Le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » est l'outil budgétaire de contrôle de la gestion du portefeuille financier de l'État.
Ses recettes proviennent de la cession des titres détenus par l'État et ses dépenses servent à financer l'entrée ou la montée de l'État au capital de certaines entreprises, ainsi que la réduction du stock de la dette publique au travers de versements à la Caisse de la dette publique.
L'examen de ce compte d'affectation spéciale constitue un exercice un peu particulier, puisque le bleu budgétaire associé à ce compte est presque totalement dépourvu d'éléments prévisionnels. Tant du côté des dépenses que des recettes, les sommes inscrites par le projet de loi de finances initiale revêtent en effet un caractère conventionnel et n'apportent donc aucune information véritable sur le volume et la nature des opérations qui seront menées, ni sur la part des dépenses qui serviront au désendettement.
Pour 2016, comme ce fut le cas les années précédentes, le projet de loi de finances initiale prévoit ainsi 5 milliards d'euros de recettes tirées de la cession des titres de l'État et 5 milliards d'euros de dépenses, qui seront réparties en principe en une enveloppe de 3 milliards pour acquérir de nouveaux titres et une autre de 2 milliards pour financer le désendettement.
La discrétion des informations fournies par le gouvernement sur les acquisitions et cessions à venir est évidemment liée à la nature financière de ces opérations. La stratégie de cession dépend en effet largement de la situation des marchés, très difficile à anticiper, des projets stratégiques des entreprises intéressées, de l'évolution de leurs alliances ainsi que des orientations industrielles retenues par le Gouvernement. Dans ce contexte mouvant, l'agence des participations de l'État ne peut indiquer par avance son programme : elle doit donc agir en opportunité et avec réactivité, dans le respect des grandes lignes de la doctrine de l'État actionnaire.
Au-delà de l'analyse de prévisions budgétaires qui sont purement conventionnelles, mon travail du rapporteur budgétaire consiste en réalité à faire le point annuellement sur les évolutions constatées du compte « participations financières », à analyser les stratégies industrielles et financières sous-jacentes aux décisions prises et à formuler des préconisations relatives à l'évolution future de ces stratégies.
Concernant l'évolution de la composition et du montant du portefeuille des participations de l'État au cours de l'année écoulée, il faut retenir les points suivants :
- Au 30 avril 2015, le portefeuille financier géré par l'agence des participations de l'État était évalué à 110 milliards d'euros, stable en valeur par rapport à l'année précédente ;
- les participations de l'État sont désormais réparties dans 77 entreprises contre seulement 74 entreprises il y a un an. Au cours de l'année écoulée, l'État a en effet investi près de 300 millions d'euros pour entrer au capital de trois nouvelles sociétés : l'Aéroport de Marseille-Provence, la Société aéroportuaire de Guadeloupe Pôle Caraïbes et STX France ;
- les entreprises dans lesquelles l'État détient une participation sont présentes dans quatre grands secteurs. Les transports (Air France-KLM, groupe SNCF, Aéroports de Paris, RATP, multiples ports et aéroports en régions), l'énergie (EDF, ENGIE, AREVA), les services et la finance (Orange, La Poste, groupe BPI, Française des jeux, CNP assurances, Dexia, Semmaris, Radio France, France Télévisions) et l'industrie, avec un volet industrie de défense (Airbus, Safran, Thalès, Giat, DCNS) et un volet industrie automobile (Peugeot, Renault) ;
- le secteur de l'énergie est cependant prépondérant. Les participations dans le secteur de l'énergie (EDF, ENGIE, AREVA) atteignent en effet à elles seules un montant de 51,3 milliards. Elles représentent plus de 60 % en valeur du portefeuille coté de l'État et près de la moitié de son portefeuille total ;
- compte tenu du poids des entreprises du secteur de l'énergie dans le patrimoine financier de l'État, la valeur boursière de ce dernier est extrêmement sensible à la variation du cours des entreprises énergétiques. Les évolutions marquées du cours de l'action d'EDF, en lien avec les évolutions conjoncturelles et structurelles fortes du marché de l'énergie, expliquent l'essentiel des variations de valeur du portefeuille de l'APE : forte baisse entre 2010 et 2012, très forte hausse entre 2012 et 2013, avec un doublement de l'action d'EDF qui a mécaniquement provoqué une hausse de près de 50% du portefeuille de l'État ; depuis deux ans, la tendance s'est de nouveau inversée, la baisse de l'action entraînant avec elle celle du portefeuille de l'État (-2 % entre avril 2014 et avril 2015) ;
- enfin, concernant la composition du portefeuille, on peut noter que 13 entreprises, soit 16 % du total, sont des sociétés cotées au CAC 40 : EDF, ENGIE (ex-GDF-Suez), Areva, Aéroports de Paris, Airbus, Air France-KLM, Safran, Thalès, Renault, PSA, Orange, CNP assurances et Dexia. Minoritaires en nombre, ces sociétés cotées représentent néanmoins 75 % du total en valeur du portefeuille financier de l'État, puisque leur valorisation boursière s'établit à 83,1 milliards d'euros au 30 juin 2015.
