L'ordre du jour appelle l'examen du rapport du groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire.
Je devais présenter ce rapport avec Patrick Chaize. Nous en sommes en effet les co-rapporteurs. Toutefois, Patrick Chaize étant absent à la suite d'un deuil dans sa famille, je le présenterai seul.
Je remercie les membres du groupe de travail, qui comprend Mmes Bouchart, Didier, Billon, MM. Chaize, Camani également vice-président - Roux, de Nicolaÿ, Bignon, Longeot et Pointereau, pour leur participation à nos travaux.
Le groupe de travail a été mis en place en mars 2015 afin de faire un point d'étape sur la feuille de route du Gouvernement sur le numérique de février 2013 et sur le plan « France très haut débit ».
Nous avons procédé à une bonne vingtaine d'auditions et nous sommes déplacés dans la Manche. Nous avons dressé un constat et formulé des propositions.
L'objectif du Gouvernement est que la totalité de la population française soit couverte en très haut débit en 2022, et que 80 % de cette population le soit par la fibre optique de bout en bout (FttH).
Le Gouvernement a également fixé pour objectif intermédiaire un taux de couverture de la population de 50 % à l'horizon 2017.
Autre objectif : toute la population doit être couverte en haut débit de qualité en 2017, à un niveau de 3 mégabits par seconde, qui constitue le minimum pour bénéficier de connexions correctes, sans pour autant accéder à la télévision.
Je vous rappelle que le déploiement repose d'une part sur une zone d'initiative privée - choix du Gouvernement Fillon, confirmé par l'actuel Gouvernement - qui représente 53 % de la population et seulement 10 % du territoire, d'autre part sur une zone d'initiative publique (RIP) regroupant 47 % de la population et 90 % du territoire.
Le coût global de ce chantier est estimé par le Gouvernement à 20 milliards d'euros, dont 6 milliards d'euros pour la partie privée et 14 milliards d'euros pour le déploiement public, pour lequel l'État a prévu d'apporter 3,3 milliards d'euros.
Aujourd'hui, on observe que le déploiement progresse. 44 % des logements sont éligibles au très haut débit - ce qui ne veut pas dire qu'ils sont connectés.
C'est une situation en trompe-l'oeil pour deux raisons. En premier lieu, le Gouvernement a considéré que le très haut débit commençait à partir de connexions de 30 mégabits par seconde, alors que, jusqu'à présent, on considérait plutôt que le très haut débit débutait à 100 mégabits par seconde. Il est certain que si l'on baisse le seuil, les résultats sont différents.
Par ailleurs, la plupart de ces connexions se font aujourd'hui sur une technologie autre que la fibre, grâce à la rénovation du réseau en cuivre d'Orange, ou la modernisation du réseau câblé, avec l'alliance SFR-Numéricable.
En matière de fibre optique, seuls 11,3 % de la population sont éligibles. En 2012, et même avant, sous le Gouvernement Fillon, on considérait que très haut débit et fibre étaient synonymes. Dans les faits, les choses ont évolué.
Aujourd'hui, seuls 12,5 % des logements sont abonnés au très haut débit, quelle que soit la technologie. On observe en outre que le déploiement du très haut débit se fait essentiellement en zones très denses, dans les villes, là où les opérateurs peuvent trouver une certaine profitabilité.
On peut penser que l'objectif de 50 % de la population en 2017 a des chances d'être atteint, mais on est en revanche plus inquiet et plus dubitatif - pour rester modéré dans mes propos - sur le fait de tenir l'objectif de 100 % en 2022. Même si l'on parvient à 50 % en 2017, le reste se situera dans les zones rurales et périurbaines. Or, on sait que ce sera beaucoup plus difficile et plus coûteux.
Comme sous la précédente majorité, l'État se contente d'apporter son financement dans des conditions qui ne sont pas aussi satisfaisantes qu'on le prétend. On affiche que 3,3 milliards d'euros ont été inscrits au budget. Pour l'instant, il s'agit de 900 millions de crédits, et les dossiers s'amoncellent au Fonds national pour la société numérique (FSN).
Le document que j'ai en main a été rendu public par l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (AVICCA), sur lequel est indiqué que soixante-seize projets ont été déposés, pour un investissement total de 11 milliards d'euros. Or, à ce jour, l'État a décaissé 18 millions d'euros !
Il est donc parfois agaçant d'entendre le Gouvernement faire de l'autosatisfaction, alors que si peu de dossiers ont obtenu des financements.
