Intervention de Catherine Génisson

Réunion du 14 décembre 2015 à 14h30
Modernisation de notre système de santé — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Catherine GénissonCatherine Génisson :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner, en nouvelle lecture, le projet de loi de modernisation de notre système de santé.

En introduction de mon propos, je veux regretter les conditions dans lesquelles se passe cette nouvelle lecture au Sénat. Je rends, bien sûr, hommage à la qualité des travaux de nos rapporteurs, mais il n’en demeure pas moins que la discussion générale qui nous réunit aujourd’hui est virtuelle puisque, nous le savons tous, la majorité sénatoriale va adopter une question préalable à l’issue de laquelle nos débats seront clos. Je regrette très sincèrement ce débat manqué !

Le débat politique, c’est le fondement de notre démocratie. Et au lendemain d’élections régionales à l’occasion desquelles s’est fait ressentir cette nécessité impérieuse de résister, de débattre, de convaincre, il est dommage que l’on ne puisse pas confronter nos projets dans un respect mutuel ! Au passage, je veux dire que, au vu de la fréquentation de cet hémicycle cet après-midi, je me félicite que le scrutin public existe…

Par ailleurs, le débat manqué qui s’annonce au Sénat sur ce projet de loi de modernisation de notre système de santé ne nous permet pas de répondre aux nombreuses interpellations dont nous sommes saisis, interpellations qui viennent tant de professionnels de santé que de citoyens.

La confrontation républicaine des projets est une très bonne chose. Je reconnais que peu de nos propositions, y compris celles qui avaient été majoritairement soutenues par notre assemblée, ont été reprises à l’Assemblée nationale. Qu’il me soit néanmoins permis, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, de regretter vos positions sur un certain nombre d’enjeux-clés de ce projet de loi.

Ainsi, votre opposition idéologique au tiers payant généralisé – qui est pourtant une mesure de justice sociale –, empêche toute discussion constructive et tout accord avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale sur ce texte. J’y reviendrai.

Je veux, dans un premier temps, insister sur les raisons du soutien des sénateurs socialistes à ce texte défendu avec conviction et détermination par vous, madame la ministre.

Moderniser notre système de santé pour le rendre plus juste et mieux adapté aux réalités d’aujourd’hui, tel est l’objet de ce projet de loi dans un contexte marqué par un paradoxe très prégnant : malgré son excellence, l’organisation de notre médecine se heurte aux inégalités sociales et territoriales.

La France peut s’enorgueillir de disposer d’un excellent système de santé. L’Organisation mondiale de la santé le considère comme l’un des meilleurs. Ce classement reflète la qualité des soins qu’offre la communauté soignante à nos concitoyens.

Le paradoxe réside donc dans le fait suivant : notre excellence médicale se heurte aux inégalités sociales qui perdurent ; à soixante ans, l’espérance de vie d’un ouvrier est inférieure de sept ans à celle d’un cadre. De plus, les inégalités territoriales se creusent – les déserts médicaux sont inégalement répartis sur notre territoire.

Garantir l’égalité de nos concitoyens au regard de la modernisation de notre système de santé et des progrès de la recherche, telle est la colonne vertébrale de ce texte.

Le premier pilier du projet de loi de modernisation de notre système de santé est celui de la prévention, laquelle constitue le socle de ce système : prévention des maladies évitables, des pratiques addictives, notamment l’alcoolisme et le tabagisme, des problèmes de nutrition se traduisant tant par l’obésité que par la très grande maigreur, ou encore prise en compte de la santé environnementale.

Je me félicite des dispositions relatives à l’interruption volontaire de grossesse contenues dans ce projet de loi, votées en première lecture au Sénat.

Vis-à-vis des personnes handicapées, le projet de loi propose des solutions adaptées, pour elles ainsi que pour leurs familles, afin d’éviter les ruptures de soins.

Autre mesure très attendue et contenue dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé : l’expérimentation de l’organisation de la filière visuelle, ainsi que des propositions concernant les coopérations interprofessionnelles.

La lutte contre le tabac a beaucoup occupé nos débats. À côté de plusieurs dispositions permettant une meilleure prévention, en particulier l’introduction de mesures de luttes contre la fraude, nos débats passionnés ont porté sur la mise en place du paquet neutre.

Le groupe des sénateurs socialistes veut réaffirmer avec force que cette mesure trouve sa légitimité si la recherche d’une harmonisation fiscale du prix du tabac à l’échelon européen est voulue, ce qui permettra de lutter contre les marchés parallèles.

Nous connaissons l’engagement de Mme la ministre sur cette question importante de santé publique. Je veux ici redire avec force que le Gouvernement a également la responsabilité de traiter la question du maintien de la situation des buralistes, lesquels jouent un rôle important dans l’animation des territoires, en particulier dans les zones rurales.

Par ailleurs, toujours sur le volet prévention de ce projet de loi, je veux souligner l’importance, pour le groupe des sénateurs socialistes, de l’introduction du concept de prévention partagée, qui doit permettre aux non-spécialistes de la prévention et aux publics cibles d’être responsabilisés en tant qu’acteurs et force de proposition.

La prévention partagée a été introduite par amendement sénatorial, ce qui constitue une nouvelle illustration de l’utilité de nos travaux.

Je veux enfin souligner l’engagement de nos rapporteurs, qui avaient soutenu l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque, engagement qui semble remis en cause dans la présentation de la question préalable.

Le deuxième pilier du projet de loi veut faire du citoyen un acteur de sa santé avec, comme premier correspondant, son médecin traitant.

Le projet de loi donne ainsi toute sa place aux soins primaires permettant, grâce à la mise en place de communautés professionnelles de territoires de santé, aux acteurs de la médecine d’être les initiateurs de leur organisation.

