Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, on peut aujourd'hui mourir parce que le droit au logement, pourtant défini depuis la loi du 31 mai 1990 visant à sa mise en oeuvre, n'est pas appliqué dans notre pays.
Ce printemps et cet été 2005 ont été marqués par les tragiques incendies du Paris-Opéra, hôtel sans confort du ixe arrondissement, dont les chambres étaient louées à un tarif scandaleusement élevé, et celui de l'immeuble du boulevard Vincent-Auriol, dans le xiiie arrondissement, où une association caritative avait hébergé, faute de pouvoir définir des solutions de logement plus adaptées, des familles de salariés et de travailleurs victimes de l'application sans nuance de la loi du marché.
À ces drames humains s'ajoute la campagne lancée en septembre dernier contre les occupants considérés sans droit ni titre de certains immeubles parisiens, comme l'ensemble de la rue de la Fraternité, dans le xixe arrondissement. La presse nous indique, ces derniers jours, que les propriétaires et marchands de biens intervenant sur cet ensemble vont désormais pouvoir réaliser de fructueuses plus-values.
Oui, on peut mourir du non-exercice du droit au logement dans notre pays, tandis que l'état du marché locatif - devons-nous d'ailleurs parler de « marché » quand il s'agit d'un droit élémentaire de la personne humaine qui est ainsi bafoué ? - est tel que des millions de familles sont aujourd'hui privées de toute liberté de choix dans leur parcours résidentiel.
Paradoxe, nombre de ces familles sont éligibles, eu égard à leur situation de ressources, à l'attribution de logements PLA intégration : 60 % des demandeurs de logement sont dans ce cas dans bien des régions de France et n'ont pour l'heure d'autre solution que de payer les loyers exorbitants de logements dits libres, loyers dont la fixation n'obéit qu'aux règles de marché. On paie 400, 500, 600 euros mensuels, pour des revenus familiaux s'élevant parfois à 1 500 euros par mois, dans des logements sans confort, et les demandes de logement social ne sont pas satisfaites !
Enfin, la plus récente actualité, marquée par la révolte des jeunes des quartiers dits sensibles, illustre elle aussi la situation du logement.
Monsieur le ministre, alors que vous évoquiez l'importance structurelle du logement, vous avez rappelé que le premier dessin d'un enfant était souvent une maison. On imagine encore mieux à la lumière de cette évocation le degré de frustration lorsque l'imaginaire ne peut plus s'exercer ! Les familles les plus modestes, les jeunes, souvent précarisés et paupérisés, ne supportent plus la situation qui leur est faite dès lors qu'il s'agit du logement.
La loi du marché se double bien souvent de toutes les discriminations, frappant de plein fouet des milliers et des milliers de familles, aujourd'hui contraintes à la précarité de leurs conditions de logement. Plus de 3 500 000 personnes vivent en situation de surpeuplement, plus de 800 000 sont hébergées chez des tiers, famille ou amis, et 800 000 autres ménages ne doivent de ne pas dormir dehors qu'à des solutions précaires d'hébergement divers. C'est dire l'immensité des problèmes !
On pourrait croire, à la lecture du rutilant intitulé du projet de loi portant engagement national pour le logement, que l'on va chercher, enfin, à définir les solutions pour répondre à l'état d'urgence sociale qui s'exprime en matière de logement.
Reprenant dans ses grandes lignes les thèmes et les termes d'un projet de loi Habitat pour tous que l'on attendait mais que l'on n'a finalement pas vu venir, le texte qui nous est proposé offre-t-il de nouvelles opportunités pour répondre aux besoins en logement ?
Prenons les questions comme elles se posent.
Paradoxe de la situation, la construction de logements s'accroît en 2005, mais la demande demeure forte. À y regarder de plus près, on constate cependant que la construction de logements sociaux n'atteint pas les niveaux escomptés lors de la discussion de la loi de programmation pour la cohésion sociale.
Revenons l'espace d'un instant sur le cheminement qui nous a conduits au texte dont nous débattons.
En 2003, à quelques jours d'intervalle, furent promulguées deux lois, l'une portant orientation et programmation pour la ville et la rénovation urbaine, l'autre portant diverses dispositions relatives à l'urbanisme, à l'habitat et à la construction.
La mesure phare de la première était la création d'un outil d'intervention en matière de rénovation urbaine, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, tandis que la seconde était marquée notamment par une réforme de la procédure de confection des plans locaux d'urbanisme mais surtout par l'émergence d'un nouveau produit fiscal d'investissement locatif, le dispositif Robien.
Le moins que l'on puisse dire est que le « Robien » fonctionne, puisque plus de 110 000 des logements construits cette année dans notre pays ont été réalisés sous ce régime, dont le coût pour l'État ne fait que croître - il a quadruplé depuis 2003 -, ces 110 000 logements devant être mis en regard avec les 54 000 logements sociaux aujourd'hui construits dans notre pays...
En 2003 toujours, nous avons débattu de la loi de décentralisation. Celle-ci comportait des dispositions relatives à l'utilisation des enveloppes publiques d'aides à la pierre et à la gestion des attributions de logement.
Dois-je rappeler que le décret d'annulation du 3 novembre dernier a consacré, entre autres choses, l'annulation de 55 millions d'euros sur la ligne destinée à la construction et à la réhabilitation du parc locatif social ?
