« À la barbarie des terroristes, nous devons opposer l'invincible humanité de la culture », affirmait solennellement François Hollande quelques jours après les attentats du 13 novembre dernier, lors de la 70e conférence générale de l'Unesco. Je pense que notre commission partage cette déclaration. À force de menaces, le livre et la musique - la culture en somme -, fruits de l'esprit de nos artistes et symboles de nos valeurs, n'ont jamais semblé si indispensables au vivre-ensemble.
Pourtant, les industries culturelles sont bien souvent malmenées par une modernité dont le rythme s'accorde difficilement avec le temps de la création, les contraintes de la production et le tempo lent du lecteur et du mélomane. Elles résistent cependant et parviennent, progressivement, à se rénover tout en demeurant fidèles à leur vocation créatrice.
Les gouvernements qui se sont succédé depuis la percée du numérique dans le monde de la culture ne sont pas étrangers à cette réussite. Ce projet de loi de finances ne limite en rien le soutien public : le programme 334 « Livre et industries culturelles » reçoit 265,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et 276 millions d'euros en crédits de paiement. À périmètre constant, l'effort supplémentaire s'élève à 1,4 % par rapport à 2015, au profit des seules industries culturelles.
Hélas, malgré cette discrète embellie, les crédits destinés au livre et aux industries culturelles ne bénéficient qu'a minima aux secondes. La promotion du livre et le soutien à la lecture accaparent 96,8 % des crédits, dans la mesure où le programme 334 comprend le financement d'opérateurs coûteux et notamment de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Contrairement à la production cinématographique et audiovisuelle, le livre, la musique et les jeux vidéo ne sont soutenus qu'au travers d'aides éparpillées et de crédits d'impôt par trop restrictifs. Les performances affichées par ces filières n'en sont que plus méritoires.
Action reine du programme 334, l'action n° 1 « Livre et lecture » est dotée de 256,4 millions d'euros en crédits de paiement. Mais ne nous y trompons pas : cette enveloppe, pour généreuse qu'elle paraisse, est en réalité presque exclusivement destinée à la subvention pour charges de service public de la BnF (215 millions d'euros). Bien sûr, il s'agit d'un établissement prestigieux, dont la politique de collaboration avec les bibliothèques territoriales doit être saluée, dont l'engagement en faveur du patrimoine écrit par l'achat régulier de pièces rares grâce à la mobilisation d'un généreux mécénat n'est plus à démontrer et dont, enfin, l'ambitieux programme de numérisation affiche des résultats dont la France peut s'enorgueillir.
La bibliothèque nationale numérique Gallica, inaugurée en 1997, compte désormais 3,4 millions de documents. Avec 40 000 visites par jour, soit 15 millions de lecteurs chaque année, le succès est à la hauteur des sommes dépensées. Avec le lancement, quelque peu tardif, de la numérisation des livres indisponibles du XXe siècle, dont nous avions voté à l'unanimité le principe en 2012, et le développement de nouveaux partenariats pour poursuivre la numérisation des collections, l'outil devrait encore renforcer son attractivité.
Mais que dire a contrario des vicissitudes immobilières de l'établissement ? La rénovation du site historique du quadrilatère Richelieu ne cesse de prendre du retard et de voir son coût régulièrement augmenter, passant de 211 à 230 millions d'euros. Le chantier, entamé en 2011, devrait se terminer en 2017 ; 2016 verra l'achèvement de la première phase et l'installation dans les lieux de l'Institut national d'histoire de l'art (INHA). En revanche, le flou demeure complet sur le financement des travaux de finition, notamment la rénovation des façades et des parties classées. Le site Tolbiac-François Mitterrand n'est pas épargné par les travaux à répétition : la maintenance y est coûteuse - 1 million d'euros par tour pour la modernisation des ascenseurs, par exemple - d'autant que de récentes inondations ont fait d'importants dégâts sur les canalisations, nécessitant 5,4 millions d'euros pour leur remise en état.
Reste qu'une fois l'immense paquebot François-Mitterrand financé, fonctionnement et travaux compris, peu de moyens demeurent disponibles pour d'autres établissements : la Bibliothèque publique d'information est chichement dotée de 7,2 millions d'euros pour 1,35 million de visiteurs annuels quand la BnF en reçoit péniblement 810 000. Plus grave encore, ces moyens font défaut pour de véritables de projets au bénéfice du développement de la lecture, notamment auprès des publics les plus éloignés, et le soutien au réseau de vente de livres.