Ce dispositif lève d’emblée le reproche d’une organisation verticale, menée sur l’initiative des agences régionales de santé.

Sur ce sujet, je ne comprends toujours pas la position – voire le conservatisme – de notre président-rapporteur. En effet, il a dénigré la mise en place de ces communautés professionnelles territoriales de santé, alors que cette disposition entérine le rôle premier des médecins, des acteurs de santé de terrain, qui sont les promoteurs de leur organisation territoriale, les ARS ayant un rôle de validation.

Le projet de loi de modernisation de notre système de santé met en place le tiers payant généralisé. Le groupe socialiste du Sénat, comme toute la gauche et une grande majorité des Français, y est favorable. En effet, cette disposition technique est également une mesure de justice sociale. Le tiers payant doit garantir que l’argent n’est pas un obstacle à l’entrée dans le cabinet médical, quand bien même les médecins traitants savent déjà prendre en compte les difficultés financières de leurs patients.

Il est très important de rassurer les médecins : l’instauration du tiers payant doit se faire sans leur imposer de nouvelles contraintes de travail administratif. Madame la ministre, vous avez apporté lors des débats parlementaires toutes les garanties possibles sur ce point. Nous demeurerons néanmoins vigilants.

L’instauration du tiers payant généralisé est une mesure de justice sociale soutenue par une très large majorité de Français. Elle ne clôt pas pour autant, tant s’en faut, le débat fondamental et nécessaire quant à une nouvelle architecture de la protection sociale, à savoir la place que doit occuper le régime général au regard des systèmes complémentaires. C’est un débat que nous avons eu, à nouveau, à l’occasion du récent examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 et, en particulier, de son article 21. Ce débat est pourtant loin d’être clos.

Les sénateurs socialistes soutiennent avec conviction la redéfinition, par le présent projet de loi, de la notion de service public hospitalier.

Ce service public donne toute sa force aux devoirs de notre nation envers ses concitoyens. Il permet de maintenir certaines garanties fondamentales : l’accessibilité financière des soins, leur permanence et l’égal accès de tous à ces soins. Rappelons que tous les établissements de santé sont éligibles au service public hospitalier dès lors qu’ils répondent aux garanties exigées.

Nous regrettons que la majorité sénatoriale ait souhaité rétablir la définition du service public issue de la loi HPST, qui substituait aux blocs de compétences des missions de service public. Le service public est un !

En revanche, je me réjouis de l’adoption, dans le cadre de ce projet de loi, du pacte territoire-santé, qui permet de proposer des solutions de rééquilibrage de l’implantation des médecins sur nos territoires. Madame la ministre, vous venez d’ailleurs d’annoncer une amplification des actions qui doivent permettre à chaque Français, partout sur le territoire, de se faire soigner facilement près de chez lui.

Les groupements hospitaliers de territoire doivent par ailleurs optimiser l’offre qualitative en soins pour nos concitoyens.

Le groupe socialiste se félicite également du troisième pilier du projet de loi, qui renforce la démocratie sanitaire.

Il s’agit d’offrir de nouveaux droits à tous les patients – donc à tous les citoyens – par la mise en œuvre des actions de groupe et la modernisation de l’open data, c’est-à-dire la possibilité d’accéder à des données anonymisées propices à la recherche et au progrès.

Dans ce troisième pilier figure également le droit à l’oubli, dont l’enjeu crucial est le respect des patients aujourd’hui guéris du cancer et, demain, d’autres maladies.

Le débat manqué que nous allons subir nous empêche de revenir sur l’article 46 ter, qui a trait au don d’organes. Même si je concède que sa rédaction est quelque peu sèche, je rappelle que nous avons eu à ce sujet en première lecture un débat de haute qualité, qui prenait en compte non seulement l’exigence éthique, mais aussi l’urgence de trouver des solutions alors que, chaque année, seules 5 000 greffes sont réalisées au regard de l’attente de 20 000 malades.

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer rapidement, le groupe des sénateurs socialistes soutient le projet de loi de modernisation de notre système santé, que Mme la ministre a porté avec la détermination qu’on lui connaît et qui doit répondre aux défis auxquels se trouve confronté notre système de santé.

Je réitère mon regret du choix fait par la majorité sénatoriale de couper court au débat par le biais d’une question préalable. Je regrette d’autant plus ce choix que les travaux menés lors de la première lecture par les rapporteurs, sous la conduite de M. Alain Milon, avaient été de qualité, même si tout consensus avec le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale s’est révélé impossible.

Je veux terminer mon propos en rendant hommage aux différents acteurs de notre système de santé, qui font preuve dans leurs missions quotidiennes d’un investissement qui permet le maintien de l’excellence de notre pays dans le domaine de la santé.

Notre pays innove ainsi constamment et ouvre la voie sur le front des technologies nouvelles : il figure ainsi au troisième rang mondial pour les brevets de robotique médicale. Ces atouts forts doivent permettre le développement de notre économie.

Nous sommes fiers de la médecine en France et de celles et ceux qui la servent, quels que soient leurs fonctions, leur mode et leur lieu d’exercice. Ils sont mobilisés au quotidien auprès de nos concitoyens pour la prise en charge de leur santé. Cet engagement quotidien se double d’une mobilisation très forte lors de moments exceptionnels ou tragiques, tels que les attentats du 13 novembre dernier. Saluons les personnels hospitaliers de Paris et de la région parisienne, dont la compétence et l’humanité ont été remarquables auprès des blessés !

En conclusion, je veux réaffirmer que le groupe socialiste soutient votre projet de loi, madame la ministre, et souhaite le débat ; il a donc voté contre le rapport de nos rapporteurs et il votera contre la motion tendant à opposer la question préalable.

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