Monsieur le Président, mes chers collègues, je vous présente aujourd'hui les principaux axes de mon rapport sur les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2016.
L'idée directrice est que ce budget est globalement sauvegardé, mais il doit être assorti de mesures offensives pour stimuler l'économie des outre-mer. Entendons-nous bien : à mon sens, l'offensive ne consiste pas à multiplier les normes, mais à réduire l'instabilité et la complexité du cadre juridique et fiscal. Je formulerai donc quelques propositions fiscales et non-fiscales pour encourager l'investissement dans ces douze territoires situés dans le Pacifique, dans l'Atlantique, dans l'Océan indien et en Amérique du Sud.
Mon premier thème porte sur le présent et l'avenir budgétaire avec une stabilisation rassurante des crédits de paiement et une diminution plus inquiétante des autorisations d'engagement.
Vous vous en souvenez, lors de son audition en commission la ministre a présenté, à juste titre, la stabilité des crédits de la mission outre-mer comme un point positif. Je précise que nous parlons ici du maintien pour 2016 des crédits de paiements (CP) au-dessus du seuil de deux milliards d'euros, soit un demi pour cent du budget de l'État, mais nous nous situons 44 millions d'euros en-dessous du plafond triennal. On constate aussi une baisse de 3,1 % des autorisations d'engagement (AE) par rapport à 2015 et c'est un signal plus inquiétant pour l'avenir budgétaire ultramarin.
Économiquement, que signifie pour les outre-mer cette stabilité ? Dès 2009, j'avais, avec notre délégation sénatoriale aux outre-mer, annoncé l'achèvement d'un cycle. Depuis 30 ans, c'est l'emploi public qui a servi d'amortisseur - ou de « buvard social » - face aux chocs économiques, tant outre-mer que dans un certain nombre de territoires de l'hexagone. Ce qui caractérise la crise actuelle c'est avant tout l'impossibilité d'appliquer ce remède traditionnel.
Dès lors, pour offrir aux jeunes ultramarins des perspectives autres qu'un taux de chômage de 50 % ou l'exil, il nous faut absolument éviter de brutaliser la sphère publique tout en favorisant la création de richesse par les entreprises locales. Car, comme vous le savez, lorsque le taux de chômage dépasse certains seuils, ce sont les bases de la démocratie qui vacillent. De ce point de vue, si la situation est critique en métropole elle est explosive dans les outre-mer.
En même temps, je tiens à y insister, les ultramarins participent à l'effort de rigueur budgétaire. Tout d'abord, les mesures restrictives prises en 2015 produisent leurs effets : par exemple, l'an dernier, l'aide à la rénovation hôtelière a été abrogée et l'aide à la continuité territoriale a été recalibrée. Je rappelle également qu'entre 2009 et 2013, une vingtaine de mesures restrictives ont été adoptées en matière de défiscalisation. Ensuite, pour 2016 comme en 2015, les moyens du ministère de l'Outre-mer sont revus à la baisse, conformément la norme générale de productivité.
Enfin, je veux souligner tout particulièrement la poursuite de la baisse des dotations aux collectivités territoriales ultramarines avec une diminution de 80 millions d'euros dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales ultramarines ». Certes, on constate dans la mission « outre-mer » une légère augmentation de 6 millions d'euros des crédits en faveur de la politique contractuelle entre État et collectivités mais le compte n'y est pas. Or ce sont bien les collectivités ultramarines qui sont en première ligne pour prendre en charge les personnes les plus fragiles. C'est pourquoi j'insiste sur l'idée d'une dotation spécifique d'amorçage pour accompagner, en Guyane et en Martinique, la toute prochaine fusion entre départements et régions.
En définitive, pour 2016, les crédits directement gérés par le ministère des Outre-mer devraient progresser de plus de 0,3% par rapport à la loi de finances pour 2015, pour s'établir à 2,08 milliards d'euros en AE et à 2,06 milliards d'euros en CP. Toutefois, cela ne représente qu'une petite partie de l'effort global de l'État au bénéfice des départements et collectivités d'outre-mer, qui s'élève à 14,5 milliards d'euros. Cet effort n'a rien d'exceptionnel par rapport aux autres territoires puisqu'il s'agit principalement de dépenses relatives aux pouvoirs régaliens de l'État (Intérieur, Éducation, Justice). Globalement, j'observe que ces 14,5 milliards d'euros représentent 3,8 % des dépenses de l'État pour 2,7 millions d'ultramarins, soit 4,05% de la population totale (66,7 millions en 2015).
J'en viens à l'analyse des deux programmes de la mission « outre-mer ».