Qui plus est, le Centre national du livre (CNL), l'opérateur en charge du soutien aux éditeurs, pour des projets culturellement ambitieux, et aux libraires les plus fragiles, peine à trouver les moyens de fonctionner convenablement. Sa dotation, assise sur le produit de la taxe sur les appareils de reprographie et de la taxe sur les éditeurs, n'a cessé de s'éroder pour passer sous le seuil des 30 millions d'euros. Une mission commune à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et au contrôle général économique et financier est en cours pour comprendre les raisons du piètre rendement de ces taxes. Si le caractère pérenne de leur moindre rentabilité devait se confirmer, d'autres modalités de financement devront être envisagées au bénéfice du CNL.
Il est, dès lors, plus qu'heureux que le marché du livre se porte bien. Après une légère érosion ces dernières années, les ventes se sont stabilisées à environ 422 millions d'ouvrages en 2014, dont un quart de littérature, pour un chiffre d'affaires éditeurs de 2,7 milliards d'euros. 2015 devrait également présenter un résultat satisfaisant, d'autant que les attentats du mois de janvier ont entraîné une augmentation sensible des ventes d'essais philosophiques, y compris anciens, et d'ouvrages religieux. La part du numérique demeure modeste, à 6,4 % du marché.
Contrairement à la musique, les mutations technologiques n'ont nullement entamé cette industrie culturelle traditionnelle, qui demeure ancrée dans les pratiques des Français, comme l'achat en librairie survit toujours face à la concurrence d'Internet. Nous nous étions beaucoup inquiétés il y a quelques mois, de l'avenir de ces commerces de quartier. Des difficultés subsistent, mais le secteur se porte mieux grâce, notamment, au dispositif que nous avons voté en 2014 à l'unanimité interdisant le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port aux sites de vente en ligne de livres. Je vous transmets les remerciements des professionnels.
L'action n° 2 « Industries culturelles », qui regroupe la musique, le jeu vidéo et la dotation à la Hadopi, n'étant dotée que de 15,9 millions d'euros, elle appelle de plus brefs commentaires. Point le plus marquant, après avoir perdu 60 % de son chiffre d'affaires et 50 % de ses salariés en dix ans, le marché de la musique est en passe de réussir, grâce au streaming, sa mutation numérique. En croissance de 34 % en 2014, celui-ci représente désormais 16 % du chiffre d'affaires de l'industrie musicale et 55 % des revenus numériques. Il est heureux que la récente médiation confiée à Marc Schwartz ait abouti à un meilleur partage de la valeur au profit des artistes-interprètes sur ce mode de diffusion.
Après une période délicate, dont nos collègues Bruno Retailleau et André Gattolin s'étaient émus dans un rapport consacré en juillet 2013 à l'industrie du jeu vidéo, les studios français renouent avec la croissance. Les produits issus de nos studios, souvent de taille modeste, employant des techniciens et artistes de l'animation, dont les compétences demeurent fort prisées à l'étranger, ont un succès enviable sur le marché mondial malgré une capacité d'investissement encore insuffisante. L'extension du crédit d'impôt, enfin autorisée par la Commission européenne, représente un coup de pouce significatif pour l'industrie française du jeu vidéo face à une farouche concurrence fiscale internationale.
Enfin, après un assèchement dramatique de ses fonds, la Hadopi retrouve un peu d'oxygène, avec une dotation de 8,5 millions d'euros. Néanmoins, cette enveloppe reste insuffisante pour que la Haute Autorité développe son activité de lutte contre le piratage et de promotion de l'offre légale. Or, alors que le principe même d'une application du droit d'auteur dans l'univers numérique est parfois remis en cause, la Hadopi n'a jamais été si utile. En ce sens, je souscris pleinement aux ambitieuses propositions de modernisation et de renforcement de l'institution développées par nos collègues Corinne Bouchoux et Loïc Hervé en juillet dernier. Je souhaite qu'elles trouvent prochainement leur traduction législative.
Pour conclure et compte tenu de ces observations, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Livre et industries culturelles».