Intervention de Harlem Désir

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h45
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 17 et 18 décembre 2015

Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen des 17 et 18 décembre est, une fois encore, placé sous le signe des urgences et des crises. Ce conseil sera donc particulièrement important, car l’Europe doit faire la preuve qu’elle est capable de s’élever à la hauteur des défis qui lui sont lancés par l’Histoire, et d’abord ceux de la lutte contre le terrorisme et de la réponse à la crise des réfugiés.

L’alternative est simple : soit une addition de réponses nationales non coordonnées, incohérentes et donc finalement inefficaces, qui feront exploser le projet européen, soit le choix d’une réponse collective, à la fois solidaire, responsable et crédible, c’est-à-dire le choix d’une véritable réponse européenne.

En somme, face à ces défis, soit l’Europe se resserre, soit l’Europe se défait.

Le premier sujet est donc celui de la crise migratoire et d’une réponse qui, tout en étant conforme à nos valeurs, permette aussi la fermeté, la responsabilité et la crédibilité, en particulier dans le contrôle de nos frontières extérieures communes. L’enjeu est désormais la mise en œuvre des décisions prises au cours des derniers mois.

Si le nombre de migrants arrivés en Europe via la Méditerranée a baissé de plus d’un tiers en novembre par rapport à octobre, le contexte reste toujours difficile.

La soutenabilité de l’espace Schengen comme de notre politique d’asile dépend de la mise en œuvre complète, urgente et concomitante des décisions prises ces derniers mois.

Il faut citer en particulier la répartition solidaire des réfugiés, la maîtrise des frontières extérieures de l’Union européenne, les centres d’accueil et d’enregistrement dans les pays de première entrée – les fameux hot spots –, le renforcement du mandat et des capacités de FRONTEX, la mise en œuvre d’une politique effective de retour pour ceux à qui n’est pas accordée la protection internationale, la lutte contre les passeurs et les trafiquants et, bien sûr, la coopération avec les pays d’origine et de transit.

Tous ces domaines forment un ensemble cohérent. Si un maillon de cette chaîne est faible, c’est l’ensemble du dispositif que se trouve fragilisé, c’est l’ensemble de l’Europe et sa crédibilité qui sont atteints.

Les outils dont nous nous sommes dotés doivent encore être complétés.

La Commission a adopté aujourd’hui même un « paquet frontières » qui inclut notamment une révision ciblée du code frontières Schengen pour permettre le contrôle systématique et coordonné de tous les voyageurs franchissant les frontières extérieures, y compris les ressortissants européens – Bernard Cazeneuve l’avait demandé lors des réunions du conseil Justice et affaires intérieures –, une révision du mandat de FRONTEX de manière à donner à l’Agence davantage d’autonomie opérationnelle et plus de compétences en matière de retours.

Trois points sont pour nous essentiels.

Premièrement, les contrôles aux frontières extérieures doivent être renforcés.

Deuxièmement, les procédures de contrôle lors du franchissement des frontières extérieures doivent être modernisées et automatisées, notamment dans le cadre du paquet « frontières intelligentes » que la Commission devrait présenter en début d’année prochaine.

Troisièmement, un véritable système européen de gardes-frontières doit être mis en place.

S’agissant de la Turquie, le Conseil européen sera l’occasion de vérifier la réalité de la diminution du flux, trois semaines après la tenue du sommet Union européenne-Turquie, même si ce n’est qu’au printemps prochain que nous pourrons pleinement nous assurer que la Turquie a tenu ses engagements.

Le deuxième grand sujet à l’ordre du jour du Conseil européen est la réponse face aux menaces terroristes dont le continent est victime.

La France a été frappée, le 13 novembre dernier, par des attaques planifiées par Daech depuis la Syrie.

C’est la France qui a été visée, mais c’est toute l’Europe qui a été touchée et qui s’est sentie frappée. Après Copenhague, après Bruxelles, après les attentats qui ont touché d’autres continents, aussi, à Tunis, Beyrouth ou dans le Sinaï contre un avion russe, sans oublier les attentats qui avaient frappé précédemment Madrid et Londres, nous avons reçu de toute l’Europe de nombreux témoignages de solidarité. Ils prouvent que l’Europe est avant tout une communauté de valeurs et qu’elle se sent une communauté de destin quand sa sécurité, ses valeurs et les principes mêmes d’une société démocratique ouverte sont menacés.

Mais cette solidarité dans l’émotion doit se transformer en solidarité dans l’action.

Cette guerre contre le terrorisme et contre Daech, nous ne pourrons la remporter qu’avec l’engagement déterminé de tous nos partenaires, dans le cadre de la résolution 2249 adoptée sur notre initiative par le Conseil de sécurité des Nations unies.

