Intervention de Bruno Sido

Commission des affaires économiques — Réunion du 25 novembre 2015 à 9h32
Loi de finances pour 2016 — Mission « écologie développement et mobilité durables » - crédits « énergie » - examen du rapport pour avis

Photo de Bruno SidoBruno Sido, rapporteur pour avis :

Monsieur le Président, mes chers collègues, comme chaque année, notre commission s'est saisie pour avis du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » qui retrace les crédits consacrés à l'énergie. Au-delà de cet exercice un peu contraint, j'ai souhaité revenir sur la situation du groupe Areva après l'annonce d'une perte record de 4,8 milliards d'euros en 2014, et examiner la pertinence des mesures annoncées pour sortir de la crise.

Quelques mots, d'abord, sur le budget : en réalité, la dotation du programme - un peu plus de 510 millions d'euros - couvre dans sa quasi-intégralité les droits des anciens mineurs, ce qui justifie sa contraction régulière de l'ordre de 5,6 % cette année, en ligne avec l'évolution démographique.

Ainsi, entre 2012 et 2016, le nombre de bénéficiaires des prestations servies par l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, l'ANGDM, aura diminué de près de 20 % ; les dépenses d'intervention - avantages en nature et prestations de pré-retraite pour l'essentiel - baisseront quant à elles encore plus rapidement pour connaître une baisse de 25 %, du fait des départs en pré-retraite ou en retraite des derniers agents actifs dont l'agence assumait encore les salaires. Parmi les prestations servies, les dépenses de chauffage et de logement diminuent aussi mais dans une proportion moindre, de l'ordre de 14 %, pour permettre la revalorisation régulière des aides et la mise en oeuvre de programmes de réhabilitation et d'adaptation des logements pour une population vieillissante.

Autre action financée par le programme, à hauteur de 29 millions d'euros, la « lutte contre le changement climatique » correspond en fait, pour l'essentiel, au financement du dispositif national de surveillance de la qualité de l'air. Après la contraction significative des crédits déjà observée l'an dernier, de l'ordre de 12 %, - cette baisse pouvant cependant s'expliquer par la non-reconduction de la contribution au financement de la COP 21 et par la fin de l'effort budgétaire consenti pour accélérer l'adoption des plans de protection de l'atmosphère notamment -, cette action enregistre une nouvelle baisse de 6 % qui interpelle précisément à quelques jours de la tenue de la COP 21. Or, aucune justification à la baisse de ces crédits n'a été fournie, ni dans les documents budgétaires ni à la suite des sollicitations de votre rapporteur pour avis.

Enfin, le programme finance, pour 4 millions d'euros, quelques dépenses très spécifiques en lien avec l'énergie telles que le contrôle de la qualité des carburants ou la subvention versée à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ANDRA, pour l'inventaire triennal des déchets radioactifs, d'une part, et l'assainissement de sites pollués ou la reprise de déchets « orphelins », d'autre part. Au total, ces crédits baissent de près de 23 %, ce qui, s'agissant de l'ANDRA, tient compte en 2016 du report de certains chantiers de dépollution déjà financés ; à moyen terme, la poursuite de la baisse des subventions pourrait cependant obliger l'agence à retarder certaines opérations.

Fort heureusement, l'effort de la Nation en matière d'énergie va bien au-delà du périmètre du seul programme 174. Ainsi, la dépense fiscale augmentera l'an prochain de près d'un milliard d'euros, à 2,3 milliards, sous l'effet de la montée en charge du crédit d'impôt pour la transition énergétique, le CITE, et de l'application de deux mesures adoptées en 2014 et 2015 en faveur des industries électro-intensives. Au total, si l'on ajoute le taux réduit de TVA pour les travaux de rénovation énergétique des logements, rattaché formellement à un autre programme, la dépense fiscale atteint près de 3,5 milliards d'euros.

Les crédits en faveur de l'électrification rurale, retracés dans un compte d'affectation spéciale, sont par ailleurs reconduits à 377 millions d'euros même si l'on observe, sur l'année 2014, une sous-consommation importante des crédits. Ainsi, moins de la moitié des crédits de paiement ont été consommés. Le Gouvernement explique qu'il s'agit là d'une situation transitoire, liée notamment au déménagement de la mission « FACÉ » sur le site de la Défense et au départ de plusieurs gestionnaires, et que les retards seront en grande partie résorbés courant 2015.