Pour ce qui concerne les principales opérations de cession et d'acquisition de l'année écoulée, il faut signaler les faits suivants.
L'État a procédé en 2015 à des cessions de titres pour un montant total de 2,8 milliards d'euros :
- deux opérations de cession ont concerné GDF-Suez. En février, une offre réservée aux salariés a conduit à céder 1,3 millions de titres pour une valeur de 26,6 millions d'euros. En juin 2015, l'État a lancé une cession au « fil de l'eau » qui a abouti à la vente de 11,6 millions de titres (soit 0,48 % du capital de la société) pour un montant de 206 millions d'euros. Au terme de l'opération, l'Etat détient 32,76 % du capital ;
- 6,5 millions de titres Safran ont été vendu en mars 2015 pour la somme de 1,033 milliard d'euros. Cette cession visait à tirer parti de la très bonne appréciation par les marchés financiers de Safran. Elle ne modifie en rien la stratégie de l'État vis-à-vis de l'entreprise. Le jeu des droits de vote double permet d'ailleurs à l'État de retrouver depuis le 24 juillet un niveau de droits de vote (27,4 %) supérieur à celui dont il disposait avant la cession (25,4 %) ;
- enfin, l'État a annoncé le 4 décembre 2014 qu'il retenait le consortium Symbiose comme acquéreur de sa participation de 49,99% au capital de la société Aéroport Toulouse Blagnac. Autorisé par l'arrêté du 20 mars 2015, cette cession a rapporté à l'État 308 millions d'euros.
Pour ce qui est des acquisitions, l'État en a réalisées en 2015 pour un montant total de 1,69 milliard d'euros :
- la principale opération concerne l'acquisition de 14 millions de titres Renault (soit 4,73 % du capital de l'entreprise) pour un montant de 1,258 milliard d'euros. Cette acquisition est directement liée à l'adoption de la loi Florange, puisque l'État est monté au capital pour rejeter une résolution qui visait à empêcher la mise en place des droits de vote doubles. Cette montée de l'État au capital de Renault n'est en principe que temporaire ;
- l'acquisition de titres Air France-KLM pour 42 millions d'euros en mai 2015 constitue une autre opération importante sur le plan de l'affirmation du rôle de l'État actionnaire. L'État a en effet souhaité se donner les moyens de soutenir l'adoption des droits de vote doubles dans un contexte où une résolution s'opposant à leur introduction était soumise au vote des actionnaires lors de l'assemblée générale du 21 mai. L'État a ainsi acquis entre le 8 et le 13 mai 5,1 millions de titres portant sa participation au capital de l'entreprise de 15,88 % à 17,58 %.
Quelques mots maintenant sur les revenus courants générés par ce patrimoine.
En 2014, les dividendes perçus par l'État ont atteint près de 4,1 milliards d'euros, en légère baisse par rapport à 2013.
La loi de finances initiale avait prévu pour 2015 des dividendes d'un montant de 3,7 milliards d'euros. L'État ayant accepté qu'une partie des dividendes versés par EDF lui soient versés sous forme de titres, seuls 3,2 milliards d'euros devraient finalement être versés en numéraire et inscrits en recettes au budget général.
