Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 29 octobre 2015 à 8h35
Compte-rendu par mme brigitte gonthier-maurin et par m. didier mandelli d'un déplacement à madagascar suite du travail de la délégation sur les femmes et le dérèglement climatique

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

Madame la présidente, mes chers collègues, merci de nous accorder ces quelques instants pour vous relater la visite de terrain que nous avons effectuée du 6 au 11 septembre dernier, Didier Mandelli et moi, à Madagascar.

La délégation dont nous faisions partie réunissait quatre parlementaires : deux sénateurs et deux députés, issus de plusieurs groupes politiques et constituée à parité. La parité était d'ailleurs une condition de ma participation, comme vous pouvez l'imaginer. Je remercie Didier Mandelli d'être à mes côtés pour cette présentation. Il pourra vous faire part dans un instant de ses impressions. Nous gardons tous les deux, comme vous pouvez l'imaginer, des souvenirs très forts de cette mission.

Vous connaissez sans doute Care : cette ONG internationale a été fondée en 1945 ; son réseau est présent dans 90 pays. Care fait en sorte, dans ses programmes, de prêter une attention particulière à la condition des femmes, premières victimes de la pauvreté dans le monde.

L'ambition de notre visite de terrain était d'intensifier la sensibilisation des parlementaires français sur les questions climatiques, à quelques semaines de la COP 21, et de leur permettre d'appréhender concrètement les impacts du changement climatique sur les populations et les communautés les plus vulnérables - au premier rang desquels les femmes. L'objectif était aussi d'observer les défis et solutions développés par les acteurs tels que les ONG, les associations locales, les municipalités, les régions et l'Union européenne, avec l'appui de divers bailleurs.

Cette mission avait donc pour fil rouge « le changement climatique à travers les yeux des femmes » et s'est particulièrement concentrée sur les questions de sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Cette démarche devrait avoir des suites. Une réflexion est ouverte pour y associer à l'avenir plus étroitement des parlementaires malgaches et solliciter des parlementaires européens. Nous avons d'ailleurs appris, Didier Mandelli et moi, que deux nouvelles initiatives seraient mises en place prochainement par Care France avec le Bundestag allemand, ce qui pourrait constituer la préfiguration d'un réseau international de parlementaires mobilisés en faveur de la coopération, du développement et de l'engagement dans la lutte pour relever le défi des changements climatiques.

Au cours de notre mission, avons pu rencontrer différents acteurs travaillant à Madagascar : l'association Care, bien sûr, mais aussi l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le Fonds mondial pour la nature (WWF). Nous avons également eu des contacts avec des Français travaillant à Madagascar auprès de l'Agence française de développement (AFD) et de l'ambassade de France, ainsi qu'avec les acteurs de la coopération décentralisée entre France et Madagascar. Nous avons eu aussi des entretiens avec des responsables malgaches.

Au-delà de la capitale, Antananarivo, nous avons fait des déplacements en région :

- à Andasibe, sur les liens entre déforestation et changement climatique ;

- à Vatomondry, sur le sujet de l'éducation des jeunes, plus particulièrement des filles, aux préventions et aux réductions des risques de catastrophes et sur un projet d'autonomisation économique des femmes développé par Care avec une association villageoise d'épargne et de crédit (ce que l'on appelle les AVEC). Ces populations, très pauvres, n'ont en effet pas accès au micro-crédit pratiqué par les organismes bancaires, comme vous pourrez le voir dans le film qui va vous être projeté ;

- au Centre nutritionnel et d'accueil des femmes, à Antananarivo, avec Action contre la faim (ACF).

En ce qui concerne les autorités malgaches, nous avons rencontré le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale ainsi que des députés.

J'en viens, sous le contrôle de Didier Mandelli, à ce que nous avons pu observer très concrètement au cours de ce déplacement.

Le changement climatique est déjà bien perceptible à Madagascar, avec notamment la survenue de cyclones plus fréquents, migrant davantage de l'est vers le nord du pays. La Banque Mondiale estime d'ailleurs à cinq millions le nombre de personnes vivant dans des zones à risques.