Dois-je aussi rappeler que, dans le droit fil de cette démarche, se combinant avec le désengagement de l'État dans le financement de l'accession sociale à la propriété, le budget « ville et logement » est orienté à la baisse, près de 130 millions d'euros - 10 % des crédits de 2005 - sur le poste « développement et amélioration de l'offre » ?
Quant aux attributions de logement, force est de constater que bien des choses ne vont pas en la matière et que la quasi-disparition du contingent préfectoral a induit des pratiques peu respectueuses des demandes exprimées par les familles en attente de logement, ce qui a encouragé une importante progression des contentieux.
Le présent texte prétend en son article 9 corriger certaines dérives en permettant la définition de règlements locaux d'attribution de logement et un retour partiel à l'arbitrage du préfet en dernière instance. Mais les procédures ainsi mises en place ne résoudront pas la question posée, et rien ne permettra aux demandeurs de logement de faire valoir, dans des délais suffisamment courts, leur droit à un toit. Devront-ils encore et encore attendre que l'autorité du préfet se fasse respecter pour obtenir le logement auquel ils ont droit ?
Le présent projet de loi n'a en définitive de séduisant que son titre, et ce dernier cache une orientation largement en deçà des attentes, comme le font apparaître la montée des inquiétudes et la révolte des habitants des quartiers.
Concertation parfois escamotée dans les opérations de rénovation urbaine, objectifs de la loi de programmation non atteints en termes de logements sociaux neufs, persistance de l'intolérable attitude des élus refusant de se conformer à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains en construisant des logements sociaux dans leur commune, poursuite des dérives du marché s'agissant notamment du montant des loyers exigés, tout montre qu'il faudrait une loi de plus grande ampleur que celle qui nous est proposée pour remédier à la situation du logement.
Nous n'avons qu'un ensemble de mesures qui, dans l'immédiat, se bornent à accompagner la mise en oeuvre de politiques définies ces dernières années et déjà financées puisque prévues notamment par la loi de programmation pour la cohésion sociale.
Sur le plan financier, le présent projet de loi n'apporte pas un euro de plus pour répondre à la question du logement dans notre pays. Et il ne comporte pas de mesure nouvelle traduisant une véritable volonté de faire de la réalisation de logements sociaux à loyers accessibles une des priorités de la politique de la nation et de l'action des collectivités territoriales.
Ce texte doit donc être très largement modifié.
Nous l'avons dit, l'exercice budgétaire 2005 a été marqué par des annulations importantes de crédits, consacrées par le décret du 3 novembre.
Les mesures présentées par le Gouvernement sous forme d'amendements au présent texte ne règlent en rien les questions posées. En effet, alors que l'urgence d'une véritable programmation s'impose pour créer un parc réellement social, le Gouvernement ne propose que des mesures de nature fiscale, sans engagements nouveaux de crédits.
Nous formulons donc pour notre part et pour l'immédiat un certain nombre de propositions, pour certaines plus audacieuses que celles qui sont contenues dans le projet de loi.
Nous les appuyons sur le vécu même des demandeurs de logement, des associations de locataires et du cadre de vie, des acteurs du droit au logement qui nous ont fait part de leurs observations, de leurs analyses et de leurs propositions.
Nous les appuyons également sur une initiative politique : le 5 novembre dernier se sont tenus à Bobigny les deuxièmes États généraux du logement et de la ville, qui ont rassemblé, autour des questions du droit au logement et de la ville, plusieurs centaines d'intervenants et de participants d'origines fort diverses.
Parmi les propositions constitutives de ce qu'il faut bien appeler un service public national du logement de nature à permettre l'exercice effectif du droit au logement, relevons le nécessaire allégement des contraintes de financement des logements sociaux, la mise en oeuvre effective des obligations de construction de logements sociaux par toutes les communes, le renforcement de la qualité et de l'efficacité des aides personnelles au logement - sur ce point, j'approuve toutes les propositions faites par notre collègue Mme Valérie Létard -, ou encore la mise à disposition gratuite des terrains cédés par l'État pour la réalisation de programmes locatifs sociaux.
Il est temps, plus que temps, que les dispositions de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains trouvent enfin application. C'est un débat difficile mais nécessaire, et nous devons cette fois aller jusqu'au bout : 742 communes de notre pays ne respectent pas la règle des 20 % de logements sociaux et, même si certaines se sont engagées dans ce programme, il reste encore beaucoup à faire ! Nous formulerons donc dans ce débat plusieurs propositions pour rendre à ce principe toutes ses possibilités d'application.
Du retour précis au texte de 2000, en passant par une utilisation optimale des terrains cédés par l'État, tout doit tendre à ce que l'objectif de construction de logements sociaux soit atteint.
Et nous estimons même qu'il est temps, au regard de l'expérience, de pénaliser plus sévèrement les communes qui n'appliquent pas la loi
En effet, au-delà des discours sur l'urbanisme, le devenir de la ville ou l'aménagement du territoire, cette loi doit enfin donner au droit au logement de nos concitoyens tout son sens. Nous proposerons de rendre nettement plus coercitif le montant des pénalités.
Telle est la priorité que nous devons nous fixer, répondre à l'attente de la population de notre pays, au-delà de toute autre considération.
Il va sans dire que, sans inflexion de son contenu, nous ne pourrons pas voter ce projet de loi.