Le programme 138 « Emploi outre-mer » a pour finalité d'encourager la création d'emplois et la compétitivité des entreprises ultramarines. L'éloignement géographique, l'exiguïté, l'insularité des territoires, l'étroitesse des marchés, l'exposition aux risques naturels et la proximité de pays à très bas salaires sont autant de handicaps qu'il faut compenser. N'oublions pas que nos voisins sont aussi nos concurrents. Dans le domaine touristique, par exemple, pour des produits équivalents, les prix pratiqués sont souvent inférieurs aux nôtres et je rappelle qu'en République Dominicaine, on recrute à 300 euros par mois. En même temps - on ne le souligne pas assez - les entreprises ultramarines sont soumises à des normes et des exigences de certification similaires à celles de l'hexagone.
L'action 1 du programme porte sur la compensation des exonérations de charges sociales spécifiques aux outre-mer. Les crédits s'élèvent à 1,11 milliard d'euros pour 2016, en baisse de 28,3 millions d'euros par rapport à 2015. Cette baisse concerne les allègements de charges spécifiques à l'outre-mer et, sur ce point, la réforme adoptée en loi de finances pour 2014 et celle que prévoit le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 vise à renforcer de plus en plus la concentration de ces allègements sur les bas salaires et sur les secteurs exposés prioritaires.
Selon le Gouvernement, la diminution des exonérations spécifiques aux outre-mer est compensée, d'un autre côté, par l'augmentation des allègements de charges de droit commun et par des taux majorés du CICE outre-mer, soit 9% de la masse salariale en 2016 contre 6 % en métropole.
Sans entrer dans une très complexe querelle de chiffres sur la mesure exacte de cette compensation, je formule trois observations. Tout d'abord, il faut reconnaitre que le dispositif antérieur est préservé dans les secteurs prioritaires définis par la loi du 27 mai 2009, à savoir : le tourisme, les énergies renouvelables, l'agro-nutrition, la recherche-développement et les technologies de l'information. Cependant, en pratique, le droit applicable à ces allègements et au CICE n'est pas simple, et cette complexité risque d'ailleurs de dissuader certaines entreprises d'y recourir.
J'insisterai surtout sur l'impact du principe même de la concentration des allègements sur les bas salaires. Certes, selon les modèles économétriques, ce ciblage est le plus efficace à court terme pour favoriser les embauches. Cependant, à plus long terme, il faut tenir compte des effets de structure de ces allégements de charge. J'ai retenu de l'audition de Louis Gallois par notre commission que l'encouragement des embauches au salaire minimum n'est pas sans lien avec la désindustrialisation de notre pays et une spécialisation insuffisante de notre production dans le haut de gamme. J'ajoute que cette trappe à bas salaires a tendance à conduire les diplômés ultramarins à s'orienter vers la fonction publique ou vers l'exil vers l'Hexagone ou l'étranger, alors qu'il est impératif, d'une part, de rééquilibrer le secteur public et le secteur marchand, d'autre part, de monter en gamme et enfin, d'éviter les effets de seuil pour les entreprises.
Dans ce programme 138, je mentionne également l'action n° 2 qui finance principalement le service militaire adapté (SMA), c'est-à-dire un stage d'un an qui s'adresse aux jeunes ultramarins, garçons ou filles, âgés de dix-huit à vingt-six ans, et comprend un mois de formation militaire, ainsi que 800 heures de formation professionnelle. Le succès de cette formule - 80 % de taux d'insertion - a conduit, depuis 2009, à viser le doublement des effectifs pour les porter à 6 000 en 2017. Je suis très attentif au maintien de la qualité des stages et je me demande s'il ne faudrait pas s'inspirer de ce dispositif pour l'Hexagone.
J'en viens à présent au programme 123 « Conditions de vie outre-mer » qui se décline en 8 actions. Ses crédits augmentent de 2,7 % en 2016, avec une dotation de 702 millions euros.
Un mot sur une mesure nouvelle incluse dans l'action n° 3 relative à la « Continuité territoriale » : il s'agit de la création d'un nouveau dispositif d'aide à la continuité funéraire visant à faciliter le rapatriement du corps des défunts ultramarins et à permettre aux familles d'assister aux obsèques. Il y a là un symbole très fort, car les Ultramarins restent marqués par le souvenir du déracinement de nombre de leurs jeunes, notamment à la Réunion, durant les années 60.
Par ailleurs, au sein du programme 123, je me félicite de la montée en puissance de la nouvelle génération des contrats de plan État-Région. Les crédits qui y sont dévolus s'élèvent à 137 millions d'euros en autorisations d'engagement - c'est une stabilisation mais augmentent de 4 % en crédits de paiement, avec 161 millions d'euros pour 2016.
