Intervention de Élisabeth Lamure

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 29 octobre 2015 : 1ère réunion
Communication de mme élisabeth lamure sur une proposition de loi constitutionnelle tendant à favoriser la simplification législative applicable aux entreprises et sur une proposition de résolution tendant à favoriser la simplification réglementaire pour les entreprises et examen d'un projet de proposition de loi relative aux contrôles sur le crédit impôt recherche

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure, présidente :

Mes chers collègues, nous allons maintenant passer à la deuxième partie de cette réunion, consacrée justement aux propositions très concrètes. Nous avons en préparation une proposition de loi pour promouvoir l'apprentissage en entreprise. Lors de notre table-ronde, le président du Sénat avait appuyé ce projet de la Délégation. Une autre priorité pour nous, c'est la simplification du droit dans le classement établi en 2014 par le Forum économique mondial, la France vient au 130e rang sur 148 pour le critère du poids des normes législatives et réglementaires. Nous avons donc un grand chantier devant nous ! Plusieurs initiatives ont été prises au cours des dernières années. Mais nous le voyons sur le terrain, le choc de simplification n'est pas ressenti.

Lors de sa conférence de presse de rentrée, le Président du Sénat a annoncé que sa priorité politique des prochains mois était la simplification des normes. Deux délégations sont particulièrement attendues sur ce sujet: la Délégation aux collectivités territoriales et la nôtre, qui a en effet reçu pour mission de contribuer à simplifier les normes applicables aux entreprises.

C'est pourquoi je viens aujourd'hui vous proposer plusieurs initiatives législatives.

Je voudrais d'abord évoquer avec vous deux premiers textes, qui viseraient à endiguer la production de normes législatives et réglementaires. Il s'agirait d'une proposition de loi constitutionnelle et d'une proposition de résolution qui viseraient toutes deux à la simplification.

Vous vous souvenez que notre Délégation avait posé au Gouvernement une question orale avant l'été pour faire le bilan de l'application d'une circulaire de juillet 2013 qui prévoit un gel de la réglementation ; plus précisément, cette circulaire interdit de créer une norme réglementaire sans en supprimer une d'un coût équivalent pour les entreprises. C'est le fameux One in, One out en matière réglementaire. Lors du débat au Sénat sur cette question orale, le 10 juin dernier, M. Thierry Mandon, qui était alors secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification, n'a pas dissimulé que ce texte n'était qu'un « premier pas ». Il avait lui-même indiqué que la règle du un pour un devrait être « étendue à l'ensemble de la production normative, en particulier aux textes de loi ».

C'est pourquoi j'envisage de vous soumettre une proposition de loi constitutionnelle pour appliquer ce principe de gage à la production législative et non seulement à la production réglementaire. Le texte pourrait ainsi créer, un peu dans l'esprit d'un nouvel article 40, un mécanisme de « gage de simplification » qui serait opposable aux amendements et aux propositions de loi : au Parlement, toute nouvelle charge qu'il serait proposé de créer pour les entreprises devrait s'accompagner de la suppression d'une charge équivalente.

Par ailleurs, le Conseil de la simplification pour les entreprises a reconnu un travers français dont nous entendons les entreprises se plaindre sur le terrain : la France surtranspose les directives européennes. Ainsi notre pays rajoute des obligations pour les entreprises, plus contraignantes que les exigences minimales européennes. Dans ses dernières propositions publiées le 1er juin 2015, le Conseil de simplification propose en conséquence de mieux documenter, par des études d'impact, l'introduction ou le maintien de ces obligations supplémentaires. Le Gouvernement reconnaît donc cette source de complexité, mais je ne suis pas sûre que faire des études d'impact préalables suffise à éviter la surtransposition.

La solution la plus efficace serait sans doute de distinguer plus clairement entre ce qui relève de la transposition et ce qui relève de la surtransposition. C'est pourquoi la proposition de loi constitutionnelle pourrait aussi prévoir une irrecevabilité pour les amendements aux projets ou propositions de loi de transposition de directives européennes, quand ces amendements cherchent à introduire des contraintes supplémentaires pour les entreprises par rapport à ce que prévoit la directive.

