Intervention de Philippe Leroy

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 novembre 2015 à 9h30
Loi de finances pour 2016 — Missions « économie » et « participations financières de l'etat » - examen des rapports pour avis

Photo de Philippe LeroyPhilippe Leroy, rapporteur pour avis :

Je vais évoquer avec vous le volet « communications électroniques et poste » de la mission « économie ». Je le ferai en deux temps. Tout d'abord, une analyse des évolutions budgétaires pour 2016. Puis quelques développements sur les problématiques actuelles du secteur, à savoir le déploiement de la fibre à travers le plan « France très haut débit », qui a pris le relais du « programme national très haut débit », sans que le contenu n'en soit véritablement changé.

À titre général, je tiens à souligner le manque de lisibilité des crédits consacrés au numérique dans ce projet de budget : nous ne parvenons pas à retracer le financement de certaines actions, comme celle concernant la French Tech par exemple.

L'analyse budgétaire porte tout d'abord sur les actions n°s 4 et 13 du programme n° 134. Elles correspondent à des sommes relativement faibles - 184 millions d'euros - au regard du poids du secteur dans la richesse nationale.

Avec 162 millions d'euros de dotations, l'action n° 4 voit ses crédits reculer de 6 %, après une baisse de 11% l'an passé. Cela s'explique par la baisse de 5% de la dotation de l'Agence nationale des fréquences (ANFR), d'un montant de 31,8 millions d'euros. Cette nouvelle diminution est inquiétante car la subvention pour charges de service public représente 90 % des ressources de l'Agence. Or, celle-ci voit ses missions s'élargir, et ses moyens se réduire.

La loi du 9 février 2015 relative aux ondes électromagnétiques lui a tout d'abord confié de nouvelles missions afin de concilier l'information du public et le déploiement rapide des réseaux numériques. En outre et surtout, l'Agence gèrera, en 2016, le plan d'accompagnement des téléspectateurs, suite au changement de normes de réception de la télévision prévu dans le cadre de la libération de la bande 700 MHz, ou « deuxième dividende numérique ».

Cette action 4 du programme 134 mobilise par ailleurs 119 millions d'euros pour la compensation par l'État des surcoûts de la mission de service public de transport postal, soit une baisse d'environ 11 millions d'euros par rapport au précédent exercice. Ceci en application du protocole d'accord État-Presse-La Poste de 2008, dit « accord Schwartz », portant sur les tarifs postaux de la presse.

Cet accord arrive à échéance le 31 décembre 2015. Des hausses de tarifs de transport très importantes ont été réalisées durant son exécution, entre 2008 et 2015 : + 47 %, inflation comprise ! Sachant que 92 % de la diffusion de cette presse est acheminée par voie postale, les 500 entreprises du secteur, représentant 1 200 titres de presse, attendent donc impatiemment la fixation des nouveaux tarifs. Ce d'autant plus que leur diffusion et leur chiffre d'affaires sont en baisse. Le niveau de ces tarifs sera donc déterminant pour leur équilibre économique. Aussi je questionnerai le ministre sur ce point.

L'action n° 13 est consacrée à la régulation des communications électroniques et des postes. Également en recul de 5 %, avec 21,5 millions d'euros, elle finance l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Et là encore, nous retrouvons une situation d'extrême tension, une sorte d'« effet de ciseaux » entre des dotations publiques en recul et des missions qui s'accroissent.

Cette baisse s'inscrit en effet dans une trajectoire triennale 2015-2017 prévoyant une réduction drastique de ses effectifs et de ses moyens matériels. Les crédits de fonctionnement de l'Agence ont ainsi été réduits de 45 % depuis cinq ans !

Les responsables de l'ARCEP que j'ai auditionnés ont indiqué qu'il manquerait 500 000 euros en exécution d'ici la fin de l'année. Une solution devrait être trouvée par le Gouvernement pour boucler le budget 2015, mais que se passerait-il s'il ne se montrait pas aussi arrangeant dans le futur ?

Cela pose en réalité une question de fond, sur laquelle je m'étais déjà penché l'an dernier : y a-t-il lieu de déléguer à une autorité administrative indépendante un nombre croissant de missions dont l'État devrait demeurer seul garant ? L'action de l'Autorité excède en effet largement aujourd'hui le champ de la régulation, sans qu'elle n'en ait les moyens financiers. Et la loi du 6 août dernier sur la croissance, l'activité et l'égalité des chances, dite « loi Macron », a d'ailleurs continué d'accroître le champ d'action de l'ARCEP.