Par ailleurs, l'État n'accompagne pas comme on le souhaiterait les porteurs de projets, des réseaux d'initiatives publiques (RIP). En particulier, il ne leur apporte aucune aide à la décision en matière de choix technologiques. Or, ceux-ci sont souvent très complexes, et peuvent conduire les collectivités à ne pas faire forcément les bons arbitrages.
Quant aux opérateurs, on est à peu près dans la même situation qu'il y a quelques années, ceux-ci étant peu ou pas contrôlés par l'État. Même lorsqu'ils ont déclaré des intentions de déploiement, rien ne garantit qu'ils le fassent. Or le seul fait qu'ils envisagent de déployer dans certaines zones empêche les RIP de le faire. Cette sorte de préemption ne lie pas les opérateurs privés, mais bloque la puissance publique.
Enfin - et c'est un vrai scandale - les RIP sont obligés de déployer des réseaux qui coûtent très cher, où les opérateurs ne viennent pas.
Face à cela, les RIP sont confrontés à des choix complexes, à des investissements importants, qu'ils doivent assumer compte tenu de la forte baisse des dotations, et à des financements à venir, longs et incertains.
Pour l'instant, je rappelle que seulement 900 millions d'euros sont inscrits par rapport aux 3 milliards d'euros qui ont été promis. Or, le FSN ne court que jusqu'en 2020.
Enfin, les RIP sont aussi confrontés à des attentes très fortes des élus locaux et des citoyens.
La question du haut débit n'est donc pas réglée ; aujourd'hui, plus d'un Français sur dix ne dispose pas d'un débit supérieur à 3 mégabits par seconde. Dans la feuille de route du Gouvernement, il était prévu que cette couverture serait assurée en 2017, comme le Sénat l'avait d'ailleurs voté dans une proposition de loi en 2012. Force est de constater que les choses ont peu évolué.
Quant à la couverture en téléphonie mobile, les chiffres officiels, qui sont selon moi très en deçà de la réalité, signalent plusieurs centaines de communes privées de 2G et encore plus de 3G, les opérateurs n'ayant pas tenu leurs engagements. Pour ce qui est du déploiement de la 4G, il exclut près de 70 % du territoire.
Je me réjouis que le Gouvernement, dans la loi Macron, ait ouvert à nouveau le dossier - mais j'y reviendrai dans les propositions. Il faut vraiment que ce qui est inscrit dans la loi Macron puisse être mis en oeuvre. Je n'insiste pas plus à ce stade.
Il est vrai que, par rapport au réseau fixe, la qualité varie d'un à cent. Certains bénéficient déjà de 100 mégabits par seconde, alors que d'autres n'ont même pas 1 mégabit par seconde. Pour ce qui est de la téléphonie mobile, certains territoires et certains citoyens n'ont même aucune connexion quand d'autres bénéficient aujourd'hui de la 4G + et demain de la 5G.
Face à ce constat, nous avons souhaité faire des propositions qui, sans remettre en cause tout ce qui a été décidé, ce qui serait contre-productif, améliorent le dispositif et fassent en sorte que les engagements soient respectés afin d'éviter de nouvelles désillusions, comme le souligne le titre de ce rapport. Rien n'est pire, en matière d'action publique, que d'annoncer des choses et de ne pas tenir les promesses. L'objectif est donc de tenir vraiment les engagements qui ont été pris par les uns et les autres - État, opérateurs, collectivités.
Nous souhaitons tout d'abord que le Parlement soit davantage associé aux choix structurants en matière de couverture numérique. Toutes les décisions qui ont été prises par les gouvernements successifs ces dernières années concernant le déploiement du très haut débit l'ont été sans que le Parlement soit associé. Pire, la loi Pintat, votée en 2009, est restée inappliquée, le Gouvernement n'ayant pas pris les décrets d'application concernant la mise en place du Fonds d'aménagement numérique des territoires.
L'engagement de créer une agence publique dédiée au pilotage et composée de l'État, des collectivités et des opérateurs, comme cela avait été annoncé par l'actuel Gouvernement, n'a pas été non plus respecté, l'Agence du numérique étant une structure purement administrative rattachée à Bercy.
Nous avons orienté nos propositions autour de cinq axes.
Le premier a trait au respect des engagements pris par les opérateurs qui, aujourd'hui, ne les lient en rien. Nous demandons en conséquence que, dès 2016, on écrive aux opérateurs pour demander s'ils confirment ou non leurs engagements. Si c'est le cas, nous demandons une véritable contractualisation, avec un échéancier, des pénalités et des sanctions en cas de non-respect.