Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h45
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 17 et 18 décembre 2015

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 17 et 18 décembre présente un ordre du jour finalement assez proche de celui qui s’est tenu à la mi-octobre. Je pense notamment à la crise migratoire et au référendum britannique sur la participation de la Grande-Bretagne à l’Union européenne. D’autres sujets d’actualité primordiaux devraient à mon avis y être abordés, j’y reviendrai plus tard.

Concernant le Brexit, sur la genèse duquel je ne reviendrai pas, évitons la caricature et ne considérons pas que, parce qu’il s’agit du Royaume-Uni, la réponse apportée doit se limiter au Royaume-Uni. Au contraire, ces événements doivent nous pousser à réfléchir à l’Europe de demain. Le Brexit doit provoquer une réflexion dynamique sur l’Union européenne. Nous ne pouvons pas nous priver d’une analyse sur son évolution, sur l’existence de plusieurs cercles de pays plus ou moins intégrés dans les politiques européennes, en fonction de leur volonté et de leur capacité d’y participer.

Rappelons ici que notre ancien collègue Pierre Fauchon avait rédigé en 2010 un rapport très enrichissant sur les frontières de l’Europe. Au-delà de l’analyse du processus d’élargissement, ce rapport permettait d’ouvrir des pistes concernant le projet européen et son approfondissement. Le débat institutionnel étant clos pour longtemps avec l’adoption du traité de Lisbonne, Pierre Fauchon listait les thèmes prioritaires pour cet approfondissement : le renforcement de la gouvernance de la zone euro, la construction d’un espace effectif de liberté, de sécurité et de justice, ainsi que le domaine climat-énergie, particulièrement important, surtout au lendemain du succès de la COP 21.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les marges de manœuvre du Gouvernement pour maintenir le Royaume-Uni dans l’Union européenne ? Quelles sont vos positions s’agissant de l’avenir de l’Union et de ses perspectives d’évolutions institutionnelles ?

Concernant la crise migratoire, je n’approfondirai pas mon propos. Il faut simplement s’interroger sur les crispations réelles des pays de l’est de l’Europe et, surtout, lier cette question à celle qui nous touche plus violemment, à savoir l’ouverture de nos frontières.

Comment ne pas évoquer ensuite le sujet majeur qui intéresse notre pays, mais également toute l’Europe, à savoir le risque terroriste ? Après les attentats, toute la France s’est mobilisée et l’état d’urgence a été déclaré. À la suite de ces événements, notre pays a demandé l’aide de l’Union européenne, notamment en faisant valoir l’article 42-7 du traité de l’Union européenne. Des États comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont accepté rapidement d’apporter leur soutien. Pour l’Allemagne, c’est une vraie évolution politique, c’est un signe, comme le disait tout à l’heure à huis clos M. Le Drian, lors de son audition par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Néanmoins, tout cela reste très modeste, alors que ces événements auraient pu concerner nos voisins, qui n’en ont pas vraiment pris conscience. L’Union européenne se dit présente, mais c’est largement insuffisant. J’ai eu l’occasion de le rappeler voilà deux semaines avec Jean Bizet et Simon Sutour lors de la réunion plénière de la COSAC, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires. Lorsque nous sommes intervenus, nous avons bien senti que les autres pays européens, hormis la Grande-Bretagne, n’étaient pas conscients que la guerre et les attentats pouvaient aussi les toucher.

Ces événements ont meurtri notre pays, mais vont aussi représenter un tournant majeur dans nos politiques diplomatiques, de sécurité et de défense, que ce soit au niveau national ou au niveau européen.

Cette situation révèle l’absence cruelle de défense européenne. Il semble nécessaire d’avancer sur ce sujet avec nos partenaires. La construction d’une politique européenne de défense est rendue nécessaire par l’aspect violent et multiforme du terrorisme mené par l’État islamique. Certes, nous avons l’OTAN, mais l’organisation ne conduit pas une politique uniquement européenne, et l’on ne peut pas s’en satisfaire. Alors que les deux niveaux d’intervention sont indispensables, il existe un grand pilier, l’OTAN, et un petit pilier, la défense européenne, qui ressemble plus à une baguette qu’à un véritable pilier.

Les frontières de Schengen ont été renforcées. Finalement, nous fermons en partie notre espace de vie. C’est malheureusement ce que souhaitent les terroristes, à savoir nous humilier, nous faire peur et faire en sorte que nous nous repliions sur nous-mêmes. Il est nécessaire de dégager des marges budgétaires européennes en faveur de FRONTEX, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, et d’amorcer la réflexion sur une défense commune. Les décisions à prendre doivent être rapides et fortes. J’ai appris – l’information doit encore être validée – que la Commission européenne avait décidé de recruter 1 000 gardes-frontières. Selon moi, il faudrait aller beaucoup plus loin.

Pour finir, j’aimerais aborder la question des relations entre l’Union européenne, la Russie et l’Ukraine. Là encore, nous devons tirer les conséquences des événements du 13 novembre, en particulier dans nos relations diplomatiques.

Les accords de Minsk ont abouti – on le doit au Président de la République, je le dis souvent – à l’adoption de sanctions économiques à l’encontre de la Russie. Cette question doit absolument être abordée au cours de ce Conseil européen. Alors qu’une réunion des ministres des affaires étrangères avait été évoquée, il ne semble pas qu’elle aura lieu. Il n’est pas normal qu’une affaire aussi importante soit traitée aussi légèrement. La prolongation de six mois de ces sanctions – la question a été abordée en conseil restreint – mérite un véritable débat.

L’engagement de la Russie à nos côtés – M. Jean-Yves Le Drian évoquait tout à l’heure un déplacement à Moscou sur ce sujet – dans la lutte contre l’État islamique, directement sur son territoire, a forcé notre gouvernement à infléchir son positionnement. Désormais, notre ennemi prioritaire en Syrie est commun, et nous ne pourrons le combattre que conjointement. Ce virage diplomatique est important à mes yeux.

J’estime, monsieur le secrétaire d’État, que nous devons être courageux et demander une levée des sanctions à l’encontre de la Russie, ainsi qu’une levée des sanctions de la Russie à l’encontre de l’Europe, lesquelles pénalisent nos agriculteurs. Il y va de nos relations diplomatiques et économiques. Nous ne pouvons pas continuer à humilier la Russie, alors qu’elle est un acteur incontournable dans le règlement du dossier syrien. Tout le monde y perdra si nous persistons.

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