comme je l'avais proposé l'an passé, le crédit d'impôt cinéma est sensiblement renforcé, tandis que, pour la deuxième année consécutive, l'affectation des taxes au fonds de soutien du CNC est intégralement préservée.
L'opérateur n'est toutefois pas à l'abri d'une nouvelle offensive contre ces ressources. Je ne puis, à cet égard, souscrire à la proposition de nos collègues de la commission des finances de plafonner le niveau des taxes dont bénéficie le CNC, alors même que leur moindre rendement, année après année, oblige l'opérateur à puiser dans ses réserves pour maintenir son niveau d'intervention.
Par ailleurs, les difficultés de la majorité des films français à l'exportation, la délocalisation trop fréquente des tournages et l'échec relatif de la lutte contre le piratage, qui constitue un manque à gagner réel pour l'industrie du cinéma, représentent autant d'ombres au tableau du satisfecit général apporté au système français de soutien au cinéma.
Des aménagements sont nécessaires, afin d'adapter les outils, notamment fiscaux, et les règles applicables aux évolutions de l'écosystème du cinéma. Il en va du maintien d'une production aussi qualitative que diversifiée, qui constitue aujourd'hui un objet de fierté nationale.
C'est pourquoi, je salue le dispositif proposé à l'article 44 du présent projet de loi de finances, qui, pour tenter de relocaliser les tournages d'oeuvres cinématographiques sur le territoire national, améliore sensiblement les modalités d'application du crédit d'impôt cinéma. Ainsi, le plafond des dépenses éligibles par films et porté de 4 millions d'euros à 30 millions d'euros ; les films en langue étrangère pourront bénéficier du dispositif sous certaines conditions ; l'ensemble des oeuvres se verra attribuer un taux de 30 % de crédit d'impôt.
Le pari est audacieux mais nécessaire : nous ne pouvons tolérer éternellement que tant de producteurs français, pour des raisons économiques, tournent leurs oeuvres à l'étranger, où, à l'instar de la Belgique ou de la Grande-Bretagne, les pouvoirs publics n'hésitent nullement à proposer une fiscalité favorable à l'industrie cinématographique. Il en va du maintien de nos emplois et de nos savoir-faire.
Se satisfaire de ce nouvel aménagement du crédit d'impôt cinéma serait toutefois oublier un peu vite que la délocalisation des tournages concerne également un nombre croissant de fictions audiovisuelles, genre coûteux mais dans lequel la France peine à s'imposer comme une grande nation de production. C'est pourquoi, mes chers collègues, j'avais envisagé de vous proposer de porter le crédit d'impôt les concernant de 20 à 25 % des dépenses éligibles, c'est-à-dire à un taux équivalent à celui qui s'applique aux fictions audiovisuelles d'animation. Toutefois, et je ne peux que saluer cette initiative, l'Assemblée nationale a adopté vendredi dernier en séance publique un dispositif identique doublé d'une augmentation des plafonds applicables aux dépenses éligibles. Vous comprendrez que je vous invite à maintenir l'article 44 dans sa rédaction issue des travaux de nos collègues députés.
Compte tenu de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Création», au sein de la mission « Culture ».