J'ai souhaité cette année consacrer mon rapport pour avis aux incidences budgétaires de la politique industrielle. La question industrielle fait en effet partie des compétences centrales de notre commission et c'est aussi l'une des priorités de l'action économique du Gouvernement. J'ai donc voulu savoir comment l'engagement en faveur du redressement industriel se traduisait concrètement dans les dépenses budgétaires et fiscales de l'État : Combien -et par quels canaux budgétaires-l'État investit-il pour appuyer la reconquête industrielle qui est au coeur de son projet économique ?
Pour naturelles que puissent sembler ces questions, j'ai pu constater que leur apporter une réponse ne va pas de soi. Comme je l'ai souligné lorsque nous avons auditionné le ministre de l'économie, aucun document budgétaire actuel ne permet d'avoir une vision transversale de l'effort financier de la nation en faveur de l'industrie. On se trouve face à de multiples dispositifs institutionnels, et de non moins nombreux outils budgétaires et fiscaux, sans que cette information éparpillée soit rassemblée en un lieu unique.
J'ai donc cherché à établir moi-même cette synthèse chiffrée.
Sur un plan méthodologique, l'exercice se heurte à une quadruple difficulté :
Premièrement, cerner les contours de l'industrie ne va pas de soi. On peut agréger ou non à l'industrie un certain nombre de services directement liés à l'industrie. On peut s'interroger aussi, en amont de l'activité industrielle proprement dite, pour savoir si certaines aides à la recherche scientifique appliquée, qui ont des implications industrielles évidentes, doivent ou non être intégrées. J'ai choisi, pour ma part, de me cantonner aux activités qui se situent clairement dans le champ de l'industrie. De ce point de vue, les chiffrages que je propose sont des minorants de l'effort financier de l'État ;
Deuxième question méthodologique à trancher : quelles sont les engagements financiers qui doivent être retenus dans le calcul ? On pourrait envisager de compter dans l'appui étatique à l'industrie ce qui relève de la commande publique, mais cela nous éloignerait de l'exercice budgétaire. De même, je n'ai pas retenu dans mon calcul les investissements en fonds propres dans l'industrie opérés par l'agence des participations de l'État. Nous verrons, avec le rapport d'Alain Châtillon, que les prises de participation dans l'industrie sont massives, dans des entreprises comme Renault ou Peugeot. Mais elles sont financées par la cession de titres, c'est-à-dire par une recomposition du portefeuille, et n'ont donc pas d'incidence budgétaire directe.
Troisième difficulté méthodologique : les enveloppes financières qui alimentent la politique industrielle ne sont souvent connues qu'après un certain délai, qui peut atteindre plusieurs années. C'est le cas notamment des dépenses fiscales telles que le CICE ou le CIR. Pour intégrer ces dépenses fiscales dans mon chiffrage, j'ai donc dû me baser sur des estimations. J'ai évidemment utilisé les plus récentes.
Enfin, certains dispositifs d'appui aux entreprises ont un caractère intersectoriel. C'est le cas là encore des dépenses fiscales. C'est le cas aussi de certains outils de financement opérés par BPI France. Comme plusieurs secteurs d'activité en bénéficient, il faut donc mesurer ou estimer la part qui revient à l'industrie. La BPI et le commissariat général à l'investissement effectuent un reporting assez précis qui permet d'identifier avec une grande fiabilité les sommes qui reviennent à l'industrie. Pour connaître ce qui va vers l'industrie dans le cas des dépenses fiscales, il faut en revanche déterminer des clés d'imputation plus imprécises. Par exemple, pour mesurer les montants de CICE qui vont vers l'industrie, je me suis basé sur le poids de l'industrie dans la valeur ajoutée marchande.
Au total, le chiffrage que je propose n'a pas la prétention de fournir une vision exhaustive et rigoureusement précise des incidences budgétaires de la politique industrielle. Cela était hors de portée compte tenu de la difficulté méthodologique de l'exercice et du temps et des moyens impartis. Toutefois le chiffrage que je vais vous présenter dans un instant fournit des ordres de grandeurs intéressants et il vient combler un véritable vide dans l'information des parlementaires et du public concernant la politique industrielle. J'espère qu'il sera poursuivi à l'avenir par le Gouvernement avec des outils plus perfectionnés d'une part parce que c'est un élément utile à l'évaluation d'une politique publique de premier plan et, d'autre part, parce que le Gouvernement n'a pas à rougir des résultats qui ressortent de ce travail de mesure.
