Intervention de Michel Le Scouarnec

Commission des affaires économiques — Réunion du 25 novembre 2015 à 9h32
Loi de finances pour 2016 — Mission « ecologie développement et mobilité durables » - crédits « pêche et aquaculture » - examen du rapport pour avis

Photo de Michel Le ScouarnecMichel Le Scouarnec, rapporteur pour avis :

Monsieur le Président, mes chers collègues, nous n'avons pas souvent l'occasion de nous pencher sur la pêche maritime et l'aquaculture. Or, il existe une ligne budgétaire au sein du programme 205 « sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » de la mission « écologie, développement et mobilité durables », qui vise à soutenir le secteur de la pêche et de l'aquaculture.

Le projet de loi de finances permet donc de parler un peu de nos ports de pêche, de nos navires, de nos conchyliculteurs, essentiels à l'économie du littoral.

Tout d'abord, constatons que la pêche française va mieux depuis deux à trois ans. Après 10 années de crise, au cours de laquelle la réduction de la taille de notre flotte de pêche s'est poursuivie, les cours du poisson se maintiennent voire progressent - on pêche moins mais on vend plus cher - les stocks sont en voie de reconstitution dans certaines zones, en particulier l'Atlantique Nord, et les prix du carburant ont baissé.

Tous ces facteurs permettent aux pêcheurs de dégager de meilleurs revenus qu'auparavant. Lors de l'audition du comité national des pêches maritimes et élevages marins, il m'a été indiqué que l'année dernière, la part de pêche, c'est-à-dire le salaire du pêcheur, pouvait aller de 2 000 à 8 000 euros mensuels.

Si la pêche maritime française va mieux, tous les problèmes ne sont pas pour autant réglés : certaines pêcheries restent menacées par des baisses de quota - la sole en golfe de Gascogne ou en Manche-Est, le cabillaud et l'églefin en mer celtique - ou encore par des arrêts temporaires d'activité de pêche, comme on peut le craindre pour le bar dans l'Atlantique. Par ailleurs, la Méditerranée continue à manquer de poissons. La profession réclame moins de brutalité dans les variations de quotas, et notamment la mise en place de systèmes de quotas pluriannuels, pour plus de lisibilité.

La pêche doit par ailleurs s'adapter à la nouvelle politique commune de la pêche (PCP), notamment en mettant fin aux rejets en mer, c'est-à-dire en débarquant toutes les prises, en améliorant la sélectivité des engins, en répondant à l'impératif d'excellence environnementale. S'il faut tout débarquer, des investissements doivent être faits. Au demeurant la pêche est très contrôlée, en mer, à terre, dans les criées ...

Nous sommes à la croisée des chemins : la pêche française doit profiter de la période plutôt favorable qu'elle traverse pour se moderniser : avec un âge moyen de 26 ans, la flotte métropolitaine est vieillissante, gourmande en carburant et peu confortable pour les équipages et constitue à terme un handicap structurel. L'année dernière, j'avais indiqué que la part du carburant pouvait atteindre 40 % des coûts de fonctionnement. Il faut profiter de l'actuelle période pour construire des bateaux ou les rénover.

Concernant les crédits des pêches maritimes et de l'aquaculture proprement dit, le budget 2016 s'inscrit dans la continuité du budget 2015 : l'enveloppe est en légère baisse, avec 46,8 millions d'euros contre 47,9 millions d'euros l'année dernière.

La répartition de l'enveloppe n'évolue pas significativement avec 6,8 millions d'euros pour la recherche scientifique, dont une part importante est destinée à l'IFREMER. À cet égard, les professionnels craignent un désengagement de l'IFREMER sur la recherche halieutique, qui représenterait aujourd'hui 8 millions d'euros environ sur les 215 millions de budget de l'Institut. Il nous faudra être d'une grande vigilance sur le sujet car l'acquisition de données scientifiques, notamment par les programmes d'observations en mer, est décisive dans le cadre des négociations annuelles avec Bruxelles sur les quotas.

6,2 millions d'euros de crédits sont consacrés au contrôle des pêches, qui constitue une obligation communautaire. Mais le budget des pêches ne porte qu'une faible part des moyens de contrôles, la prise en charge des moyens humains relevant d'autres budgets. L'activité de contrôle est évaluée à 460 emplois temps plein par la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA).

Les lignes de crédits destinés à la caisse de solidarité intempérie des marins, à l'assistance technique et au repeuplement de civelles ou à la recherche outre-mer sont reconduites.

Enfin, un peu plus de 20 millions d'euros sont mobilisés pour cofinancer les actions de développement économique qui sont éligibles aux aides européennes : plans de production et de commercialisation des organisations de producteurs, aides au stockage, innovation, appels à projets.

En réalité, le budget de l'État n'est ni le seul, ni le plus important des soutiens à la pêche et l'aquaculture : depuis plusieurs années, les crédits européens jouent un rôle majeur.

L'enveloppe de la France au titre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) pour la période 2014-2020 est bien plus importante que l'enveloppe du fonds européen pour la pêche (FEP) de 2007-2013. Les 588 millions d'euros de crédits européens doivent permettre de lever au total 822 millions d'euros d'aides publiques, venant aussi en partie des régions. C'est considérable ... mais pour l'instant virtuel car la mise en oeuvre du FEAMP est encore différée : présenté en avril dernier, le programme opérationnel français n'est toujours pas approuvé à Bruxelles. J'avais déjà indiqué l'année dernière qu'il fallait accélérer la mise en oeuvre du FEAMP. Les professionnels s'inquiètent à juste titre, car cela retarde la mise en oeuvre des appels à projets, qui ne seront probablement pas sélectionnés avant la fin 2016, soit près de 3 ans après le lancement du fonds. On risque au final de ne pas pouvoir consommer l'enveloppe, ce qui serait bien dommage, et aurait probablement pour conséquence une baisse des crédits attribués à la France sur la prochaine période de programmation budgétaire.

Enfin, j'attire votre attention sur le fait que l'interprofession de la pêche, France Filière Pêche, a continué en 2015 et continuera en 2016 à apporter son soutien à la filière pêche, grâce aux 30 millions d'euros de contributions volontaires, essentiellement payées par la grande distribution. Il convient de voir pérenniser cette manne au-delà de 2016, par un nouvel accord pour France Filière Pêche, faute de quoi nous serions amenés à réfléchir à la réinstauration d'une contribution de la grande distribution.

France Filière Pêche a maintenant un rôle incontournable, pour la valorisation de la pêche française avec le label Pavillon France désormais connu par 57 % des consommateurs, mais aussi pour la recherche scientifique en apportant un soutien ponctuel aux projets qui rencontrent des difficultés de financement, mais aussi pour l'investissement à bord des navires. Cela doit continuer mais je regrette au passage que les règles européennes interdisent d'apporter des fonds publics pour soutenir l'investissement dans les nouveaux navires. Autrefois, des crédits importants y ont été consacrés. Cette interdiction conduit à ne favoriser que les grandes structures ayant de grandes capacités financières propres. Cela pousse aussi au regroupement des investisseurs, car il devient impossible de financer seul l'acquisition de navires de plus de 12 mètres.

Lors du comité interministériel de la mer (CIEM) du 22 octobre dernier, le Gouvernement a annoncé une nouvelle ambition pour la pêche et l'aquaculture, notamment dans le but de réduire notre dépendance aux produits importés, qui représentent environ 85 % de notre consommation. Nous n'en serions qu'à 50 % si nous ne mangions plus de saumons et de crevettes massivement importées. Deux mesures ont été mises en avant : un encouragement de l'investissement dans des nouveaux navires avec une réglementation plus adaptée afin de ne pas décourager le renouvellement de la flotte de pêche et l'identification de sites propices et l'attribution de 15 % des crédits européens pour l'aquaculture.

Je salue ces propositions, mais il faudra qu'elles soient suivies d'effets. Les annonces concernant l'aquaculture ne sont pas nouvelles, et l'expérience des schémas régionaux de développement de l'aquaculture marine, promis en 2010 et dont bien peu ont été élaborés, est à cet égard instructive.

La pêche maritime française a aussi besoin d'un véritable plan stratégique pour se moderniser. J'ai reçu les auteurs du rapport sur le renouvellement de la flotte de pêche, MM. Deprost et Suche, qui mettent en évidence le caractère stratégique de la flotte des navires de plus de 12 mètres. Il s'agit de moins de 1 000 navires qui apportent plus des deux tiers des captures dans les ports français. Leur modernisation, avec éventuellement leur remotorisation est indispensable car ces navires sont énergivores.

En septembre, le navire Arpège, dit « navire du futur », un navire de 25 mètres d'un coût de 8 millions d'euros, dont un quart a été financé grâce au programme des investissements d'avenir, a été mis à l'eau. Il apporte d'importants gains en consommation d'énergie et en confort à bord, ce qui est indispensable pour attirer du personnel. Une construction en série permettrait de faire baisser considérablement les coûts, probablement autour de 3,5 millions d'euros.

Encore faut-il trouver des investisseurs qui veuillent s'engager et financer de nouveaux navires. Or, leur coût les rend inaccessibles à des artisans-pêcheurs. Il faut dès lors encourager le regroupement des pêcheurs, pour leur permettre de financer la construction de navires neufs de plus de 12 mètres.

Le rapport Deprost-Suche formule de nombreuses propositions, dont la réforme du permis de mise en exploitation. Lors d'un entretien avec les responsables du port de Lorient, j'ai eu confirmation que le problème du droit à pêcher constituait un obstacle à l'installation de nouveaux pêcheurs, du fait du coût que cela représente.

La modernisation de notre flotte de pêche est nécessaire. Elle est possible. Et elle devra se faire dans le respect d'un modèle social respectueux des marins, et non pas, comme le font certains États membres de l'Union européenne, avec des matelots sous-formés, sous-payés et exposés à une multitude de risques inhérents aux sorties en mer. Le dumping social existe dans le secteur de la pêche. Beaucoup reste à faire pour lutter contre ce phénomène.

Pour conclure, je propose à la commission d'émettre un avis de sagesse à l'adoption des crédits relatifs à la pêche figurant au sein de la mission « Écologie, développement et aménagements durables », et j'espère qu'au printemps prochain, notre commission pourra constater les progrès de la pêche française sur la criée de Lorient. Car s'il faut faire évoluer les navires, il faut aussi moderniser les criées et équipements à terre.

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