Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 25 novembre 2015 à 9h00
Loi de finances pour 2016 — Mission « médias livre et industries culturelles » - crédits « presse » « livre et industries culturelles » « audiovisuel et avances à l'audiovisuel public » « audiovisuel extérieur » - examen des rapports pour avis

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel :

La vie de l'audiovisuel public, cette année encore, n'aura pas été un long fleuve tranquille. Qu'il s'agisse de la grève historique à Radio France, des conditions rocambolesques de la démission de la présidente de l'INA ou de celles, non moins étonnantes de la nomination de la nouvelle présidente de France Télévisions, les raisons ne manquent pas de porter un regard préoccupé sur l'évolution de ce secteur. Au-delà de ces péripéties, il y a des salariés qui s'interrogent sur l'avenir de l'audiovisuel public et qui aiment leur métier. Il y a également les Français qui souhaitent pouvoir se retrouver pour partager des moments en commun, s'informer, se cultiver, se distraire.

Il me semble donc urgent de définir une vision claire de l'avenir de l'audiovisuel public, de ses moyens, de sa légitimité, de ses missions et de sa gouvernance, qui n'existe pas encore ou du moins pas suffisamment pour rassurer les acteurs sur leur avenir. C'est le message que m'ont adressé les syndicats de salariés.

Les initiatives récentes ne répondent qu'imparfaitement aux enjeux. Le rapport Schwartz a contribué à définir la feuille de route de la nouvelle direction. Mais en évitant de se prononcer sur le périmètre du groupe et sur les programmes, il n'a pas clarifié les attentes de l'actionnaire. La création du Comité stratégique de l'audiovisuel public illustre la prise de conscience qu'une meilleure coordination est nécessaire mais cette action reste trop timide pour engager les mutualisations nécessaires.

Au lieu d'avancer courageusement sur la voie des réformes, le gouvernement temporise au risque de voir les problèmes s'aggraver. C'est le cas en ce qui concerne Radio France où le retour à l'équilibre des comptes a été renvoyé sans raison probante à 2018, et aussi pour France Télévisions qui fait des efforts mais reste dépendant d'un financement pas encore stabilisé.

La situation de l'audiovisuel public n'est pas aisée, et loin de moi l'idée que le gouvernement actuel serait responsable de tous ses malheurs. La révolution des usages change radicalement les perspectives du marché publicitaire avec des conséquences immédiates sur les comptes des sociétés. Le déficit de 10 millions d'euros de France Télévisions en 2015 est ainsi le résultat de la dégradation du marché publicitaire. La précédente majorité n'avait pas non plus réussi à stabiliser le modèle économique. Voilà pourquoi nous sommes tous conscients que des changements majeurs sont nécessaires, à commencer par une réforme de la contribution à l'audiovisuel public proposée par André Gattolin et moi-même dans le rapport que nous avons présenté fin septembre.

Cette réforme, les ministères l'ont préparée pendant des mois avant que le gouvernement y renonce à la rentrée pour des raisons politiques. Je le regrette d'autant plus que la solution retenue ne me satisfait pas. Certes, la disparition de la dotation budgétaire ne peut qu'être saluée et le principe d'une affectation du produit de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques peut être considéré comme un moindre mal, puisque cette taxe a justement été créée en 2009 pour compenser la baisse des recettes de France Télévisions. Mais pourquoi l'augmenter de 0,4 point alors que le produit initial de la taxe à 0,9 %, estimé à 225 millions d'euros en 2016, suffit largement à financer les 140,5 millions d'euros dont a besoin France Télévisions ? Cette nouvelle taxe sur les opérateurs risque de se traduire par une hausse de tarif pour les consommateurs qui ne sera qu'une fiscalité détournée. Elle ne doit pas nous dissuader de rappeler l'urgence de réformer la contribution à l'audiovisuel public compte tenu de la baisse du taux d'équipement des ménages en téléviseurs. Plus nous attendrons, plus il sera difficile de soumettre à la redevance des ménages qui en sont exonérés. Je souhaite que le projet de loi de finances 2017 soit l'occasion d'avancer sur ce sujet ; au sein de notre commission, il y a une conviction partagée sur les contours que pourrait prendre cette réforme. Enfin, la contribution à l'audiovisuel public n'augmentera que d'un euro en 2016 du fait de l'indexation, en portant le produit à 3,73 milliards d'euros.

J'en viens à la situation des opérateurs. La présidente de France Télévisions nous a expliqué que, compte tenu de la hausse de 25 millions d'euros des ressources publiques adoptée à l'Assemblée nationale, le déficit prévisionnel qui s'établira à 25 millions d'euros en 2016 pourra être comblé grâce à de nouvelles mesures d'économies sur les programmes.

On ne peut que saluer cet engagement de retour à l'équilibre dès 2016, même si l'entreprise reste structurellement déficitaire et devra infléchir son modèle économique. La réglementation sur la production doit évoluer rapidement afin que France Télévisions puisse mieux valoriser ses 400 millions d'investissement dans la création audiovisuelle. La présidente de France Télévisions s'est déclarée favorable à un remplacement progressif de la publicité par les recettes issues des droits attachés à la production dans le modèle de financement mixte du groupe public. C'est une orientation que nous sommes nombreux à partager, conscients toutefois qu'il s'agit d'un objectif de long terme. Dans l'immédiat, les recettes publicitaires resteront nécessaires pour compléter les 2,56 milliards d'euros issus de la contribution à l'audiovisuel public et les 140,5 millions d'euros affectés sur le produit de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques.