Pour décrire l'effort budgétaire en direction de l'industrie, je commencerai bien sûr par analyser les crédits de la mission « économie ». Cette dernière intervient dans le financement vers le secteur industriel de deux manières :
- En premier lieu, le programme 134 comporte une action intitulée « actions en faveur des entreprises industrielles », qui finance des opérations pilotées en administration centrale ou au niveau des Dirrecte et qui visent à accompagner la restructuration des filières ou à cofinancer, avec les organismes professionnels, des sessions de formation sur des thématiques en lien avec la compétitivité. Figurent aussi sur cette ligne budgétaire les crédits à l'AFNOR, aux centres techniques industriels et ceux destinés au financement des structures de gouvernance des pôles de compétitivité (les projets eux-mêmes sont financés via le FUI sur une autre mission budgétaire). Au total, les crédits de cette action, hors dépenses de personnel, atteignent pour 2016, 59 millions d'euros en crédits de paiement, contre 129 millions d'euros en 2010. La baisse a donc été drastique depuis cinq ans. Une petite partie de ce recul s'explique par des changements de périmètre budgétaire, mais l'essentiel s'explique par un effort d'économies substantiel ;
- Le programme 134 porte également une partie des crédits destinés à la BPI et, auparavant à OSEO, à savoir les crédits en faveur de l'activité garantie. Ces crédits sont stables par rapport aux années précédentes. Ils s'établissent, pour 2016, à 26 millions d'euros. Les garanties de la BPI ne financent pas que l'industrie, mais le reporting de la BPI permet néanmoins d'identifier précisément la part qui profite à ce secteur. Elle est de 25 %. Par ce biais, c'est donc un peu plus de 5 millions d'euros de crédits budgétaires qui profitent à l'industrie.
Au total, la contribution financière de la mission « économie » à la politique industrielle est à la fois marginale et en forte baisse, puisqu'elle s'établit désormais à environ 65 millions d'euros.
Une autre mission contribue bien plus fortement à l'appui à l'industrie, il s'agit de la mission « recherche et enseignement supérieur ». Comme le rapporteur de cette mission en présentera tout à l'heure les crédits, je me garderai d'entrer dans les détails pour simplement recueillir quelques éléments de chiffrage nécessaires à mon propre rapport.
L'action 2 du programme 192, intitulée « soutien et diffusion de l'innovation technologique », a pour objectif de contribuer au développement des entreprises technologiquement innovantes. Elle est dotée de 345 millions d'euros à la fois en engagement et en crédits de paiement. À périmètre constant, cette action se situe à peu près à son niveau de 2010 ou de 2012.
Dans cette action 2, le programme « Aides à l'innovation », qui porte les crédits relatifs aux subventions, avances remboursables ou prêts à taux zéro opérés par la BPI, connaît cependant une baisse sensible depuis 2011 et 2012. Il a perdu 100 millions d'euros en quatre ans. La BPI tire à ce sujet le signal d'alarme et estime menacée cette activité à haut risque et fortement consommatrice de capital qu'est l'aide à l'innovation.
L'action 3 du programme 192, intitulée « soutien de la recherche industrielle stratégique », finance, d'une part, le Fonds de compétitivité des entreprises (FCE), qui porte notamment une partie des crédits du programme nano 2017 ainsi que les projets du programme européen Eurêka et, d'autre part, le Fonds unique interministériel (FUI), qui est le principal soutien aux projets des pôles de compétitivité.
Les actions de cette action sont en fort recul : 125 millions d'euros en engagements sont prévus pour 2016 et 192 millions d'euros en crédits de paiement - contre respectivement 363 et 305 millions cinq ans plus tôt. Cette forte baisse ne doit pas nécessairement s'interpréter comment un abandon des politiques financées par ces crédits. En réalité, aussi bien les actions du FUI que du FCE sont de plus en plus éligibles à d'autres guichets, notamment via les enveloppes du PIA. Plus qu'un recul des crédits, on a vraisemblablement affaire ici à une diversification des canaux de financement.
Au total, les appuis financiers au secteur de l'industrie par le canal du programme 192 s'établissent pour 2016, hors titre 2, à 687 millions en engagements et 742 millions en crédits de paiement.
Le troisième outil budgétaire de financement de l'industrie est le programme des investissements d'avenir.
L'un des axes du PIA, intitulé « Industrie et PME », est doté d'une enveloppe globale de 14,4 milliards d'euros. Pour mon calcul, je retiendrai en réalité seulement 13,4 milliards d'euros, car il faut lui retrancher l'enveloppe de 1 milliard d'euros qui a avait été créée pour refinancer OSEO.
Cette enveloppe de 13,4 milliards d'euros est constituée de dotations intégralement consommables fléchées vers des projets industriels majeurs tels que, par exemple, le véhicule du futur (1,12 milliards d'euros), la maîtrise des technologies nucléaires (1,7 milliards d'euros) et des technologies spatiales (170 millions d'euros), ou encore la recherche aéronautique (2,7 milliards d'euros), les prêts à la robotisation (300 millions d'euros) ou le fonds national d'amorçage (600 millions d'euros).
Ces crédits sont engagés à 80 %. C'est-à-dire qu'en 5 ans, cette composante du PIA a injecté en moyenne 2 milliards d'euros par an de dotations publiques dans la politique industrielle.
Deux autres composantes du PIA ont une dimension plus transversale que la précédente, mais impactent néanmoins fortement le secteur industriel.
Il s'agit en premier lieu du programme « économie numérique ». Il est doté de 4,5 milliards d'euros au total. Si on retranche ce qui ne relève pas de l'industrie stricto sensu, à savoir le financement de l'installation des réseaux à très haut débit et la transition numérique de l'État, on dispose néanmoins d'une enveloppe consommable de 2 milliards d'euros, déjà engagée à 60 %.
