Monsieur le président, monsieur ministre, mes chers collègues, trop longtemps la politique du logement a été soumise à des évolutions erratiques, en fonction de la conjoncture et des arbitrages budgétaires des gouvernements. Nous sortons - peut-être - d'une dizaine d'années terribles, où les facteurs financiers, démographiques et psychologiques se sont conjugués pour tirer vers le bas les mises en chantier, favoriser l'envolée du prix du foncier, pousser à la hausse les loyers et les transactions sur l'habitat.
Dans un marché très sensible, la raréfaction des crédits pour le logement collectif social, depuis 1994, la mauvaise orientation donnée récemment à la construction de logements privés à usage locatif, par la défiscalisation sans condition de la loi Robien, l'augmentation inhabituelle du critère du « coût de la construction » qui pèse sur l'évolution des loyers, ont créé les conditions d'un déséquilibre entre l'offre et la demande et provoqué un renchérissement insupportable du logement, doublé d'une spéculation sur le foncier.
À cela s'ajoutent les mouvements démographiques, notamment vers le sud, le fameux « tropisme solaire », qui concentrent une demande forte sur des territoires mal préparés à subir cette hausse brutale de population. Le Languedoc-Roussillon est, à cet égard, en tête de la progression` du nombre d'habitants depuis le recensement de 1982, et la dynamique ne cesse de s'amplifier. Du coup, les prix ont subi une telle envolée que l'accès au logement devient problématique pour les jeunes couples ou les familles qui vivent d'allocations ou d'indemnités.
Enfin, parmi d'autres explications de ce désordre, il en est une trop souvent oubliée, à savoir la tendance récente des juges à considérer que l'intérêt privé prime, par nature, sur l'intérêt général. Une inversion de la jurisprudence, depuis une trentaine d'années, fait que les plaintes des riverains contre l'implantation d'un équipement collectif ou d'un petit immeuble sont souvent mieux entendues dans le prétoire que les arguments d'utilité publique présentés par l'État ou une collectivité territoriale à l'initiative du projet.
Plus grave encore est la dérive de l'évaluation en cas d'expropriation du foncier pour un programme de logements, élément qui, me semble-t-il, devrait être plus souvent souligné dans notre discussion. Trop souvent, le juge, au mépris de toute logique, incline à intégrer au montant de l'indemnisation du propriétaire foncier la plus grande partie de la plus-value suscitée par les investissements de la collectivité, tels que, notamment, réseaux, voies de communication, création d'écoles, de crèches ou de places de stationnement.
Ce faisant, il fait payer, par le reste des contribuables, cet enrichissement sans cause d'une personne privée, ou, à tout le moins, cette indemnisation hors de proportion avec le dommage subi en cas d'expropriation. Cette évolution est l'une des principales causes du renchérissement du foncier lors d'opérations programmées, telles les zones d'aménagement concerté, les ZAC.
Quand la justice se trompe - ce qui peut lui arriver -, le Parlement doit rappeler l'intérêt général et encadrer par la loi la sentence du magistrat. Au minimum, il convient d'atténuer par un prélèvement fiscal le manque d'équité de l'arbitrage et l'envolée de la spéculation. C'est ce que nous nous apprêtons à faire, mais de façon trop timide, à mon avis.
Ce texte de loi qui nous est soumis, malgré sa brièveté- 11 articles -, aborde beaucoup de questions relevant de la politique du logement : les aspects juridiques de la propriété et de sa transmission, les aspects fiscaux de l'accession à la propriété, la maîtrise de l'évolution des loyers, le rôle de l'ANAH, le statut juridique des offices d'HLM, etc.
Sans être audacieux ni complet, ce projet de loi est utile. De surcroît, il est heureusement enrichi des principales conclusions du rapport d'information « Foncier-logement : comment sortir de la crise ? », présenté avant l'été par notre collègue M. Thierry Repentin, sous l'autorité de notre excellent rapporteur, M. Dominique Braye.
Deux amendements de la commission des affaires économiques donnent du relief au texte de loi. En particulier, l'un vise à un partage de la plus-value foncière à hauteur de 20 %, qui bénéficiera à la collectivité territoriale et abondera sa section d'investissement. C'est un pas en avant symbolique, même si le niveau choisi - 20 % - me semble un peu faible et même si les conditions d'exonérations sont beaucoup trop imprécises. J'essaierai, par un amendement et des sous-amendements, de contribuer à améliorer cette sage préconisation.
Je proposerai un prélèvement plus important et, surtout, une définition plus précise des conditions de l'exonération, afin que les mailles du filet ne laissent pas passer trop de poissons de bonne taille, si l'on me permet cette image.
S'agissant des loyers, il faut donner un coup d'arrêt à la hausse excessive de ces trois dernières années. Là encore, je ferai une proposition un peu plus ambitieuse que celle qui nous est faite par les rédacteurs du texte.
En revanche, il est nécessaire de sécuriser les bailleurs qui, souvent, comptent sur ce complément de ressources pour leur retraite ou pour augmenter le produit d'un salaire insuffisant.
J'ai noté enfin ce que j'appelais jusqu'à présent un oubli étonnant, mais le débat fait que ce thème est d'une brûlante actualité. Comment accepter sans réagir qu'un nombre significatif de communes se dérobent à l'obligation qui leur est faite par la loi SRU à propos des 20 % de logements sociaux. Je défendrai un amendement qui alourdit le montant de l'amende afin de dissuader les élus de se soustraire à ce devoir de solidarité, qu'a rappelé solennellement le Président de la République, il y a peu.
Je voudrais dire à notre collègue M. Dallier et à notre rapporteur que ce n'est ni par dogmatisme ni par souci de stigmatiser qui que ce soit.