J'ai pris part à la mission d'information sénatoriale qui a récemment publié un rapport intitulé « Un État dans l'État : canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler ». Il y est évoqué, s'agissant du secteur de l'ARCEP, un « délitement de l'État » et la « perte de l'expertise des administrations centrales, faute de personnels qualifiés en nombre ». Il y a là un sujet d'une grande importance dans le pilotage des politiques numériques, sur lequel il nous faudra revenir.

La mise en oeuvre du plan « France très haut débit », dont les crédits figurent dans le programme 343, illustre parfaitement les limites de cette absence de pilotage étatique.

Ce plan doit nous permettre d'avoir un accès généralisé au très haut débit d'ici 2022, selon l'objectif fixé par le président de la République en février 2013, et un accès pour la moitié de la population dès 2017. Vous le savez, les usages de l'internet explosent, et ne vont cesser d'augmenter ; il faut demain que nos réseaux soient en mesure d'y donner accès sur l'ensemble du territoire.

La priorité a été donnée à la fibre optique, qui doit desservir 80 % des foyers en 2022. Mais la « montée en débit » est également soutenue, dans les territoires où la fibre n'arrivera pas de sitôt.

La réalisation du réseau optique a été confiée à :

- des opérateurs privés comme, Orange et SFR-Numéricable, notamment. Ils se sont engagés, dans les zones à haute densité démographique (dites « zones à manifestation d'intention d'investissement », ou « zones AMII »), soit 3 500 communes et 57 % de la population, pour un coût de 6 ou 7 milliards d'euros.

L'opérateur historique, Orange, dispose encore d'une autorité et d'une influence déterminants. Or, le rythme qu'il impose est particulièrement lent. En effet, il n'a pas d'intérêt à favoriser la transition d'un réseau qu'il possède et maîtrise entièrement, à un nouveau réseau où il se trouvera en concurrence avec les autres opérateurs ;

- les collectivités publiques, en parallèle, s'engagent dans les zones non retenues par le privé - certains quartiers de villes, les zones suburbaines, le rural profond - à construire des réseaux d'initiative publique (RIP).

La couverture de ces zones coûtera 13 ou 14 milliards d'euros. Elle proviendra pour une moitié de subventions publiques, et pour l'autre de cofinancements et du produit d'exploitation des RIP.

La gouvernance publique de cette politique reste centralisée, mais se partage entre plusieurs structures : l'Agence nationale pour le numérique, l'ARCEP, le Commissariat général à l'investissement (CGI), la Caisse des dépôts et consignations (CDC)... À l'échelon régional, les préfets disposent simplement d'un agent consacré à ces problématiques.

La mise en oeuvre du plan France très haut débit se heurte aujourd'hui à plusieurs difficultés, dont la première réside dans le manque de financement des RIP.

L'État a annoncé qu'il mettait à leur disposition 3,3 milliards d'euros, dont 1,5 ont déjà été engagés. Cependant, les 900 millions d'euros du Fonds national pour la société numérique (FSN) mobilisés à cet effet tardent à être débloqués au profit de leurs bénéficiaires. Il faut au moins deux ans à une collectivité, en effet, pour obtenir le « feu vert » du Premier ministre sur un dossier de financement de RIP.

En outre, le système de soutien prévu par la France, notamment à la montée en débit sur les réseaux cuivre, n'a pas été agréé par les instances européennes, car il finance le réseau d'un unique opérateur privé.

L'absence de visibilité sur le calendrier d'exécution et sur la volonté des opérateurs privés de réaliser leurs engagements en zones denses constitue une autre difficulté. La concurrence entre les opérateurs prend des chemins inattendus à la suite des restructurations qu'elles connaissent, et notamment du rachat de SFR par Numéricable.

En définitive, c'est donc une politique « au fil de l'eau » qui s'installe, gérée par un « navire sans pilote », avec le risque de voir les usages d'internet exploser sans trouver de réponse pour tous et sur tout le territoire, et certaines zones accuser un retard croissant avec celles les mieux desservies.

Voilà, Monsieur le Président, mes chers collègues, ma contribution à cette mission « économie », et les nombreuses interrogations qu'elle suscite dans son volet numérique. Afin de tirer un signal d'alarme sur les évolutions de la politique des pouvoirs publics en la matière, je vous propose fort logiquement un avis défavorable sur l'adoption des crédits correspondants.

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