Le changement climatique accentue fortement les vulnérabilités existantes. Les phénomènes liés au climat (sécheresse, inondation) réduisent les récoltes - quand elles ne les détruisent pas totalement - et hypothèquent la capacité des populations locales à produire en quantité suffisante pour répondre aux besoins des familles et assurer leur subsistance.

L'augmentation des surfaces d'eau stagnante contribue à une augmentation des maladies hydriques comme les diarrhées, et à une apparition du paludisme dans la capitale malgache, jusqu'alors épargnée.

Les femmes, surreprésentées parmi les personnes les plus vulnérables, et dépendantes des ressources naturelles et des revenus disponibles pour leur subsistance, sont particulièrement touchées. Poser la question de leur plus grande autonomisation, c'est donc contribuer à aider les populations les plus vulnérables à devenir plus résilientes en terme de santé, d'agriculture et de moyens de subsistance pour faire face au changement climatique.

Lutter contre les effets du changement climatique consiste tout à la fois à agir contre ses causes, telles que les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi à s'adapter aux effets déjà observés sur le terrain. Il est nécessaire, comme vous le savez, d'agir simultanément sur ces deux fronts.

J'en viens à Madagascar, un cas emblématique à bien des égards de la gravité des problèmes posés par le dérèglement du climat. 5 % de la biodiversité mondiale y est localisée. Madagascar est parmi les quatre pays les plus exposés aux risques climatiques et parmi les seize pays les plus pauvres du monde.

La population y a quadruplé en quelques années, avec 22 millions de personnes environ. Il s'agit d'une estimation car il n'y a pas de recensement depuis plusieurs années.

91 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, avec moins de deux dollars par jour. 70 % des Malgaches sont même en-dessous du seuil de très grande pauvreté. La FAO estime que le taux de malnutrition s'élève à 50 % malgré un potentiel certain du pays. La difficulté réside notamment dans l'absence de visée de la part du gouvernement pour la mise en oeuvre d'une politique agricole capable de parvenir à une diversification alimentaire. On le sait, le riz, principal aliment à Madagascar, ne permet pas de couvrir les besoins énergétiques journaliers.

La corruption et les trafics (par exemple de bois rares), liés au fait que les principales ressources qui arrivent dans le pays sont centralisées, constituent un frein considérable au développement et à la réduction des inégalités au niveau local.

Il faut le savoir aussi : 83 % de la population vit en milieu rural.

S'agissant plus particulièrement de la situation des femmes, on peut véritablement dire qu'il y a une insensibilité de la société malgache à l'égalité homme-femme. Le concept de « genre » n'y fait pas recette. Les hommes considèrent qu'il s'agit d'un concept importé de l'étranger. Il nous a même été rapporté que le zébu était « considéré comme plus rentable que la femme » !

Sur le plan démographique, on dénombre 93 hommes pour 100 femmes. La pratique du mariage précoce est fréquente. Il n'est pas rare que la petite-fille soit promise dès son plus jeune âge. Évidemment, cela interrompt prématurément, dès le primaire, la scolarisation des filles...

L'agriculture et le petit commerce sont les principales activités économiques des femmes. Elles n'accèdent pas à des emplois sécurisés et ne bénéficient d'aucune protection sociale.

Les corvées d'eau et de bois sont très lourdes, les obligeant à parcourir, quelquefois plus fois par jour, nombre de kilomètres : en moyenne entre deux et cinq heures chaque jour.

Il faut ajouter à ce propos que 12 à 15 % seulement du territoire étant électrifié, le bois demeure la seule source d'énergie : 90 % du bois prélevé est du bois de chauffe. Le déboisement bat donc son plein, à tel point que d'ici 2030, Madagascar pourrait produire plus d'émissions de gaz à effet de serre qu'il n'en absorbe.

43 % des femmes n'ont accès à aucun moyen d'information, situation liée à l'analphabétisme ou à l'inexistence d'accès aux médias.