Enfin, plusieurs mesures nouvelles en lien avec l'énergie sont prévues : d'une part, dans le prolongement de la disposition adoptée l'an dernier pour les nouvelles installations de méthanisation, l'exonération de fiscalité locale est étendue aux méthaniseurs existants, dits « pionniers », pour un coût total sur entre 2016 et 2021 de 18 millions d'euros ; or, si l'effet d'aubaine est réel, cette mesure est avant tout l'une des réponses aux difficultés actuelles de l'élevage. D'autre part, le rapprochement des fiscalités du diesel et de l'essence générera, compte tenu de la forte diésélisation du parc, une recette d'environ 245 millions d'euros qui servira en particulier à alléger la fiscalité locale des retraités.

Je rappellerai cependant, entre autres, que le mouvement avait en fait déjà été initié par la mise en place de la composante carbone en 2014, qu'il a jusqu'à présent été relativement indolore pour nos concitoyens compte tenu de la baisse des cours du pétrole mais qu'il n'en sera pas toujours ainsi et qu'enfin, le moteur diesel, par son rendement thermique supérieur, émet moins de CO2 qu'un moteur essence. Surtout, cette mesure aurait mérité d'être intégrée dans une réflexion plus globale sur la fiscalité énergétique. Également, un prélèvement de 90 millions d'euros est opéré sur le fonds de roulement de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'Ademe ; entre 2009 et 2014, le fonds de roulement, de 434 millions d'euros au 31 décembre 2014, avait il est vrai été abondé par des rentrées de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) supérieures aux décaissements des aides mais cette réserve était destinée à financer la montée en puissance des actions de l'agence. Ainsi, depuis 2015, le fonds de roulement est consommé au rythme d'au moins 100 millions d'euros par an, sachant que l'agence doit conserver une trésorerie minimale d'environ 100 millions pour assurer les premiers décaissements de l'année avant le versement de la TGAP. Dès lors, si un tel prélèvement ne pose pas de problème sur 2016, il obligera à se reposer la question du financement de l'agence dès la préparation de son budget pour 2017 et l'on ne peut donc que regretter cette gestion de court terme alors même que les missions de l'Ademe vont croissant.

En outre, le Gouvernement a introduit une mesure attendue de « compensation carbone » au profit des électro-intensifs à laquelle le Sénat, à l'initiative de notre commission, lui avait demandé de travailler dans le cadre de la loi « transition énergétique » : concrètement, il s'agit d'une aide, autorisée par le droit européen et déjà mise en place chez certains de nos voisins, qui compensera le coût indirect du carbone, c'est à dire le coût des quotas d'émissions répercutés sur les prix de l'électricité ; cette aide viendra alléger la facture des industriels d'environ 3 euros par MWh, pour un coût estimé à 93 millions d'euros en 2016. Enfin, les prorogations du CITE, pour une année supplémentaire, et de l'éco-prêt à taux zéro, pour trois ans, apportent de la visibilité mais ne dispenseront pas d'une évaluation de l'efficacité de ces dispositifs, qui est contestée pour le premier tandis que pour le second, le nombre de prêts distribués n'a cessé de diminuer depuis 2010.

Mais ce budget se caractérise aussi par ce qui n'y figure pas. En premier lieu, le financement de la transition énergétique doit être assuré par des montages extrabudgétaires complexes, via un fonds d'1,5 milliard d'euros sur trois ans logé à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et au sein duquel une « enveloppe spéciale transition énergétique » est elle-même créée. De nombreuses ressources doivent l'abonder : une partie des dividendes de la CDC et du produit des certificats d'économie d'énergie, le redéploiement d'enveloppes existantes du programme d'investissement d'avenir ou encore des ressources propres de la caisse. Sauf qu'à ce jour, le compte n'y est pas puisqu'en additionnant toutes les ressources annoncées, il manque encore 150 millions d'euros !

En second lieu, deux mesures structurantes sont renvoyées au « collectif » budgétaire qui justifient que notre commission s'en saisisse pour avis : l'évolution de la composante carbone pour 2017, qui tient compte de la trajectoire votée dans la loi de « transition énergétique » mais qui laisse entière la question de la compensation de la mesure par la baisse d'autres prélèvements, pourtant prévue par la même loi ; et, surtout, la budgétisation de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui aura pour effet de réintégrer, dès 2016 - ce qui appellera des mesures de coordination dans le présent texte -, plus de 6,4 milliards d'euros de charges et de ressources dans le budget de l'État. Sans entrer dans le détail, notons déjà que cette réforme valide rétrospectivement l'analyse du Sénat tant en termes de contrôle parlementaire que de sécurisation juridique du dispositif au regard du droit communautaire.

