Intervention de Christian Demuynck

Réunion du 21 novembre 2005 à 15h00
Engagement national pour le logement — Discussion d'un projet de loi

Photo de Christian DemuynckChristian Demuynck :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite m'exprimer sur ce texte important portant engagement national pour le logement social, car je fais partie des maires n'ayant pas atteint les 20 % de logements sociaux. Je suis donc soumis à la vindicte populaire, celle de la presse, celle de l'opposition, ce qui ne manque pas de saveur lorsque l'on sait que c'est justement lorsque les socialistes, les communistes et les Verts étaient au pouvoir que le nombre de logements sociaux construits a été le plus bas.

Je veux simplement rappeler les quelque 59 000 logements sociaux mis en chantier au niveau national en 1996, à comparer aux 40 000 mises en chantier, et difficilement, par le gouvernement Jospin en 2002. Pour achever la comparaison, en 2004, il y en a eu 75 000 !

J'insisterai aussi sur le fait que chacun a hérité d'une situation en matière de logement social et que personne ici n'a à se vanter d'être plus social qu'un autre, en tout cas plus que moi. Car peu de ceux qui se parent aujourd'hui des habits du social sont à l'origine de ces constructions, qui datent des années soixante, époque où la décentralisation n'existait pas et où c'était l'État qui délivrait les permis de construire, donc qui décidait.

D'ailleurs, celui qui le premier prit l'initiative de remplacer les bidonvilles par des logements dits « sociaux » fut le général de Gaulle. Et que certains fassent croire qu'ils sont à l'origine de ces constructions est de leur part pure démagogie.

Je vais, pour illustrer les difficultés d'application de la loi SRU, donner l'exemple de ma ville.

En effet, à Neuilly-Plaisance, ville de Seine-Saint-Denis, j'ai hérité en 1983, avec mon conseil municipal, de 38 logements sociaux.

Il faut dire que nous succédions à une majorité communiste et socialiste.

Aujourd'hui, Neuilly-Plaisance compte 1 205 logements sociaux, soit une augmentation de quelque 3 026 %, à laquelle il faut ajouter, bien sûr, tout ce qui va avec : école de quartier, gymnase, halte-garderie, maison des jeunes, aire de jeu rénovée ou créée, navettes scolaires lorsque cela est nécessaire, bref, des services publics de qualité pour les plus modestes.

J'ajoute d'ailleurs que nous n'avons jamais pu faire prendre en compte et conventionner 67 logements, propriété de la ville, que je qualifierai de logements sociaux « d'urgence ». Ils ont été acquis en pleine propriété, c'est-à-dire financés en totalité par la ville pour y loger les « accidentés de la vie » qui paient un loyer très modeste, quand ils le peuvent. À titre d'exemple, les deux derniers colocataires hébergés dans un pavillon il y a dix jours paient 50 euros par mois. Et là, curieusement, nous ne rentrons dans aucun critère. Pourtant, n'est-ce pas du social ? Ces logements ne devraient-ils pas être pris en compte ?

Nous n'avons pas attendu la loi SRU pour entamer un processus de construction et de réhabilitation, et nous revendiquons - je revendique haut et fort - la reconnaissance de notre engagement pour le développement du logement social, parce que nous considérons que « social » n'est pas un gros mot, que c'est une nécessité et que les plus modestes, comme les jeunes, doivent pouvoir se loger sans difficulté.

Je le répète, nous n'avons pas attendu d'y être contraints par une loi, mais nous l'avons fait avec le souci de l'équilibre, en préservant la qualité de vie.

La devise de Neuilly-Plaisance choisie et plébiscitée par les habitants de tous les quartiers, des plus modestes aux plus aisés, est « un art de vivre ». Que les constructions, les modifications se réalisent, mais que cela se fasse avec intelligence, dans l'intérêt de tous. C'est leur exigence, c'est aussi la mienne.

Neuilly-Plaisance est une petite ville de Seine-Saint-Denis, structurée historiquement pour qu'un peu plus de 18 000 habitants vivent dans de bonnes conditions, c'est-à-dire que chacun s'y sente bien, ait de l'espace vital, puisse circuler, stationner, ait un environnement de qualité.