Bien que la plupart des actions soient préservées ou augmentent légèrement, je regrette tout particulièrement que l'objectif fixé par le Président de la République de doter le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) de 500 millions d'euros entre 2013 et 2017 ne soit désormais pas en mesure d'être atteint. Pour 2016, les autorisations d'engagement se limitent à 40 millions d'euros, soit une hausse de 1,8 % par rapport à 2015, et les crédits de paiement à 27,9 millions d'euros, soit une hausse de 8,6 %. Ces crédits ont un effet de levier considérable pour l'investissement, et leur augmentation favoriserait l'offensive économique.
Je me concentrerai ici sur le logement qui est une des principales difficultés de la vie quotidienne des Ultramarins. Je rappelle que les besoins en logements sociaux sont très importants pour des raisons démographiques et parce que la proportion des ménages à bas salaires est élevée. Concrètement, en Martinique, on recense aujourd'hui près de 11 500 demandes de logement social et, selon l'INSEE, il faudrait construire pour la période 2010-2040, 2 500 à 3 000 logements neufs par an. Or en moyenne depuis 2006, 489 logements sociaux ont été financés tandis que 403 ont été livrés par an. Nous sommes donc très loin du compte !
De plus, le nombre de logements classés comme insalubres par l'État est d'environ 68 000 et concerne plus de 150 000 personnes. Les cinq DOM, à travers des situations différentes, ont en cependant en commun une urbanisation rapide et mal maîtrisée.
Or, bien que cette politique demeure une priorité gouvernementale, on constate, dans ce programme 123, une baisse de 9 millions d'euros, en crédits de paiements, sur l'action Logement. Je précise que sur les 234,6 millions d'euros prévus en 2016, 50,3 millions d'euros sont destinés aux ménages, dont 20,1 millions en faveur de l'accession à la propriété et 29,7 millions d'euros destinés à l'amélioration de l'habitat privé, et 140,5 millions d'euros sont destinés aux opérateurs, dont 125,8 millions d'euros au logement locatif social et 6 millions d'euros à l'amélioration du parc locatif social.
Le but fixé pour 2016 est de financer 6 953 logements locatifs, en retrait de 12,5 % par rapport à l'année précédente, puisqu'il était de 7 950 logements en 2015. Pour l'instant, nous sommes donc encore éloignés des objectifs fixés par le plan logement outre-mer, qui doit s'étaler sur cinq ans, et vise un minimum de 10 000 logements sociaux par an.
Je rappelle ici que le soutien budgétaire est fondamental pour compléter l'aide fiscale à l'investissement et le crédit d'impôt en faveur du logement social, dont le terme a été porté à 2020, dans le texte du projet de loi de finances pour 2016 qui vient d'être adopté par les députés et à 2025 pour les autres collectivités ultramarines relevant de l'article 74 de la Constitution.
En définitive, nos possibilités d'actions sur ces crédits sont limitées : nous avons d'un côté une diminution des crédits du programme 138 qui porte sur l'emploi et une augmentation de même montant du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » : compte tenu des besoins dans ces deux domaines, il me parait difficile de modifier les équilibres prévus, à enveloppe globale inchangée.
C'est donc surtout en travaillant à rendre plus stable et plus lisible le cadre juridique et fiscal que nous pourrons faciliter l'offensive économique dans nos outre-mer. Je proposerai ou soutiendrai donc plusieurs amendements à l'article 43 du projet de loi de finances qui porte sur le soutien à l'investissement dit « défiscalisation ». Ces modifications sont inspirées par le pragmatisme et, en particulier, le souci de calibrer les opérations de réhabilitation de logements de façon aussi réaliste que possible.
Je résumerai le message qu'expriment les remontées de terrain en rappelant que « le temps c'est de l'argent », et on en perd encore trop en Outre-mer. En matière de logement social, par exemple, qui est un domaine particulièrement encadré, il est urgent de permettre aux opérateurs de se mieux se concentrer sur leur coeur de métier qui est de construire, car le temps consacré à remplir des dossiers atteint aujourd'hui des seuils excessifs. Ce dont souffrent aujourd'hui nos outre-mer, c'est surtout d'un manque de stabilité et de visibilité. Tous les ans, lors de la discussion de la Loi de Finances, nous redoutons que surgissent de nouvelles incertitudes juridiques et la modification du paradigme économique et fiscal de nos territoires. Afin de rétablir et d'instaurer un climat de confiance propice à l'investissement, il faut que les gouvernements garantissent le maintien de dispositifs pluriannuels et pérennes.
Dans le contexte difficile que nous connaissons, les crédits de la mission outre-mer sont malgré tout sauvegardés et par conséquent, chers collègues, je vous invite à les voter.