Intervention de Patrick Abate

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 novembre 2015 à 9h00
Loi de finances pour 2016 — Mission « médias livre et industries culturelles » - crédits « presse » « livre et industries culturelles » « audiovisuel et avances à l'audiovisuel public » « audiovisuel extérieur » - examen des rapports pour avis

Photo de Patrick AbatePatrick Abate, rapporteur pour avis des crédits du programme « Presse » :

« Notre liberté dépend de la liberté de la presse et elle ne saurait être limitée sans être perdue » : en cette année 2015 où, un fatal 7 janvier, cette liberté, dans son expression la plus engagée et la plus indépendante, a été meurtrie, la conviction exprimée il y a plus de deux siècles par Thomas Jefferson n'a jamais semblé si vraie ; elle a été confortée, malheureusement, ce 13 novembre par les événements tragiques, qui ont ciblé notre « vivre-ensemble », notre démocratie et notre liberté.

Pourtant, chers collègues, la presse souffre toujours d'une érosion de ses ventes, du vieillissement de son lectorat, de la fuite des recettes publicitaires vers d'autres supports et des contraintes, financières et technologiques, d'une mutation numérique à la fois fossoyeur et espoir d'équilibres économiques à venir.

Le constat est devenu lieu commun et pourtant, il se pourrait que 2016 représente un tournant : les investissements destinés à la modernisation des structures et des méthodes de travail commencent à porter leurs fruits, le système de distribution retrouve une stabilité à laquelle peu croyaient encore et l'Agence France-Presse s'est engagée dans une réforme a minima, certes, mais qui garantit à ce jour la poursuite de son activité.

Cela dit, les crédits du programme 180 font apparaître un affaiblissement du soutien de l'État en faveur de la presse. S'il se limite à une diminution de 1,1 % cette année, il fait suite à un resserrement des aides de 3 % entre 2014 et 2015. Le recul constaté représente la conséquence d'un moindre dynamisme des aides au guichet et rien n'a été entrepris, notamment à travers le fonds stratégique pour le développement de la presse, pour remédier à cette atonie.

Outre le taux de TVA « super réduit » de 2,1 % au bénéfice de l'ensemble des titres pour un coût d'environ 170 millions d'euros, l'aide de l'État à la presse - 128,8 millions d'euros en 2016 - se divise en trois catégories : les aides à la diffusion, les aides au pluralisme et les aides à la modernisation.

Les aides à la diffusion diminuent de 1,4 % pour un montant de 57,7 millions d'euros. L'aide au portage conserve sa dotation de 36 millions d'euros, mais le mécanisme d'exonération de charges pour les vendeurs-colporteurs enregistre un repli logique, consécutif à la réduction du nombre de professionnels.

Les aides au pluralisme, en revanche, enregistrent une augmentation de 34,8 % pour s'établir à 15,5 millions d'euros grâce l'élargissement du dispositif, par un décret du 6 novembre 2015, à des titres d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires à parution non quotidienne.

Nul ne contestera ici l'utilité d'un soutien renforcé en faveur de la presse d'opinion, aux ressources publicitaires réduites : les temps troublés que nous traversons rendent, au-delà de la simple information, l'analyse et le débat indispensables à l'appréhension d'un monde qui semble échapper à notre compréhension. Le renforcement du ciblage des aides directes en faveur de ces journaux constitue un point remarquable de l'évolution des crédits du programme 180 et mérite d'être salué.

La mesure complètera utilement, pour les titres concernés, les mécanismes fiscaux que nous avons adoptés dans le cadre de la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse. Le plus symbolique de ces mécanismes est le dispositif « Charb » pour lequel vous connaissez mon attachement, qui permet aux particuliers de déduire de leur impôt sur le revenu les dons aux associations qui oeuvrent en faveur du pluralisme de la presse.

Enfin, les aides à la diffusion reculent de 7,5 % à 55,6 millions d'euros pour 2016. Cette diminution ne doit toutefois pas nous inquiéter outre mesure, d'abord parce que la réduction porte essentiellement sur l'aide à la modernisation sociale des imprimeries, au titre de laquelle seulement deux dossiers au bénéfice des groupes Le Monde et Amaury nécessitent encore des financements, et, surtout, parce que le soutien de l'État à Presstalis est maintenu à 18 millions d'euros.

Je salue, à cet égard, les efforts considérables réalisés par l'entreprise ces dernières années, au prix de lourds sacrifices sociaux - 1 500 emplois ont été supprimés depuis 2010 - pour retrouver l'équilibre des comptes. Malgré des retards dommageables dans la mise en oeuvre des réformes prévues par le plan stratégique conclu avec l'État, notamment la restructuration du réseau des dépositaires, l'équilibre d'exploitation sera atteint en 2015 grâce à des économies comprises entre 25 et 35 millions d'euros par an depuis quatre ans. Avec de nouveaux développements dans le domaine numérique et des finances assainies, Presstalis a su trouver les moyens de son développement futur. Le défi a été relevé.

Le bilan du fonds stratégique pour le développement de la presse est plus contrasté : doté de 29,6 millions d'euros de crédits en 2016, en diminution de 2,6 %, le dispositif cofinance des projets de développement numérique de sites majoritairement d'information politique et générale. L'aide apportée étant fonction de la capacité d'autofinancement des éditeurs, son montant varie entre 800 euros et 700 000 euros, pour une moyenne de 95 000 euros par projet. Effet pervers de ce système, il prive les titres qui ne disposent pas ou peu de fonds propres de l'accès à une aide à la modernisation, pourtant essentielle dans un marché où le numérique représente l'unique voie de développement du lectorat, même si son modèle économique n'est pas encore parfaitement stabilisé. Cette faille explique un niveau décevant de mobilisation des fonds disponibles et, partant, la réduction de la dotation en 2016.