J'en viens maintenant à l'analyse de la situation d'Areva qui fait ressortir plusieurs éléments saillants.

S'agissant du diagnostic, globalement partagé par tous les acteurs du dossier, il apparaît clairement que les causes des difficultés actuelles sont autant externes qu'internes à l'entreprise. Après l'accident de Fukushima, le marché du nucléaire s'est brutalement contracté quand, dans le même temps, la crise économique entraînait une stagnation de la demande dans les pays développés et que l'exploitation des gaz de schiste aux États-Unis, en rendant les centrales au gaz plus compétitives, avait un effet d'éviction sur la construction de centrales dans le pays. Les fondamentaux du marché ont aussi changé rapidement, sur les marchés matures d'abord, où la stabilité de la demande et la baisse des prix de marché ont accru la pression sur les clients d'Areva, qui la répercutent sur leurs fournisseurs ; sur le marché des nouveaux réacteurs ensuite, avec l'émergence de nouveaux concurrents chinois, russes ou sud-coréens bénéficiant d'un marché intérieur captif et du soutien financier de leurs États.

La situation a cependant été aggravée par des erreurs stratégiques et de gestion propres à l'entreprise. Sur le plan de la stratégie, le pari du « modèle intégré » regroupant l'ensemble des métiers du nucléaire n'a jamais produit les synergies escomptées. Dans le cadre d'une gouvernance qui interroge, il a surtout servi à justifier une course à la croissance qui s'est soldée par des investissements malencontreux, à commencer par un UraMin payé au prix fort et sans toutes les certitudes sur la teneur en minerais des gisements, et par la signature de contrats très favorables aux clients, dont l'EPR finlandais est symptomatique : une fourniture « clés en main » sans précédent dans le nucléaire, un calendrier excessivement optimiste - 50 mois contre 150 pour la tête de série des réacteurs de seconde génération - et la possibilité pour le client d'exiger des modifications à tout moment sans compensation, ce qu'il n'a pas manqué de faire.

À ces difficultés propres au groupe se sont ajoutées celles liées au manque de cohérence entre les stratégies d'Areva et d'EDF, en matière d'approvisionnement, où la diversification des achats décidée par EDF a réduit les volumes confiés à Areva, et à l'international, où « l'équipe de France » s'est souvent présentée en ordre dispersé, voire parfois en concurrence frontale.

Sur le plan de la gestion, ce sont surtout les difficultés d'exécution des grands projets qui ont pesé sur les résultats et sur l'endettement du groupe : accusant neuf ans de retard, l'EPR finlandais a obligé le groupe à inscrire dans ses comptes 4,5 milliards d'euros de provisions pour pertes ; à Flamanville, Areva, fournisseur de la chaudière nucléaire, doit maintenant démontrer la sûreté de la cuve à l'issue d'un programme d'essais dont les résultats, sur lesquels tant Areva qu'EDF affichent leur confiance, sont attendus courant 2016 ; enfin, la complexité du réacteur de recherche Jules Horowitz s'est aussi soldée par des retards importants et par un triplement du budget initial, à 1,5 milliard d'euros.

Il reste qu'Areva dispose d'atouts importants pour se redresser : un carnet de commande de près de 47 milliards d'euros représentant plus de cinq années d'activité, des compétences et un savoir-faire reconnus ainsi qu'un outil industriel modernisé, voire même sans équivalent dans l'aval du cycle.

Pour surmonter ses difficultés et capitaliser sur ses atouts, Areva a annoncé, en mars dernier, un plan de transformation assis sur trois piliers qui font sens sur le plan industriel.

En premier lieu, il s'agit de recentrer le « nouvel Areva » sur son « coeur de métier », les activités du cycle de l'uranium, c'est-à-dire le périmètre de l'ancienne Cogema, où le groupe détient des positions fortes. De cette première orientation découlent la recherche de partenariats - comme avec l'espagnol Gamesa dans l'éolien offshore - ou la cession d'actifs dans les autres métiers - tels que la filiale Canberra dans la mesure de la radioactivité et surtout celle de la branche réacteurs et services à la base installée, Areva NP - l'ex Framatome - à EDF.