L'autre enveloppe transversale qui concerne fortement l'industrie est celle fléchée vers le développement durable. Si on en retire, là encore, les crédits qui ne concernent pas directement l'industrie, comme ceux consacré à l'urbanisme et à la rénovation thermique des bâtiments, il reste encore une enveloppe, intégralement consommable, de 2,7 milliards d'euros, dont 1,6 milliard d'euros ont été déjà engagés.
Au total, les enveloppes des PIA 1 et 2 fléchées vers l'industrie représentent donc 18,2 milliards d'euros, déjà engagées à hauteur de 13,5 milliards d'euros, ce qui représente un effort annuel moyen en direction de l'industrie de 2,7 milliards d'euros.
Le dernier mode de financement public de la politique industrielle consiste à mettre en oeuvre des dépenses fiscales.
Trois dispositifs fiscaux ont un impact financier particulièrement fort sur le secteur industriel et ont même été créés en grande partie pour en améliorer la compétitivité : il s'agit du crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE), du crédit d'impôt recherche (CIR) et du dispositif transitoire de suramortissement.
Le CIR représente un abaissement de la charge fiscale des entreprises de l'ordre de 5,5 milliards d'euros par an. D'après les informations fournies par le ministère des finances, 60 % de cette somme -soit 3,3 milliards d'euros- bénéficie au secteur de l'industrie manufacturière.
Le montant du CICE est plus compliqué à évaluer, car, par construction, les entreprises disposent de plusieurs années pour le déclarer et l'imputer sur leur imposition. D'après le dernier rapport du comité de suivi du CICE, qui date de septembre 2015, le montant de CICE déclaré au titre des salaires de 2014 atteignait 14,2 milliards d'euros au 31 juillet 2015. Le comité de suivi table sur un total de CICE de 18 milliards d'euros pour 2014, qui sera la première année pleine au taux de 6 % de la masse des salaires inférieurs à 2,5 Smic.
On ne saura pas avant 2016 quelles sont exactement les entreprises bénéficiaires et quelle est, en particulier, la part du CICE qui revient au secteur industriel. Toutefois, pour estimer approximativement la part de l'industrie dans le CICE, on peut se référer à la part de l'industrie dans la valeur ajoutée marchande, qui est de 16 %. Sur cette base, la part industrie du CICE serait de l'ordre de 2,9 milliards d'euros.
Pour le dispositif de suramortissement exceptionnel de 40 %, le projet annuel de performance chiffre son montant à 500 millions par an en année pleine. En se basant sur la part de l'industrie dans la formation brute de capital fixe des sociétés non financières, qui est de 21,5 %, on peut estimer que le secteur de l'industrie pourrait en bénéficier à hauteur de 100 millions d'euros par an. Cette estimation est une estimation basse. Si l'on regarde la liste des investissements éligibles au suramortissement exceptionnel, il est évident que l'industrie est la principale concernée par ce dispositif. À dires d'experts, la part de l'industrie dans cette dépense fiscale pourrait atteindre 60 %, auquel cas c'est 300 millions d'euros, au lieu des 100 millions que j'ai retenus, qui profiteraient à la politique industrielle.
Enfin, il existe d'autres dispenses fiscales qui ont un impact financier sur le secteur industriel, et notamment l'ensemble des mesures qui entrent dans le Pacte de responsabilité hors CICE.
Le pacte comporte en effet des mesures de réduction du coût du travail :
- une exonération des cotisations patronales versées aux Urssaf ;
- une révision du barème des allègements existants jusqu'à 1,6 fois le Smic ;
- une baisse des cotisations familiales pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 Smic.
Le Pacte prévoit également la disparition progressive de la Contribution Sociale de Solidarité des Sociétés (C3S) et la suppression dès 2016, de la contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés.
L'ensemble de ces mesures représente un allègement fiscal pour les entreprises de l'ordre de 6,5 milliards d'euros en 2015 et de 13 milliards d'euros pour 2016, ce qui pour les entreprises du secteur industriel représenterait un baisse d'impôt de 1 milliard en 2015 et de 2 milliards en 2016 -qui s'ajoutent aux effets du CICE, du CIR et du suramortissement exceptionnel. Là encore ce calcul repose sur une répartition de la dépense fiscale proportionnelle au poids de l'industrie dans la valeur ajoutée marchande.
Au total, pour 2015, le cumul des dispositifs fiscaux représente un effort financier vers l'industrie de plus de 7,3 milliards d'euros pour 2015 et de plus de 8 milliards pour 2016.
Et si l'on met bout à bout les financements budgétaires, ceux du PIA et les dépenses fiscales, on obtient un effort financier global pour soutenir les politiques industrielles qui atteint 11,2 milliards d'euros par an.
C'est un chiffre important. Même si certaines enveloppes sont en baisse, même s'il faut se montrer vigilant sur l'évolution du financement de certains dispositifs d'appui, il reste que la nation investit de nouveau fortement dans son redressement industriel.