Pour 2016, le document d'évaluation des recettes du projet de budget en cours d'examen prévoit que la rémunération des participations de l'État devrait atteindre 3,3 milliards d'euros.
La provenance de ces dividendes est très concentrée. En 2014, 28 entreprises sur 74 ont rémunéré l'État pour sa participation à leur capital. Parmi elles, six entreprises lui ont versé des dividendes supérieurs à 100 millions d'euros et, à elles seules, ces six entreprises ont représenté 89 % du total des dividendes reçus par l'État.
Les deux plus importants contributeurs sont EDF (avec 1,965 milliard d'euros de dividendes versés à l'État en 2014), et GDF-Suez (avec 1 milliard d'euros). Ils pèsent pour plus de 70 % dans le total des dividendes de l'État.
Soucieux d'être un partenaire de moyen ou long terme pour les entreprises d'intérêt stratégique national dans lesquelles il investit, l'État mène une politique « mesurée » en matière de dividendes.
Cette « mesure » n'empêche toutefois pas le portefeuille de l'APE d'être rémunérateur. Le rendement des actions cotées de l'État s'établit en effet à 5,3 % en 2014, nettement au-dessus du rendement du CAC 40, qui est de seulement 3,5 %.
Ce rendement élevé est la conséquence directe de la composition sectorielle de son portefeuille de titres. Les taux de rémunération du capital dans les entreprises du secteur de l'énergie sont en effet à la fois plus stables et plus élevés que dans les secteurs cycliques et plus fortement concurrentiels.
Comme vous le savez, ces dividendes alimentent les recettes courantes du budget général, alors qu'on aurait pu imaginer qu'ils puissent être reversés directement sur le compte d'affectation spéciale.
Je regrette ce choix.
Il a en effet pour conséquence que le désendettement est financé par la vente des titres du portefeuille au lieu d'être financé par les dividendes. En 2014, 1,5 milliard d'euros tirés des cessions de titres ont ainsi été affectés à la diminution de la dette nette des administrations publiques. En 2015, il est encore prévu de consacrer à cet objectif 2 milliards d'euros tiré de la vente des actions de l'État. Quant à l'année prochaine, le projet de loi de finances compte consacrer au désendettement public 2 milliards d'euros issus du produit de cession des titres gérés par l'agence des participations de l'État.
Si je souscris sans réserve à l'objectif de réduction de la dette publique, je trouve qu'il n'est pas optimum d'un point de vue économique de se désendetter en cédant les titres du portefeuille de l'État.
En effet, la dette des administrations publiques, de l'ordre de 2100 milliards d'euros actuellement, génère une charge annuelle qui atteint environ 45 milliards d'euros. La charge de la dette représente donc 2,1% de la dette. Dans le même temps, les participations financières de l'État, d'une valeur de 110 milliards d'euros, génèrent un revenu annuel de l'ordre de 3,5 à 4 milliards d'euros (4,1 milliards en 2014 ; 3,7 milliards en 2015 selon les dernières évaluations). Les dividendes offrent donc un rendement qui représente entre 3,2 et 3,6 % du capital détenu.
Compte tenu du différentiel entre le coût annuel de la dette et le niveau de rémunération des participations financières de l'État, il serait plus profitable pour l'État de conserver ses titres plutôt que de les aliéner pour diminuer son stock de dettes.
Ce sont donc les dividendes générés par les participations qui devraient financer le désendettement plutôt que le produit des cessions de titres. Ces dernières devraient plutôt être réinvesties, en particulier dans des entreprises de taille intermédiaire à fort potentiel de croissance créatrices d'emplois territorialisés. C'est une préconisation que j'avais déjà faite l'année dernière.
Je terminerai ce rapport en donnant quelques indications sur les cessions et acquisitions susceptibles d'intervenir en 2016 et, plus généralement, sur les inflexions qui me paraissent souhaitables dans les pratiques de l'État actionnaire.
Tout d'abord, vous le savez tous, on s'oriente vers une recapitalisation d'Areva assez massive.