En d'autres termes, nous voulons éviter les erreurs du passé.

D'ailleurs, au-delà de la loi SRU et de l'engagement pour le logement social, se posent des questions de fond : jusqu'où va-t-on accepter de voir les métropoles s'agrandir ? Va-t-on continuer indéfiniment de construire la ville sur la ville ?

Tout le monde y va de son couplet disant que l'on vit de moins en moins bien en région parisienne, que la circulation y est de plus en plus difficile, que les transports en commun sont saturés et transportent les usagers aux heures de pointe dans des conditions indignes, que les grandes villes sont polluées, que l'on y respire de plus en plus mal, au point que l'on demande aux enseignants d'arrêter les activités physiques des enfants quand le taux de CO2 et de polluants met leur santé en danger.

Ne doit-on pas, monsieur le ministre, forts de ce constat, avoir une vraie réflexion sur l'aménagement du territoire ?

Ne doit-on pas tout faire pour inverser la tendance des campagnes qui se dépeuplent et des zones urbaines qui « explosent » dans tous les sens du terme ? Peut-on vraiment penser qu'en densifiant les grandes villes nous y vivrons mieux ?

Aujourd'hui, Neuilly-Plaisance, c'est 14, 83 % de logements sociaux contre 3 % lorsque mon équipe a été élue en 1983. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes et montrent un engagement fort et indéniable sur le long terme.

Mais que nous disent les services de l'État ? Qu'il nous en manque 457, chiffre qui n'est d'ailleurs pas exact, puisque chaque fois que nous construisons cinq logements, il faut en prévoir un en plus en fonction des critères de calcul, ce qui porterait à 597 le nombre d'appartements restant à construire.

Honnêtement, monsieur le ministre, nous sommes dans l'impossibilité de les réaliser dans leur totalité par manque de foncier. Ou alors nous décidons que le logement social est une considération prioritaire qui se substitue à la qualité de vie des habitants, à l'urbanisme, aux espaces verts, au bon sens...

Par exemple, nous avons réussi en 1999 à réaliser un parc, après plus de quinze ans de combat, avec le soutien de la population et des associations de sauvegarde de l'environnement, contre un projet de décharge ménagère - c'est vous dire la considération dont nous faisions l'objet à l'époque. Ce parc, créé sur d'anciennes carrières de gypse remblayées par le conseil général, a coûté à la ville près d'un million d'euros. C'est un véritable poumon vert pour notre département défavorisé aussi en ce domaine.

Est-ce que le rayer de la carte pour faire du logement social améliorerait les conditions de vie des habitants de la Seine-Saint-Denis, déjà « sururbanisée » ?

Faut-il, en raison du manque de foncier et pour atteindre les objectifs, envisager de construire de nouveau des tours ? Faut-il exproprier les petits propriétaires pour dégager des terrains à construire ?

Monsieur le ministre, la situation que je viens d'évoquer est celle de ma ville, mais elle n'est pas unique.

La majorité de mes collègues maires qui sont dans les mêmes conditions comprennent l'impératif du social. Nous partageons cette exigence, mais nous ne pouvons pas faire l'impossible.

Je vous demande donc de mettre en place une structure permettant aux préfets de rencontrer les élus concernés par la loi SRU, d'évaluer avec eux l'effort réalisé par leur collectivité sur une période que vous déterminerez, trois ans ou cinq ans, faisant ainsi la différence entre les communes qui, délibérément, refusent tout logement social, et avec lesquelles il faut être impitoyable, et celles qui, faute de foncier, ne peuvent atteindre les objectifs. À partir de ce bilan, il faudrait contractualiser des projets triennaux d'engagement qui supprimeraient les pénalités mais qui, s'ils n'étaient pas tenus, verraient les sanctions aggravées.

Pour conclure et pour illustrer mes propos, je vous dirai que les 147 195 euros de pénalités payées par ma commune durant ces vingt-quatre derniers mois sont tout simplement autant de logements sociaux, d'équipements et de services publics en moins pour l'ensemble de mes administrés.

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