C'est une pratique que l'on observe en Allemagne : celle consistant à distinguer entre le texte de transposition de la directive -qui doit s'en tenir au contenu de celle-ci- et les éventuelles mesures d'accompagnement de la transposition, qui sont examinées séparément, dans un texte distinct. Ce texte distinct pourrait d'ailleurs être discuté dans la foulée du texte de transposition. Le droit d'amendement se trouverait préservé, mais il s'exercerait dans la clarté au lieu de se mêler à l'exercice de transposition pour aboutir à une « surtransposition ». Le Gouvernement a annoncé qu'il ferait désormais cette distinction ; ce que nous pourrions donc proposer, c'est d'appliquer cette même discipline au Parlement, en encadrant les amendements aux textes de transposition.

Un texte symétrique serait d'ailleurs amené à être déposé par la Délégation aux collectivités territoriales pour exiger qu'aucune loi ne puisse créer de charges ou contraintes applicables aux collectivités sans compensation.

Un deuxième texte pourrait compléter celui-ci pour s'attaquer au volet réglementaire de la production de normes à destination des entreprises. Comme il s'agit du domaine réglementaire, il nous apparaît plus sûr, étant donné la détermination du président du Sénat à empêcher que la loi n'empiète sur le domaine réglementaire, de recourir pour cela à une proposition de résolution (PPR). Cette PPR viserait à la fois le flux et le stock de normes réglementaires.

Concernant le flux, le texte inviterait le Gouvernement à donner force de décret en Conseil d'État au principe du « One in, One out » qui figure pour l'instant dans une simple circulaire. Il s'agit de permettre de changer notre culture administrative.

Concernant le stock de normes réglementaires existantes, la proposition de résolution indiquerait au Gouvernement des pistes concrètes de simplification. Les entreprises nous signalent en effet souvent des freins à leur croissance qui sont d'ordre réglementaires, donc qui sont dans la main du Gouvernement. Il s'agit de pointer les complexités qui ont été dénoncées comme les plus gênantes sur le terrain.

Depuis l'annonce du choc de simplification il y a deux ans, des mesures ont certes été prises pour réduire le stock de règles, notamment à l'initiative du Conseil de la simplification pour les entreprises. Mais, sur le terrain, les entreprises ne ressentent aucune simplification, plutôt même une complexité croissante en raison du flux de règles nouvelles qui continuent de venir s'ajouter. Le foisonnement d'initiatives non hiérarchisées et pas toujours bien suivies peut même créer le sentiment d'une complexification de la simplification.

En témoigne la récente circulaire, en date du 12 octobre dernier, signée du Premier ministre, sur l'évaluation préalable des normes et la qualité du droit. Cette circulaire systématise l'évaluation des normes pour les collectivités territoriales, mais pas pour les entreprises : pour les entreprises, cette évaluation n'est en effet prévue que si l'impact prévisible des normes est jugé « significatif ». Il reviendra à chaque ministère d'apprécier ce caractère significatif, même si la circulaire propose comme seuil un impact de 500 000 € pour l'ensemble des entreprises de France et 10 000 € pour une seule entreprise. L'établissement de ces seuils n'est pas un gage de simplification ! Surtout, le Gouvernement recule ainsi par rapport au principe d'évaluation de l'impact des normes pesant sur les entreprises, principe qui avait été établi par la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 dont nous avons débattu en séance.

La proposition de résolution viendrait réaffirmer la simplification comme une véritable priorité. Car la simplification est un enjeu pour la compétitivité de nos entreprises, donc pour l'emploi. C'est aussi un enjeu en raison du dynamisme de certains pays en la matière qui recrée un avantage concurrentiel en leur faveur, comme le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, ou le Danemark. Enfin, c'est une urgence pour notre démocratie car cette complexité administrative fait le lit des extrêmes. Le risque est de voir apparaître, parmi les entrepreneurs, un vote de protestation ; ce qui serait un mauvais signe pour notre démocratie.

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