Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 novembre 2015 à 9h00
Loi de finances pour 2016 — Audition du général pierre de villiers chef d'état-major des armées

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Je vous avais déjà interrogé sur la réserve au mois de Juin, et en particulier sur l'utilisation des réserves citoyennes. Quand vous parlez de l'horizon 2019, cela me semble trop loin. Nous avions rédigé, mon collègue Michel Boutant et moi-même, un rapport sur la création d'une réserve nationale de sécurité mobilisable en cas de crise majeure. Nous pressentions déjà ce qui allait se passer. Les décrets d'application de la loi du 28 juillet 2011 sont toujours en cours d'élaboration ; je crois qu'il est à présent nécessaire d'accélérer : nous avons besoin de cette réserve, notamment en matière de cybersécurité. La réserve citoyenne serait certes un peu plus facile à mettre en place parce que la question de la relation avec les employeurs ne se pose pas.

Général Pierre de Villiers. - Sur le sujet du maintien en condition opérationnelle, je pense qu'a été rétablie une forme de cohérence grâce aux 500 millions d'euros que nous avons obtenus, dans le cadre de l'actualisation de la loi de programmation militaire, en faveur de l'entretien programmé des matériels. S'il advenait que l'emploi des matériels augmente, ce format ne serait bien sûr plus adapté. Si les missions augmentent, les moyens doivent augmenter aussi, c'est mécanique, je ne ferai pas croire, je ne sais pas faire croire, à mes soldats et aux armées, qu'on fera plus avec moins. En revanche, si le format des missions tel qu'il a été décrit dans le cadre de l'adoption de la LPM actualisée est respecté, nos armées ont les moyens de leurs missions. Cela dit, nous sommes en tension permanente et, si vous voulez bien me passer l'expression « le costume est taillé au plus juste ». Bien sûr, il faut faire la part entre ce qui est la réaction du Français « gaulois » qui est rarement content - c'est quand même une de nos caractéristiques, et le génie français passe aussi par là - et la réalité de l'acuité du problème. Oui, le costume est taillé au plus juste. Nous ne devons pas être en deçà de la limite acceptable, pour que les militaires puissent s'entraîner, voler, naviguer et faire leurs heures sur le terrain. Reconsidérer les moyens à hauteur de nos missions, c'est précisément ce que nous devons faire dans le PLF 2016.

Dans cette problématique d'augmentation des crédits, se pose la question de ceux dédiés au MCO-aéronautique dont le SIAé est un acteur essentiel, sur lequel a été appelée votre attention. Je connais les évolutions démographiques que vous annoncez et qui vont caractériser le SIAé. Nous vivons dans une société anxiogène et c'est souvent l'aspect inquiétant des évolutions qui est mis en avant. Je m'attache à lutter contre cela et tente d'apporter aux gens une espérance, des certitudes, un cap auquel ils peuvent se raccrocher.

Vous avez raison d'évoquer ici le personnel civil. Je suis toutes les semaines en déplacement, en homme de terrain. Mon métier de chef d'état-major des armées n'est pas une tâche bureaucratique et je me dois de connaître nos armées. Je sais quelle force nous apporte le personnel civil. Ils n'ont pas le même statut que les militaires, ni le même métier. Cela n'empêche pas que leur disponibilité est exceptionnelle dans ces crises. J'en ai de multiples exemples. Pour nos armées, les effectifs civils sont capitaux et je l'ai toujours souligné, il n'y a pas les personnels civils d'un côté et les militaires de l'autre, il y a une communauté soudée qui sert au sein des armées, directions et services. Le dévouement pour la France est commun aux civils et aux militaires, il est remarquable, et c'est un formidable vecteur d'espérance.