Ce qui nous amène au second pilier, la refonte du partenariat avec EDF qui est centrale tant les deux entreprises sont liées : Areva est le premier fournisseur d'EDF et EDF son premier client. Cette refonte passera d'abord par la prise de participation majoritaire d'EDF, entre 51 et 75 %, dans Areva NP, qui est justifiée par la proximité de ces activités avec ses métiers historiques. Compte tenu du lien qui demeurera entre les deux entités sur le combustible, le nouvel Areva en conservera une part minoritaire stratégique comprise entre 15 et 25 %, les parts définitives de l'un et de l'autre devant varier en fonction de l'entrée de partenaires industriels tiers, sans doute chinois et japonais. Dans ce cadre, EDF a demandé en particulier à être immunisé de tout risque lié à l'EPR finlandais, j'y reviendrai.

Le renforcement de la relation entre les deux groupes passera en outre par la création d'une société commune d'ingénierie, de gestion de projet et de commercialisation de réacteurs neufs, qui est décisive pour arriver groupés dans la bataille à l'export, et par un accord de coopération stratégique pour sécuriser les contrats entre les deux groupes.

Second volet du plan de transformation, le plan de compétitivité a pour objectif de générer un milliard d'euros d'économies d'ici à 2017. Sur le plan social, cet effort se traduira par un plan de départs volontaires - puisque les départs non forcés seront la règle - qui devrait concerner, selon le projet transmis aux syndicats en octobre, 2 700 postes en France.

Dernier axe, la couverture des besoins de financement, estimés à 7 milliards d'euros sur 2015-2017, sera assurée par des financements propres, pour 1,2 milliard, et des cessions d'actifs, pour 2,4 milliards - 2 milliards pour 75 % d'Areva NP et 400 millions pour Canberra. Quant aux 3,4 milliards restants, ils devront être couverts pour l'essentiel par une augmentation de capital souscrite par l'État à hauteur de 2,5 à 3 milliards d'euros et financée par le programme de cessions de l'Agence des participations de l'État.

Au total, les principes mis en oeuvre dans ce que le Président de la République a qualifié de « refondation de la filière nucléaire française » me semblent bons et de nature à sortir Areva de la crise, à savoir, dans le cycle, un nouvel Areva plus compétitif est en mesure de reconquérir des parts de marché et, dans les réacteurs, la répartition des rôles est clarifiée avec une « équipe de France » remise en ordre de bataille et réorganisée autour d'un « trépied » constitué d'un chaudiériste-fournisseur de services, Areva NP, une filiale commune d'ingénierie et un architecte-ensemblier, EDF.

La réussite de l'opération est désormais conditionnée à l'atteinte d'un certain nombre d'objectifs qui sont autant de points de vigilance: la bonne réalisation du plan de compétitivité, qui devra tout particulièrement préserver les compétences commerciales et celles liées à la sûreté ; l'accompagnement social des mesures de productivité ; la définition d'une relation équilibrée avec EDF, notamment par la conclusion de contrats équitables pour les deux parties ; la recherche de partenariats industriels créateurs de valeur ; pour être clair, il s'agira de s'assurer que l'entrée de partenaires tiers n'aboutisse pas à des transferts massifs de technologies ; l'adaptation de l'offre aux nouvelles demandes du marché - c'est notamment l'objet de l'EPR « nouveau modèle » qui vise une baisse des coûts d'environ 20 % ; la mise en oeuvre d'une augmentation de capital adaptée aux besoins de financement du nouvel Areva et la plus rapide possible afin de donner de la visibilité sur le devenir de l'entreprise ; la validation des opérations de cession et de recapitalisation par les autorités européennes ; et enfin, la question centrale du portage du risque finlandais, auquel EDF a exclu de participer et qu'il paraît difficile de reporter sur un nouvel Areva au périmètre resserré. Avec l'entrée d'investisseurs tiers, c'est là l'une des incertitudes qui pèse encore sur le dossier.

S'agissant du vote sur les crédits du programme 174 et du compte d'affectation spéciale sur l'électrification rurale, je recommande ainsi à la commission un avis de sagesse. Je vous remercie de votre attention.

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