Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 14 décembre 2015 à 14h30
Modernisation de notre système de santé — Question préalable

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, il est toujours regrettable de se placer dans une situation de renoncement, particulièrement de la part de notre Haute Assemblée, dont la réalité et la visibilité des travaux ne sont pas toujours bien perçues. C’est la première raison de désapprouver cette motion de procédure, qui marque le refus de poursuivre le débat.

S’il votait la question préalable, le Sénat affirmerait sa préférence pour la communication plutôt que pour le travail de fond, car ce vote laisserait l’image, contraire à la réalité, d’une désapprobation de l’ensemble du texte et effacerait ainsi la contribution importante de nos travaux à ce projet de loi.

À l’issue de la première lecture, la majorité sénatoriale a en effet adopté ou supprimé conformes près de 78 articles. Elle a également enrichi d’autres dispositions, dont elle a approuvé le principe, s’agissant, par exemple, de la santé environnementale, du renforcement de l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, de l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque. Je salue la position de nos rapporteurs à cet égard. Il en va de même de plusieurs mesures de lutte contre le tabagisme et l’alcoolisation excessive des jeunes.

L’apport de ces travaux est loin d’avoir été inutile, puisque, en nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a adopté conformes 51 articles dans la rédaction du Sénat, dont le renforcement de la transparence des liens d’intérêts des professionnels de santé lors de leurs activités d’enseignement, l’accès des médecins en établissement au dossier pharmaceutique du patient, le droit à l’oubli au bout de cinq ans pour ceux qui ont été malades avant dix-huit ans et au bout de dix ans pour les autres.

Nos débats ont donc été productifs et positifs sur un grand nombre de points, contredisant absolument le rejet préalable et sans débat qui nous est aujourd’hui proposé.

Est-ce ce message, qui ne correspond pas à la réalité, que vous souhaitez faire entendre à nos concitoyens ? Lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, nous avons entendu un député qualifier notre système de santé de « catastrophique », alors même que venait d’être rendu hommage au dévouement de tous les professionnels de santé et à l’efficacité de notre organisation dans les évènements abominables que nous avons connus.

La nature de nos débats est bien sûr différente ; c’est notamment pourquoi le Sénat et le bicamérisme sont indispensables à l’équilibre de l’expression démocratique. Si là-bas, plus qu’ici, la communication l’emporte sur le fond, il est important, je vous le dis avec beaucoup de sincérité et une extrême conviction, de ne pas balayer d’une question préalable l’exactitude de nos travaux au profit d’un cliché.

La confiance est, plus que jamais, nécessaire, notre système de protection sociale la mérite, nous l’avons tous réaffirmé à cette tribune, et le dernier rapport de l’OCDE en atteste également.

Il ne s’agit pas pour autant de méconnaître la complexité de notre système de protection sociale, ses imperfections, les difficultés des réformes face à des corporatismes persistants. Nos points de divergence, qui n’ont pas permis l’accord en commission mixte paritaire, révèlent également la réalité de nos différences de conception, s’agissant, particulièrement, du service public hospitalier, que ce projet rétablit.

Là encore, pourtant, la raison essentielle de rejet, la contestation de la généralisation du tiers payant en ville, inscrite au début des motifs de cette question préalable et dont il a été fait la cause essentielle de mobilisation contre l’ensemble de ce projet de modernisation de notre système de santé, n’est pas conforme aux faits.

La réalité est que la généralisation du tiers payant est l’aboutissement d’un mouvement irréversible engagé depuis plus de vingt ans par la loi, mais aussi par la convention médicale. La réalité est que les pharmaciens, les infirmiers, les kinésithérapeutes, les sages-femmes fonctionnent en tiers payant, comme 77 % des gastro-entérologues, 92 % des radiologues et 98 % des laboratoires de biologie. Comment expliquer que les généralistes, qui sont en première ligne pour l’accès aux soins, le refusent ?

Fort heureusement, aussi, la réalité est qu’un grand nombre de ces médecins généralistes appliquent déjà le tiers payant, comme en témoigne le collectif des médecins généralistes pour l’accès aux soins, le COMEGAS, constitué par certains d’entre eux en 2007, ce qui met à mal l’argument d’une déresponsabilisation des patients.

La réalité est que cette généralisation s’impose comme une double évidence, parce qu’elle correspond aux systèmes que connaissent les pays développés, qui fonctionnent tous, à quelques exceptions près, en tiers payant, à l’inverse du système d’avance de frais ou de tiers garant quasiment exclusif à la France, et parce qu’elle permet de lever la contrainte financière qui retarde les soins ou empêche encore nombre de nos concitoyens de se soigner.

La réalité, enfin, est que le tiers payant n’est pas inflationniste par lui-même, mais facteur de diminution des inégalités d’accès aux soins et qu’il constitue un mode de paiement socialement équitable. Je vous renvoie sur ce point au rapport de l’IRDES, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, que vous connaissez.

Les difficultés de mise en œuvre sont aussi réelles, Catherine Génisson l’a rappelé tout à l’heure et nul ne conteste. Les ruptures de droits peuvent entraîner des refus de remboursement du médecin : la protection universelle maladie créée par la loi de financement de la sécurité sociale doit justement permettre de supprimer ces périodes de rupture liées à des changements de situation. Le texte issu de la navette comporte en outre des garanties de délai et de paiement.

En tout état de cause, il nous appartient de poursuivre notre réflexion et nos efforts pour les résoudre au mieux dans l’intérêt des patients et des praticiens, car tous, je viens de le montrer, y trouvent leur compte.

La réalité est que le tract distribué par certains syndicats de médecins sur les conséquences qu’aurait la généralisation du tiers payant est excessif, inexact et presque caricatural. Telle est l’attitude que je ne souhaite pas voir le Sénat adopter, alors que, aujourd’hui, sept Français sur dix approuvent la généralisation du tiers payant, soit dix points de plus en six mois.

Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, le groupe socialiste votera contre la question préalable.

Après le deuxième tour des élections régionales hier, dont les résultats ne doivent pas masquer la réalité du séisme du premier tour, que ce soit pour une sensibilité politique ou pour une autre, permettez-moi d’ajouter en guise de conclusion que ne pas poursuivre ce débat aujourd’hui, sur un sujet aussi important que la santé pour notre pays et pour nos concitoyens, me donne un sentiment de malaise.

Nos échanges en commission et les différentes interventions à cette tribune ont montré que, sur nombre de sujets, qui sont pour certains très importants, pour d’autres des points de détail, il y avait matière à échanger, à discuter, à nous opposer, certes, mais en faisant progresser le débat. Car ce dernier est bien le seul moteur de la démocratie.

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