Un projet tel que celui d'une chaîne d'information en continu, engagé par la présidente de France Télévisions, ne peut être lancé à la légère. La réputation du service public étant en jeu, la décision devra répondre à deux impératifs : proposer une offre radicalement différente de l'existant et la rendre accessible au plus grand nombre. Ces deux conditions incitent à éviter la précipitation et à s'interroger sur la meilleure utilisation des canaux qui pourraient être disponibles - je pense au canal utilisé aujourd'hui par Numéro 23, compte tenu de l'abrogation de son autorisation décidée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) à compter du 30 juin 2016.

Sur une note plus positive, le plan de départs volontaires, achevé d'ici la fin de l'année, devrait dégager d'importantes économies sur la masse salariale, ce qui conforte l'intérêt de ce type de mesures pour réduire les coûts.

L'audience d'Arte poursuit sa progression, s'établissant à 2,2 % depuis le début de 2015. L'image de la chaîne continue à s'améliorer, témoin le succès de son offre numérique. Les moyens accordés à Arte seront en hausse de 2,5 millions d'euros en 2016 à 264,3 millions d'euros, soit une stabilité en termes réels. Je regrette que cette chaîne qui porte haut les voix de la culture n'ait pas bénéficié d'un véritable soutien depuis 2012. Par rapport aux objectifs prévus dans le COM 2012-2016, la chaîne accuse un déficit de 34,6 millions d'euros de contribution à l'audiovisuel public. Là encore, on a le sentiment que les efforts des plus méritants ne sont pas récompensés.

La situation de Radio France m'inquiète. La Cour des comptes a pointé de très nombreuses défaillances et formulé des recommandations qui n'ont pas reçu de véritables réponses de la part de l'actionnaire. La grève de 28 jours qui a eu lieu au printemps n'a pas résolu les problèmes de fond en dépit du travail utile du médiateur. Les syndicats m'ont confié que les braises du conflit n'étaient pas éteintes.

Nous sommes ici au coeur des défaillances de l'ensemble de notre audiovisuel public : les réformes ont trop longtemps été repoussées, en particulier en ce qui concerne les méthodes de travail et l'ajustement des effectifs.

Faute de véritable vision pour la société, les réformes sont vécues de manière uniquement négative et comptable par un personnel compétent et très investi, qui ne comprend pas quel avenir on lui prépare. Le projet de chaîne d'information en continu traduit bien cette difficulté avec des salariés qui craignent de se faire absorber par le grand frère, France Télévisions. Le gouvernement temporise avec le souci d'éviter les réactions sociales. On peut le comprendre mais cela ne fait qu'aggraver la situation. Le plan de départs volontaires a été abandonné en faveur d'un non-renouvellement de tous les départs qui aura un impact moindre sur le retour à l'équilibre des comptes. La réforme des formations musicales et la décision sur la poursuite de la diffusion hertzienne du Mouv' ont été renvoyées à 2017. La proposition de fusion des rédactions de Radio France, France Info et France Culture faite par la Cour des comptes, qui constitue le pendant du projet Info 2015 à France Télévisions, a été purement et simplement écartée. Autant dire que le compte des réformes n'y est pas.

La situation financière de Radio France reste très fragile. Le déficit sera ramené à 10 ou 12 millions d'euros en 2015 pour des raisons comptables. En 2016, un nouveau déficit est prévu à hauteur de 16,56 millions d'euros malgré une hausse des ressources publiques de 5 millions d'euros ; il serait encore de 6,46 millions d'euros en 2017. La spécificité de Radio France est mise à mal sur le plan de la publicité. Si l'aménagement du cahier des charges répond sans doute à un besoin, l'absence d'encadrement de la publicité sur les sites Internet du groupe menace l'identité de la radio publique. L'examen du prochain contrat d'objectifs et de moyens de Radio France sera l'occasion d'évoquer ces sujets.

Le nouveau président de l'Institut national de l'audiovisuel, semble avoir pris la mesure des difficultés. Son projet de « retour aux fondamentaux » est le plus raisonnable pour les finances publiques sans être pour autant dénué d'ambitions, comme l'illustre sa volonté de coopérer avec France Télévisions dans le lancement de sa future plateforme de vidéo à la demande. Je retiens aussi sa volonté d'instaurer une véritable culture du contrôle de la dépense qui faisait défaut à l'institution. La reconduction des crédits à hauteur de 89 millions d'euros était, dans ces conditions, sans doute inévitable compte tenu du niveau de la masse salariale et de l'absence de marges de manoeuvre à court terme.

Je porte donc un regard très contrasté sur la situation de l'audiovisuel public, avec une inquiétude sur au moins un des grands opérateurs. L'insuffisance des réformes engagées sur les ressources ou sur le fonctionnement et l'organisation des sociétés et l'absence de volonté d'engager une véritable politique de mutualisation à tous les niveaux m'invitent à vous proposer d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à l'audiovisuel au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ainsi qu'au compte de concours financier « avances à l'audiovisuel public » de l'audiovisuel extérieur.

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