J'appelle par conséquent le ministère de la culture et de la communication à réviser les critères d'attribution de cette aide, afin qu'elle bénéficie plus largement aux éditeurs modestes. Par ailleurs, compte tenu de la complexité des dossiers de demande d'aide et du frein que constitue le seuil d'entrée dans le dispositif, je souhaite que soit envisagé un recours facilité aux jeunes du service civique pour des postes de développement informatique, dans les entreprises de presse qui ne peuvent prétendre à l'aide du fonds stratégique, afin de renforcer en leur sein, même provisoirement, les compétences utiles à la mise en oeuvre, d'une stratégie numérique d'avenir, à la condition expresse qu'il ne s'agisse pas de remplacer à moindre frais de potentiels emplois pérennes ou des salariés en poste.

La seconde partie de mon propos portera sur un point très précis de la mission « Économie », l'aide au transport postal. Avec 1,3 milliard d'exemplaires distribués chaque année, La Poste, dont c'est l'une des missions de service public, contribue à 30 % de la diffusion de la presse, à des tarifs dérogatoires au droit commun, dont l'évolution est fixée par des accords tripartites avec l'État et les éditeurs ; leur montant varie en fonction des familles de presse. Les accords Schwartz, signés pour la période 2009-2015, ont donné lieu à des manquements répétés de l'État à sa parole, au détriment de la presse et de La Poste. Ainsi, dès 2009, lors de la clôture des états-généraux de la presse écrite, l'application de la hausse tarifaire a été reportée d'un an. Ce moratoire postal a eu un impact d'environ 30 millions d'euros chaque année sur les comptes de La Poste.

Le désengagement unilatéral de l'État s'est poursuivi avec l'annonce, le 10 juillet 2013, de la sortie progressive du moratoire sur les tarifs postaux, afin de rejoindre la trajectoire initialement prévue par les accords Schwartz. Pis, en 2014 et en 2015, la contribution prévue dans l'accord a été réduite chaque année de 50 millions d'euros afin de tenir compte du bénéfice, pour La Poste, du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE). En conséquence, l'aide de l'État au titre du transport postal a été de 150,5 millions d'euros en 2014 au lieu des 200 millions d'euros prévus, puis de 130 millions d'euros en 2015 contre 180 millions d'euros prévus.

Les accords Schwartz arrivant à échéance le 31 décembre 2015, les ministres de la culture, de l'économie et des finances, ont confié une mission sur l'avenir du transport postal de la presse à Emmanuel Giannesini, membre de la Cour des comptes et président du comité d'orientation du Fonds stratégique pour le développement de la presse. Cette mission devra proposer différents scénarios afin de définir le nouveau cadre du soutien public à l'acheminement des abonnements de presse, comprenant à la fois l'aide au transport postal et l'aide au portage. Ses conclusions ne sont pas encore connues. Dans cette attente, l'aide au transport postal a été fixée, pour 2016, à 119 millions d'euros dans le cadre de la mission « Économie » du projet de loi de finances, soit une nouvelle diminution drastique, qui augure mal du résultat des négociations relatives à l'après-Schwartz.

La Poste et les représentants des différentes familles de presse m'ont fait part de leurs craintes pour l'avenir. Nul ne sait si un nouvel accord sera conclu ou si, comme le proposait le rapport de Roch-Olivier Maistre sur les aides à la presse en 2013, une relation commerciale ordinaire sera instaurée entre La Poste et les éditeurs de presse.

En tout état de cause, une augmentation des tarifs postaux est bel et bien prévue, alors que les éditeurs ont, durant la période d'application des accords Schwartz, déjà consenti un effort de 110 millions d'euros. Elle devrait majoritairement peser sur les magazines, notamment sur ceux appartenant à une nouvelle catégorie de presse de divertissement et de loisir, sur lesquels pourrait s'appliquer une hausse de plus de 60 % en quatre ans. J'estime cette perspective déraisonnable, dans un contexte où les magazines connaissent également des difficultés financières et, surtout, où le maintien d'une solidarité entre familles de presse, au-delà de la seule TVA, est plus que jamais nécessaire - sans compter la difficulté à définir la nouvelle catégorie.

Je conclurai en présentant les crédits consacrés à l'Agence France-Presse (AFP). Conformément aux engagements de la France à la suite des recommandations de la Commission européenne, traduites dans la loi du 17 avril 2015 puis dans le contrat d'objectifs et de moyens signé avec l'État le 15 juin dernier, le financement public de l'Agence distingue désormais le paiement des abonnements au fil AFP souscrits par les administrations de la compensation des missions d'intérêt général qui lui sont confiées. Le projet de loi de finances prévoit 21,6 millions d'euros au titre des abonnements, somme fixée par la nouvelle convention entre l'État et l'AFP, et 105,9 millions d'euros de subvention pour charge de service public.

Globalement, cette dotation est stable. Si elle permet à l'AFP de poursuivre son activité, elle ne règle en rien les difficultés de l'Agence à investir, compte tenu de l'absence de fonds propres et d'un endettement déjà inquiétant, grevé par sa filiale technique de moyens AFP Blue. Notre collègue Philippe Bonnecarrère avait déjà pointé ce risque dans son rapport : la situation n'a guère évolué depuis et ses craintes, que je partage, sont toujours d'actualité.

Je vous propose par conséquent que notre commission s'en remette à la sagesse du Sénat pour ce qui concerne l'adoption des crédits de la presse au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Personnellement, je ne serai pas défavorable à leur adoption.

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