Concernant la réunion des ministres de la défense européens, je n'ai encore d'éléments de réponse. Ce que je peux vous dire, c'est que le modèle d'armée que je vous ai présenté implique une coopération internationale, et a fortiori européenne. Je déplore la baisse des dépenses militaires de défense dans la plupart des pays européens. Pour l'heure, très peu de pays participent aux frappes en Syrie contre Daesh : principalement les États-Unis et la France. J'espère que l'élan suscité par les récents attentats va favoriser une prise de conscience et que d'autres pays européens vont venir combattre sur les mêmes fronts que nous. Concernant Sentinelle, je fais preuve de pragmatisme. Ainsi, les 3 000 soldats supplémentaires récemment mobilisés sont orientés prioritairement vers des actions mobiles et de surveillance de zone, en concertation avec le ministère de l'intérieur. Dès la mise en place du dispositif après les attentats de janvier 2015, nous avions pressenti que Sentinelle ne pouvait être le simple prolongement de Vigipirate, qu'un dispositif figé ne convenait pas au regard des circonstances actuelles. Nous avons déjà adapté notre dispositif à Paris, où se concentrent 50 % des effectifs de Sentinelle, en réduisant d'une vingtaine à trois le nombre de commandements. Trois chefs de corps commandent chacun un groupement tactique interarmes (GTIA), comme en OPEX, et ça fonctionne ! Avant-hier je suis allé rendre visite au chef de corps de Vincennes, qui commande 2 200 hommes. Certes, on peut regretter que la doctrine ne soit pas encore prête. Le volet juridique est complexe parce que ce n'est pas le droit de la guerre qui s'applique mais la légitime défense. Il faut du temps pour examiner toutes les questions juridiques qui se posent. Mais la démarche conduite, qui réunit les différents acteurs interministériels et fait émerger entre eux une vraie synergie, est très positive.

S'agissant du chiffrage des troupes au sol qui seraient nécessaires en Syrie, je ne peux pas vous en donner d'estimation. L'important est de savoir que les bombardements ne peuvent être efficaces sans une action au sol et que celle-ci ne peut être coordonnée sans un effort diplomatique et politique permettant de rassembler tous les acteurs autour de la table. Ça se fait plus ou moins bien en Irak où un nombre croissant de milices sunnites se joignent aux chiites pour combattre aux côtés de l'armée irakienne. Mais ce n'est pas très facile.

Résoudre le problème en Syrie prendra des années en l'absence d'un accord politique fort. On ne forme pas des soldats comme ça, surtout face à Daesh. Nous avons en face de nous des gens complètement fanatisés, capables d'actes d'une barbarie inconcevable et qui cherchent à inspirer la peur.

Le lien armée-nation est fondamental. J'ai confiance en nos soldats qui sont exceptionnels. Je suis fier du modèle social militaire. Je ne sais pas s'il y a beaucoup d'institutions qui autorisent la promotion d'un deuxième classe jusqu'au grade de général, qui autorisent une ascension sociale aussi exceptionnelle, qui placent le souci de l'autre au centre de leur action et qui font de l'humanité dans le style de commandement un élément essentiel. Tout n'est certes pas parfait mais j'essaie modestement de garder ce cap. Nous avons des soldats extraordinaires. Il faut les écouter, il faut les entendre. N'ayant ni syndicats ni aucun contre-pouvoir de ce type, le commandement doit être parfaitement en prise avec les soldats. J'ai la faiblesse de penser que les trois chefs d'état-major et que les cinq directeurs des services le sont. Au sommet, nous essayons modestement d'entretenir une synergie profonde entre ceux qui donnent les ordres et ceux qui les exécutent, avec entre les deux un corps des sous-officiers absolument exceptionnel. Je termine sur une note optimiste en disant que nous avons de belles armées. Je suis fier de cette jeunesse, je suis fier de ce qu'elle fait. Nous gagnerons ce combat contre les groupes armés terroristes. Je vous l'ai dit et j'en suis persuadé. Nous le gagnerons parce que nous avons une nation derrière nous, un peuple debout. Et je le sens aujourd'hui vraiment. Pas seulement au travers de la représentation parlementaire mais aussi au travers de mes déplacements, de ce que je lis et de ce que j'entends. Et cela c'est peut-être ce qu'il y a de plus beau. De toute difficulté peut surgir un bien. La France peut en sortir grandie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion