Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter le projet de loi portant engagement national pour le logement, coproduction - si j'ose dire ! - du ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, et du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement.
Permettez-moi de souligner tout d'abord le très remarquable travail accompli par les différentes commissions, notamment par M. Dominique Braye, rapporteur saisi au fond, ainsi que par Mme Valérie Létard et M. Pierre Jarlier, rapporteurs pour avis. Il s'inscrit dans une réflexion plus large menée depuis un certain temps, notamment dans le cadre de la mission confiée au sein de votre assemblée au groupe de travail sur les facteurs fonciers et immobiliers de la crise du logement, M. le président vient de le rappeler. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous êtes très sensibles à ce sujet. C'est pourquoi je suis heureux que ce projet de loi ait été déposé en premier lieu sur le bureau de la Haute Assemblée.
Le logement est un enjeu majeur. Tous les rapports éducatifs montrent qu'il constitue l'un des facteurs essentiels de la réussite de la scolarité : à l'école, tous les enfants commencent par dessiner une maison, lieu évident de structuration de la vie familiale ou de la vie individuelle, en tout cas de la vie dans notre société.
La situation de la France est assez paradoxale. Notre pays a une tradition de construction de logements assez particulière, caractérisée par une intervention forte de l'État. Ainsi, ce dernier construisait plus de 400 000 logements par an, dont près de 80 000 logements conventionnés. Or, pour un certain nombre de raisons dans l'exégèse desquelles je ne me lancerai pas, pendant une longue période de son histoire - dix à quinze ans -, notre pays a connu une baisse à la fois de la construction neuve, toutes constructions confondues, et de la construction conventionnée, qui était tombée aux alentours de 52 000 logements par an.
Depuis quelques années, grâce à l'effort de tous, le rythme de construction de logements et de financement de logements sociaux s'est accéléré : le nombre de constructions a été porté, après un creux à 270 000, à plus de 400 000 par an, tandis que celui des logements sociaux est passé de 40 000 à 77 000 cette année, battant ainsi le record de l'année dernière, avec 70 000 logements construits. En d'autres termes, on n'avait pas construit autant de logements depuis vingt-cinq ans, ni autant de logements sociaux depuis dix ans.
Le parc privé, mobilisé dans le cadre du plan de cohésion sociale, a lui aussi atteint l'objectif qui lui avait été fixé. Ainsi, 30 000 logements à loyers maîtrisés ont été financés par l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitation, l'ANAH, et 14 000 logements vacants ont été remis sur le marché, contre 11 000 en 2004 et 6 000 en 2003.
Globalement, en trois ans, la production de logements sociaux, dans le parc privé comme dans le secteur public, aura doublé en France.
Dans ce contexte, et parce qu'il faut aller plus loin et plus vite, le chef du Gouvernement, M. Dominique de Villepin, a demandé qu'un effort supplémentaire soit accompli au-delà de la loi de programmation pour la cohésion sociale et de la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine. Quoi qu'il en soit, je m'en suis rendu compte, les lois de programmation sont heureusement revenues à la mode ces derniers jours dans le domaine social.
Pour ce qui concerne le logement, le plan de cohésion sociale prend la forme d'une loi de programmation sur cinq ans, qui se fixe, avec des financements garantis, un certain nombre d'objectifs.
Ainsi sont prévus la réalisation de 500 000 logements locatifs dans le secteur social sur cinq ans, le conventionnement de 200 000 logements à loyers maîtrisés, et la remise sur le marché de 100 000 logements vacants grâce aux aides de l'ANAH dans le parc privé.
Par ailleurs, le plan de cohésion sociale vise au triplement du nombre d'accessions à la propriété sous plafond de ressources, grâce au nouveau prêt à taux zéro. Il est également prévu de porter à 100 000 le nombre de places d'hébergement d'urgence, objectif qui est en passe d'être atteint.
Dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003, le Gouvernement a aussi engagé un vaste programme pour transformer en profondeur un certain nombre de nos quartiers en grande difficulté en matière d'habitat ou d'environnement, afin de donner un meilleur cadre de vie à tous leurs habitants et d'éviter toute ségrégation territoriale et sociale.
Pour ce faire, le Gouvernement envisage de réhabiliter en profondeur, de « résidentialiser » 400 000 logements et de remplacer 150 000 à 200 000 logements en grand délabrement. De plus, il entend prendre en charge un tiers des financements destinés à l'environnement dans ces quartiers : espaces publics, équipements publics, accessibilité. En d'autres termes, il s'agit d'introduire de la beauté.
Ce programme de 20 milliards d'euros doit maintenant être porté à 30 milliards d'euros sur une période plus longue. C'est le prix à payer pour rattraper le retard que nous accusons en matière de qualité de vie. En effet, nous avons le souci non seulement de réaliser des constructions de qualité, mais aussi d'améliorer un certain nombre d'opérations bâties.
L'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, qui pilote ce programme, a déjà approuvé 131 projets portant sur 112 000 « résidentialisations » en profondeur, 58 700 reconstructions et à peu près autant de déconstructions ou démolitions.
Les organismes de logement social, les propriétaires du parc privé, les partenaires sociaux du 1 % logement et les autres professionnels de l'immobilier se sont immédiatement mobilisées autour de ces objectifs en les traduisant par des engagements contractuels dans le cadre d'accords nationaux avec l'État.
Concernant la production de logements, en 2005, seize conventions de délégation de compétences ont été signées entre l'État et les agglomérations. D'ici à la fin de l'année 2006, quatre-vingts conventions supplémentaires sont prévues. Cela représente les trois quarts des populations concernées. En effet, chaque convention de délégation de compétences prévoit une production au moins aussi importante - tant en nombre qu'en catégorie de logements sociaux - que celle qui est programmée dans l'exécution générale du plan de cohésion sociale.
Pour cette année, les résultats ont été obtenus grâce à l'engagement de l'ensemble des acteurs : les maires, le parc public, l'État, les directions départementales de l'équipement...
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 77 000 logements locatifs sociaux, hors ANRU, ont été construits ; 30 000 logements locatifs privés à loyers maîtrisés ont été réalisés ; 14 000 logements vacants ont été remis sur le marché ; 240 000 prêts à taux zéro ont été distribués. Le plan de cohésion sociale est strictement appliqué.
Néanmoins, M. le Premier ministre a engagé un certain nombre de mesures complémentaires pour aller plus loin et plus vite.
Premièrement, la baisse de 0, 15 % des taux des différents prêts - les prêts locatifs aidés d'intégration, les PLAI, les prêts locatifs à usages social, les PLUS, les prêts locatifs sociaux, les PLS - porte désormais le taux des prêts consentis par la Caisse des dépôts et consignations aux organismes d'HLM à 3 %.
Deuxièmement, la durée des prêts augmente. Elle passe de trente-cinq ans à quarante ans pour la partie construction des PLUS et des PLAI, de trente ans à cinquante ans pour la partie foncière des PLS, comme c'est déjà le cas pour les PLUS et les PLAI. Ces deux mesures conjuguées sont équivalentes en trésorerie à une subvention de 8 % du coût des opérations.
Troisièmement, la durée des prêts de la Caisse des dépôts et consignations dédiés à l'acquisition de terrains pour faciliter le portage foncier par les bailleurs ainsi que celle de certains prêts fonciers est portée à cinquante ans. Cela permettra aux communes ou aux bailleurs d'acquérir des terrains pour les donner à bail à des organismes de logement social. Il s'agit là d'un financement ab initio permettant d'améliorer la maîtrise foncière.
Quatrièmement, 328 communes classées jusqu'ici en zone II sont reclassées en zone I. Cette mesure permettra d'améliorer considérablement le financement des opérations qui y seront réalisées et aura des conséquences sur l'aide personnalisée au logement, l'APL.
Enfin, pour réduire le crédit fournisseur entre les organismes de logement social et l'État, un effort de 250 millions d'euros a été consenti au profit des organismes publics. Ce n'était pas prévu dans la loi de finances initiale pour 2005, mais ils seront versés avant le 31 décembre 2005.
Les bailleurs sociaux reconnaissent l'importance et la pertinence de ces mesures, au point qu'ils ont signé au mois de décembre dernier, c'est-à-dire avant même l'annonce de ces dispositions, un accord avec l'État pour que la production soit doublée. Pour ma part, je suis convaincu que nous continuerons à maintenir le rythme, voire à l'amplifier.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, trois mesures complémentaires ont été annoncées grâce à l'arbitrage du Premier ministre.
Premièrement, 50 millions d'euros ont d'ores et déjà été délégués aux organismes associatifs recevant collectivement des personnes fragiles dans des systèmes groupés ou collectifs pour qu'ils réalisent immédiatement des travaux de sécurité. Ceux-ci démarreront au mois de décembre prochain.
Deuxièmement, la construction de 5 000 logements d'urgence et d'insertion pilotés directement par l'État ou par un établissement public sous tutelle de l'Etat est prévue. La responsabilité de l'État est donc clairement engagée dans ce domaine, et sa volonté est manifeste.
Troisièmement, une offre hôtelière à vocation foncière et de qualité à hauteur de 5 000 places est créée, et ce dans une période très contrainte de deux ans.
Le développement de l'accession à la propriété est engagé. Pour cela, l'élargissement des prêts à taux zéro a été annoncé.
La mobilisation de la ressource foncière se traduit par la mise en place du comité interministériel pour le développement de l'offre de logement, à vocation sociale essentiellement. Pilotée par M. Jean-Pierre Beysson, cette nouvelle organisation prévoit une programmation de 20 000 logements sur trois ans sur des terrains de l'État ou d'organismes sous tutelle de l'État. La machine est d'ores et déjà lancée.
Enfin, un certain nombre de mesures très spécifiques concernant l'urbanisme et l'habitat sont également prévues. M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer les développera dans un instant.
Afin de développer le caractère opérationnel de ce dispositif, le projet de loi prévoit des mesures en matière de foncier, d'urbanisme, de délimitation de secteurs, avec des dérogations possibles au coefficient d'occupation du sol, le COS. Il propose également une majoration substantielle de la taxe foncière sur les propriétés non bâties comme de la taxe locale d'équipement. Ces différents dispositifs accroîtront la mise à disposition des terrains fonciers.
Il n'est pas acceptable que la France, qui a l'une des plus faibles densités de population de la Communauté européenne, connaisse un problème de foncier. Il s'agit fondamentalement d'un problème d'arbitrage ou de gestion d'intérêts rationnels !
Pour conclure, je formulerai quelques remarques sur les amendements qui ont été déposés.
Ce projet de loi contient une mesure qui me tient particulièrement à coeur et à laquelle sont sensibles tous les maires qui sont confrontés à ces problèmes : l'accession sociale à la propriété, notamment dans les quartiers qui connaissent des difficultés réelles et qui sont actuellement en grande transformation.
Il s'agit de favoriser l'accession sociale à la propriété partout, y compris pour consolider les quartiers. En effet, contrairement à une idée reçue, la France a plus besoin de densité que de désertification.
Les sept cents sites sélectionnés sont probablement, en termes fonciers, les plus beaux du pays : situés, en général, sur des hauteurs, ils offrent des vues magnifiques. Et, puisque d'énormes terrains viabilisés sont déjà disponibles, il est possible d'y opérer immédiatement, pour construire des maisons à 100 000 euros ou de petits logements collectifs, car il ne s'agit pas forcément d'habitat individuel.
En développant l'accession sociale à la propriété, en faisant passer le taux de TVA de 19, 6 % à 5, 5 %, en privilégiant de petits programmes réalisés avec de multiples opérateurs, publics ou privés, nous sommes capables, aujourd'hui, de livrer un logement qui revient quasiment au montant d'un loyer dans une HLM. Cela permet de respecter des plafonds de ressources extrêmement définis et contraignants.
Avec ce dispositif, encadré par l'ANRU, je suis convaincu que nous pourrons respecter une moyenne de trente logements par opération, pour parvenir à 20 000 constructions par an. Cela représente la moitié de la production d'il y a quatre ans, soit un gap tout à fait significatif.
Par ailleurs, nous avons prévu dans ce projet de loi un certain nombre d'éléments complémentaires, qui concernent l'accès de tous au logement, le rôle des EPCI, les établissements communaux de coopération intercommunale, ou celui des commissions de médiation.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous dire que j'ai été parlementaire pendant de nombreuses années et que j'ai participé à beaucoup de débats. Par ailleurs, depuis mon arrivée au ministère, j'ai eu la chance de présenter cinq textes importants. Or jamais je n'ai vu un texte bénéficier d'un tel apport, grâce à la qualité des débats en commission et des relations entre les pouvoirs législatif et exécutif ; jamais je n'ai vu un texte faire l'objet d'autant de propositions nouvelles. Celles-ci ont été étudiées et discutées, et sont devenues des amendements, acceptables pour l'essentiel même s'ils ne suivent pas forcément le schéma préalablement défini par le Gouvernement ; bref, jamais je n'ai vu un texte aussi enrichi par le travail de la commission saisie au fond et des commissions saisies pour avis.
Tel est le contexte dans lequel nous abordons ce projet de loi. Vous le savez, nous avons déjà eu l'occasion de discuter de ces propositions lorsque j'ai reçu MM. Braye et Repentin dans le cadre des travaux du groupe de travail parlementaire sur les facteurs fonciers et immobiliers de la crise du logement. Un certain nombre des amendements ont ainsi fait l'objet d'une analyse très attentive du Gouvernement et, s'il ne les soutient pas tous, il sera favorable à un nombre extrêmement important d'entre eux.
Les professionnels du logement qui siègent ici le savent, dans ce domaine, les processus sont longs et exigent de la ténacité dans les engagements. Il faut en effet attendre deux ou trois ans pour ressentir enfin les effets des décisions prises.
Je suis pour ma part convaincu que le plan de cohésion sociale sera dépassé, voire amplifié, car c'est une absolue nécessité pour le pays : j'espère que chacun aura la pudeur de se souvenir à cette tribune quel était l'état exact, dans ce pays, de la production de logements, notamment sociaux, au moment où la majorité à laquelle il appartenait présidait aux destinées gouvernementales.