À la fin de 2014, Areva a annoncé un résultat net négatif de 4,8 milliards d'euros. Face à cette situation, le Président de la République a annoncé en juin un plan de « refondation de la filière nucléaire », qui prévoit la séparation des activités « combustible » d'Areva de ses activités de construction de réacteurs.
Areva Nuclear Power (ou Areva NP), anciennement Framatome, la filiale du groupe Areva spécialisée dans l'ingénierie des réacteurs des centrales nucléaires, passera sous le contrôle d'EDF. EDF devrait racheter en effet 51 % de la société Areva NP d'ici à la fin 2016. Dans le plan prévu, Areva conservera une partie du capital d'Areva NP. Le reste du capital pourrait être cédé à des tiers, comme le groupe japonais Mitsubishi Heavy Industries.
Areva, désormais ramenée au périmètre de l'ancienne Cogema (mines, enrichissement de l'uranium, retraitement, recyclage des déchets), procédera par ailleurs à la cession de certains actifs, comme la filiale Canberra qui conçoit, fabrique et commercialise des équipements et systèmes pour détecter et mesurer la radioactivité.
Au final, l'État devrait être amené à recapitaliser Areva pour un montant de l'ordre de 3 milliards d'euros en puisant dans les ressources du CAS « Participations financières de l'État » et en cédant une partie des titres.
Le CAS « Participations financières de l'État » devrait également enregistrer en 2016 la cession des participations majoritaires de l'État au capital des aéroports de Nice et de Lyon.
Ces cessions ont été autorisées par l'article 191 de la loi Macron.
Je rappelle qu'il s'agit de céder uniquement les participations dans les sociétés de gestion des aéroports. Les infrastructures aéroportuaires et le foncier demeureront la propriété de l'État.
Concernant la procédure de cession, elle reposera sur un appel d'offres sur cahier des charges, sous le contrôle de la Commission des participations et des transferts, autorité indépendante chargée de superviser les opérations de cession menées par l'État.
L'article 191 de la loi dite Macron précise que : « le cahier des charges de l'appel d'offres devra préciser les obligations du cessionnaire relatives à la préservation des intérêts essentiels de la Nation en matière de transport aérien, ainsi que ceux du territoire concerné en matière d'attractivité et de développement économique et touristique. Il précise également les obligations du cessionnaire afin de garantir le développement de l'aérodrome en concertation avec les collectivités territoriales sur le territoire desquelles il est installé ainsi qu'avec les collectivités territoriales actionnaires ».
En outre, la loi du 6 août 2015 prévoit que : « les candidats au rachat des parts de l'État disposent d'une expérience en tant que gestionnaire d'aéroport ou actionnaire d'une société gestionnaire d'aéroport ».
Ces dispositions montrent que les critiques et les préconisations que j'avais faites l'année dernière à l'occasion de la cession de l'aéroport de Toulouse-Blagnac ont été entendues et prises en compte. Devant les conditions peu satisfaisantes de la privatisation de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, j'avais en effet souligné que l'État actionnaire devait davantage prendre en considération les logiques économiques territoriales lorsqu'il cède un actif stratégique du point de vue de l'activité économique locale.
Je rappelle pour finir sur la question des cessions à venir que la question de l'investissement dans Alstom reste pendante.
Le montage des opérations de cession à General Electrics des activités d'Alstom dans le domaine de l'énergie comporte une option d'accès de l'État à 20 % du capital d'Alstom, via une promesse de vente octroyée par Bouygues. La possibilité de cette cession dépend de l'évolution du cours de l'action d'Alstom et représenterait, si elle avait lieu, un investissement de plus de 2 milliards d'euros.
Je répète donc ce que j'ai indiqué l'année passée, à savoir que des sommes aussi importantes devraient être mobilisées de préférence pour des acquisitions plus offensives, en particulier dans des ETI porteuses d'un fort potentiel de croissance, d'innovation et d'emploi.
Un mot de conclusion concernant les moyens humains mobilisés par l'État pour remplir son rôle d'actionnaire. Je tiens à répéter ce que j'ai déjà souligné précédemment, à savoir qu'il est indispensable de dynamiser la gestion du portefeuille financier de l'État en ouvrant plus largement la fonction d'administrateur à des personnalités issues du monde de l'entreprise.