La France a invoqué l’article 42.7 du traité sur l’Union européenne, qui prévoit que, lorsqu’un État membre est victime d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance. Cela n’avait jamais eu lieu auparavant. C’est un acte historique. Et le soutien de nos partenaires a été unanime. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont d’ores et déjà annoncé et fait voter par leur parlement leur contribution et leur engagement dans la lutte contre Daech en Irak et en Syrie, et nos autres partenaires sont en train d’annoncer leur appui, sous différentes formes, à notre action de lutte contre le terrorisme au Levant et à nos opérations au Sahel et en Centrafrique pour contribuer à notre sécurité collective.

Pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme au sein de l’Union européenne, l’enjeu est la mise en œuvre complète de la feuille de route fixée par le Conseil européen du 12 février, au lendemain des attentats qui avaient frappé Paris au mois de janvier dernier.

Je me réjouis à cet égard que nous ayons pu, sous l’impulsion de la France, dégager un accord entre le Parlement européen et le Conseil sur un PNR européen opérationnel et efficace, c’est-à-dire un registre des passagers du transport aérien qui soit accessible aux services de police et de renseignement.

Nous devons avancer avec la même détermination sur les autres chantiers, en particulier le renforcement du contrôle aux frontières extérieures de Schengen, le renforcement de la législation européenne sur le contrôle des armes à feu, la lutte contre le financement du terrorisme et le partage des informations entre les services engagés dans la lutte contre le terrorisme. Pour cela, nous devons pleinement utiliser tous les outils de coopération européens existants, Europol, le système d’information de Schengen et Eurojust, en particulier.

Mais l’Europe doit aussi continuer à avancer dans de nombreux autres domaines de coopération, en particulier ceux qui concernent l’économie et le renforcement de la croissance et de l’emploi.

Le Conseil européen devrait donc également donner des impulsions fortes pour faire avancer les travaux dans trois domaines.

Le premier domaine, c’est l’approfondissement de l’Union économique et monétaire.

Le Conseil européen s’efforcera de faire avancer les propositions contenues dans le rapport des cinq présidents. Il devrait notamment insister sur la nécessité de compléter l’Union bancaire. Notre conviction, vous le savez, est qu’il faut relancer l’Europe par son cœur, la zone euro, et qu’il faut mettre en place le troisième pilier de l’Union bancaire, à savoir la garantie des dépôts.

Nous continuerons donc, avec nos partenaires de la zone euro, notamment allemands et italiens, à promouvoir une coordination des politiques économiques et une intégration plus poussée de la gouvernance de la zone euro.

Le deuxième domaine, c’est l’approfondissement du marché intérieur, notamment s’agissant de l’Union de l’énergie, du marché unique du numérique et de l’union des marchés de capitaux, cette dernière devant notamment contribuer au financement des start-up et des petites et moyennes entreprises en Europe.

Le troisième domaine, c’est, au-delà de la seule dimension « marché de l’énergie », d’achever l’Union de l’énergie, avec la transition énergétique, qui doit nous permettre, au lendemain de la COP 21, de traduire en actes législatifs les engagements pris à l’échelle internationale, mais aussi ceux qui avaient été pris au plan européen, dans le cadre du paquet énergie-climat adopté en octobre 2014.

La COP 21 a été un immense succès. Elle a permis de dégager un accord ambitieux, différencié, contraignant et universel. Ce résultat est une belle victoire pour l’Europe, qui a su se mobiliser et être une force d’entraînement pour le monde, et évidemment une très grande fierté pour notre pays, qui en a assumé la présidence, à travers la personne de Laurent Fabius, auquel le monde entier a rendu hommage dès samedi soir.

Le Conseil européen devrait donc inviter la Commission européenne à présenter rapidement une feuille de route sur le suivi par l’Union européenne des résultats de la COP.

Ce Conseil européen sera aussi une étape importante, mais non conclusive – le président du Conseil européen a annoncé qu’il faudrait y revenir lors d’un Conseil européen en février – du débat sur les demandes formulées par le Premier ministre britannique en vue du référendum annoncé au Royaume-Uni.

Enfin, le Conseil européen aura l’opportunité d’échanger à nouveau sur la situation en Syrie.

Vous le savez, hier soir encore, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a reçu, à Paris, les représentants de plusieurs pays participant au processus de Vienne, qui vise à organiser une transition politique en Syrie, en même temps que nous accentuons nos frappes contre le groupe État islamique. Ces ministres des affaires étrangères, qui représentaient les États-Unis, l’Allemagne, mais aussi de nombreux pays arabes, ont réaffirmé la nécessité de lier l’objectif de cessez-le-feu entre les différentes factions syriennes avec la perspective d’une transition politique crédible en Syrie, conformément aux dispositions du communiqué de Genève.

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes ces crises le montrent, l’Europe souffre de son inachèvement.

Nous avons créé une union monétaire sans union économique.

Jacques Delors nous avait pourtant mis en garde.

Nous avons une zone de libre circulation interne, il est désormais urgent de mettre en place un contrôle suffisant aux frontières extérieures communes.

Nous avons un marché intérieur sans harmonisation fiscale et sociale, sans unification dans des domaines d’avenir comme le numérique et l’énergie.

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