Les grossesses sont précoces, avec en moyenne cinq enfants par femme. « Plus on a d'enfants, plus on a de mains pour travailler ». Les grossesses interviennent pour un tiers entre dix et vingt-quatre ans ; 44 % des mères ont moins de quinze ans. Un tiers des accouchements prématurés concernent des adolescentes. Il faut noter cependant que la mortalité infantile tend à baisser légèrement.

30 % des violences subies par les femmes sont d'origine domestique.

Enfin, sur 151 députés, on compte seulement trente-et-une femmes. Il n'y a pas de femme responsable de région.

Mes impressions, mes premières réflexions que, me semble-t-il, Didier Mandelli partage, sont les suivantes : il faut saluer le remarquable travail fait sur le terrain par les associations, Care notamment, et leur effort de mise en réseau pour tenter d'offrir une réponse la plus globale possible afin de permettre à toutes et à tous de renouer avec dignité et développement. L'exemple des Associations villageoises d'épargne et de crédit (AVEC), développées avec la coopération de Care, est significatif. Non seulement ces initiatives ouvrent un espace de liberté économique pour les femmes, mais elles redistribuent également les pouvoirs à l'intérieur des villages, créant une légitimité nouvelle pour les femmes.

Nous avons pu le mesurer au travers de cette visite de terrain, qui a bien souvent mêlé espoir et sentiment d'impuissance devant le dénuement total de certaines des populations rencontrées. On peut même parler d'abandon...

Sur le terrain, les besoins sont énormes. Il appartient évidemment à chaque pays de construire la mobilisation de ses propres ressources. Il faudra que le débat, à Madagascar, porte sur la corruption qui sévit dans ce pays.

Cependant, au plan international, la responsabilité de tous est engagée, car l'humanité n'assurera pas sa propre sécurité et ne fera pas sens tant qu'elle ne sera pas en mesure de garantir à toutes et à tous l'accès à des biens fondamentaux comme l'eau, l'énergie, l'éducation, et de permettre la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

La prise de conscience doit s'élargir. Et très rapidement ! A quelques jours de la COP 21, il faut donc révéler, alerter inlassablement, appeler à une responsabilité partagée sur la base d'engagements rapides de chacune et chacun. Ces engagements doivent être ambitieux et contraignants.

Non seulement la COP 21 doit marquer une étape décisive en ce sens, mais l'engagement des pays les plus développés doit aussi s'intensifier au-travers d'une augmentation substantielle de l'aide publique au développement. Et celle-ci ne peut se confondre, ni venir en déduction des moyens mobilisés pour relever les défis du changement climatique. Actuellement, la tendance est de tout mettre dans la même enveloppe ; or les crédits de l'Aide publique au développement française ne cessent de diminuer depuis 2011. Les orientations budgétaires des différents gouvernements qui se sont succédé nous ont ramenés dix ans en arrière en matière de solidarité internationale. En 2014, l'engagement français n'atteignait plus que 0,36 % du Revenu national brut (RNB). Le Royaume-Uni a pour sa part atteint l'objectif de 0,7 % de son RNB.

Le vote de la prochaine loi de finances devra être l'occasion, pour la France, de montrer concrètement son engagement dans la lutte contre l'extrême pauvreté, la réduction des inégalités et la lutte contre le changement climatique. Une taxe sur les transactions financières, additionnelle à l'aide publique au développement, pourrait constituer une des sources de financements à retenir.

Les quatre parlementaires qui se sont rendus à Madagascar sont convenus de rédiger une tribune pour relater leur voyage et alerter sur ces défis. Cette tribune a été publiée sur le site du journal Le Monde. Un autre de nos engagements consistait à faire une restitution des enseignements de notre mission auprès de Care France : c'est chose faite depuis la semaine dernière. Nous souhaitons aussi faire progresser la prise de conscience au Sénat. Tel est l'objet de cette réunion pour laquelle je vous avais sollicitée, madame la présidente. Je vous remercie de votre attention.

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