Intervention de Jean-Michel Naulot

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 26 novembre 2015 : 1ère réunion
Audition de jean-michel naulot ancien banquier ancien membre du collège de l'autorité des marchés financiers

Jean-Michel Naulot, ancien banquier, ancien membre du Collège de l'Autorité des marchés financiers :

Voilà trois énormes questions !

Bien sûr, je crois à une gouvernance mondiale et, d'abord, à une gouvernance européenne, même s'il convient de bien séparer les chantiers en cours. Dans le domaine de la régulation, rien ne pourra se faire sur le plan national. Les marchés de capitaux étant ouverts les uns sur les autres, il faut une gouvernance européenne, voire mondiale.

Si personne ne commence à donner l'exemple, on risque d'attendre longtemps. C'est exactement le cas de la taxe sur les transactions financières. Je comprends très bien que tous les banquiers s'y opposent. La problématique est pourtant tout simple : corriger l'hypertrophie de la finance.

J'ai été un praticien passionné des produits dérivés, et ce dès 1984. Cela peut donner le meilleur comme le pire. Je me souviens qu'à l'époque on a pu, par ce biais, couvrir les exportations de LVMH à Tokyo. Un outil très utile, donc. Le problème, c'est que toute innovation financière est aussitôt détournée de ce pour quoi elle a été conçue. Prenons l'exemple du marché des matières premières, dont l'accès était interdit aux banquiers à la suite de la crise de 1929. Goldman Sachs a convaincu le régulateur américain qu'il fallait y apporter de la liquidité ; aujourd'hui, 85 % des transactions sur les matières premières sont faites par des financiers.

Je suis heureux, monsieur le sénateur, que vous m'interrogiez sur Bâle III et le financement des PME, car le sujet est véritablement important. En juin 2004, je l'ai rappelé, le Comité de Bâle a introduit le système de la « pondération des risques », une vraie révolution dans l'allocation des financements. Ce dispositif, mis en place à l'occasion de Bâle II, est une véritable « boîte noire », comme je l'explique dans mon livre.

À partir de 2005-2006, je vais vous dire ce qu'il se passait puisque j'étais moi-même banquier. Je caricature à peine. Quand j'accordais un crédit de 100 millions à une multinationale du CAC 40 très bien notée, j'inscrivais dans la déclaration réglementaire 12 millions ou 15 millions au lieu de 100 millions. Pour une autre multinationale du CAC 40 moins bien notée, j'inscrivais 60 millions ou 65 millions. Comme il ne pouvait être question de multiplier la marge appliquée à l'entreprise moins bien notée par quatre, par cinq ou par six, la « calculette » du comité de crédit attribuait généralement le crédit à l'entreprise la mieux notée.

C'est de là que vient le pouvoir des agences de notation. Puisque, du jour au lendemain, les banques ont pu diviser le montant de leurs fonds propres réglementaires d'un tiers, de moitié, quelquefois davantage, le système a contribué à accélérer très fortement la création monétaire par les banques. Le régulateur prudentiel porte ainsi une responsabilité terrible dans la précédente crise.

Cette « boîte noire » a introduit un biais réglementaire dans l'allocation des ressources. Une PME, aujourd'hui, est de fait pénalisée. De plus, elle n'offre pas les mêmes promesses en termes de rentabilité sur les opérations annexes au crédit. Les banquiers appellent cela le side business. Si c'est un hedge fund qui sollicite un crédit, il aura la priorité, car ce crédit n'engage qu'une très faible consommation de fonds propres pour la banque en raison des garanties offertes via les titres empruntés.

C'est l'allocation des ressources qui est en jeu. Il faudrait que l'autorité politique, notamment les parlementaires, s'intéresse à ce système profondément inéquitable. La politique monétaire et celle de supervision microprudentielle ressortent du domaine des banques centrales, mais l'autorité politique ne peut se désintéresser de l'allocation des ressources, de la supervision macroprudentielle. À l'heure actuelle, les multinationales n'ont aucun problème de financement, les marges n'ont jamais été aussi faibles. Le problème est ailleurs. Jusqu'en 2005, avant qu'un banquier ne fasse crédit, il analysait la qualité des dirigeants, la stratégie, les ratios financiers. C'était tout simple. Aujourd'hui, les banquiers vous le diront, la « calculette », si elle ne prend pas toujours la décision, joue un rôle très important.

Ce nouveau système est allé tellement loin que le régulateur prudentiel a été obligé d'apporter un certain nombre de correctifs. Une pondération standardisée, pour les seules toutes petites PME, a été imposée. Je plaide pour un retour à une pondération standardisée globale, fixée par le régulateur et fort peu discriminante. Qu'il faille tenir compte du fait qu'une multinationale présente moins de risques qu'une petite entreprise, d'accord. Mais cela ne doit pas aboutir à de telles inégalités.

Pour en revenir à ce qu'il s'est passé en 1971-1973, je n'aurais pas la prétention de répondre ni bien ni complètement à votre question. Pour moi, le fait que les Américains aient décidé d'abandonner toute contrainte dans la gestion, toute discipline, c'est le « péché originel ». Le déficit commercial américain reste à des niveaux astronomiques.

Je suis membre d'un jury de thèse sur la création monétaire qui reprend notamment les idées de Jacques Rueff, lesquelles sont, à mon avis, d'une grande actualité sur la nécessité d'un retour à un ordre monétaire international. Mais il ne faut pas rêver. Dans les années trente, la France était à ce point plongée dans la crise qu'un retour à l'équilibre n'était pas possible. En 1935, Jacques Rueff qui conseillait Pierre Laval, alors chef du gouvernement, avait dénoncé les risques d'une « déflation sauvage ». Il l'avait lui-même reconnu : « Notre politique était rationnelle mais absurde. » Dans le monde actuel, la flexibilité complète des monnaies en permanence est la norme, il n'y a qu'en zone euro où des États souverains ont des parités fixes.

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