Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique appelée encore Convention Médicrime. C'est un sujet qui présente l'avantage d'être très consensuel, mais aussi l'inconvénient d'être technique et donc de risquer d'être rébarbatif. C'est la raison pour laquelle je voudrais tenter de susciter l'intérêt des membres de notre commission par deux exemples, deux exemples parmi d'autres, qui vous montreront l'importance de ce sujet.
Le premier exemple est celui des prothèses PIP, dont vous avez tous entendu parler, et dont le gel avait été remplacé, cela ne s'invente pas, par des huiles de moteur qui avaient deux conséquences : la première, celle de corroder l'enveloppe et la seconde, une fois l'enveloppe corrodée et éclatée, de se répandre dans le corps en y causant des lésions et des troubles graves. Lors de la réunion du Conseil de l'Europe, nous avons entendu le témoignage de deux victimes qui nous ont expliqué cela. C'est évidemment très grave et on a l'impression que seule la France est concernée, parce que l'auteur, M. Mas, qui est en prison pour quatre ans, est français, et à cause des 30 000 victimes françaises. Il se trouve que ce produit a eu un gros succès à l'international, surtout en Amérique latine et en Europe de l'Est et que ce n'est pas 30 000 femmes mais 300 000 femmes dans le monde qui sont touchées et dans ces pays, vous pouvez imaginer que ces femmes ne bénéficieront pas des possibilités de réimplantation ou des soins dont elles peuvent bénéficier en France. C'est donc un problème considérable à l'échelle de plusieurs continents. M. Mas, cela ne s'invente pas, était auparavant épicier et il était spécialisé dans la vente en gros de vins, de cognac et de saucissons, avant de se mettre à fabriquer des prothèses mammaires.
Le deuxième exemple pourrait paraître plus anodin ou plus anecdotique et concerne les médicaments les plus contrefaits à l'échelle du monde, et notamment depuis le développement d'Internet, qui sont ceux destinés à améliorer la qualité des érections. La plupart du temps, le produit actif est remplacé par des substances sans effet, ce qui n'est pas très grave, mais de temps en temps, il s'agit de produits toxiques qui peuvent entraîner des troubles sérieux, voire la mort. Même si le risque qu'il s'agisse de produits toxiques est faible, c'est néanmoins un grave problème de santé publique au vu des millions d'utilisateurs de ces produits.
Voilà pour vous montrer l'importance de cette Convention, puisque pour le moment, il n'y a pas de convention internationale spécifique sur ce sujet.
La contrefaçon des produits médicaux est donc un phénomène en pleine croissance dans tous les pays du monde. D'ailleurs, pour lutter contre cette menace mondiale, la Convention est ouverte aux États membres du Conseil de l'Europe mais aussi à tous les autres Etats. La contrefaçon touche majoritairement les produits érectiles comme je le disais, les amincissants, les stimulants et excitants. Quasiment tous les produits médicaux qui font l'objet d'une forte demande sont contrefaits ou susceptibles de l'être. Le recours à Internet permet désormais d'atteindre des clients et des patients dans le monde entier. La criminalité organisée internationale s'est emparée de ce secteur qui présente peu de risques car peu sanctionné et qui génère un chiffre d'affaires de plusieurs milliards d'euros, pour ce que l'on connaît de cette activité clandestine.
Selon le Conseil de l'Europe, les dernières estimations indiquent que les ventes mondiales de médicaments contrefaits, après avoir doublé en seulement en cinq ans, entre 2005 et 2010, représenteraient plus de 70 milliards d'euros. Le nombre de produits médicaux saisis aux frontières de l'UE a triplé entre 2006 et 2009 pour atteindre 7,5 millions d'euros. 10 % des produits saisis, en 2009, par les douanes au sein de l'Union européenne étaient des médicaments.
Ce fléau mondial porte un grave préjudice à la santé des individus en livrant aux patients et clients des produits médicaux dangereux. Il sape la confiance du grand public dans les autorités sanitaires et les systèmes de santé, sans compter ses désastreuses conséquences économiques et sociales.
Le Conseil de l'Europe s'est inquiété de l'absence d'une législation harmonisée au niveau international, dont profitent les organisations criminelles transnationales et propose donc cette convention, sur laquelle je voudrais faire cinq remarques principales.
Premièrement, la Convention Médicrime du Conseil de l'Europe est ainsi le premier traité international spécifique de lutte contre les produits médicaux contrefaits et les infractions similaires menaçant la santé publique.
Jusqu'à présent, les organisations internationales spécialisées abordaient la lutte contre la contrefaçon des produits médicaux uniquement sous l'angle de la protection des droits de la propriété industrielle et non pas sous celui de la mise en danger de la santé.
L'Union européenne, quant à elle, a adopté une directive en 2011, dite directive « Médicaments falsifiés », que la France a déjà transposée. Ce texte vise à faciliter la détection des médicaments falsifiés à usage humain et n'oblige toutefois pas expressément les États membres à prendre des dispositions pénales contre les auteurs de ces falsifications, ce qui est le but de la convention que nous examinons.
La convention Médicrime a pour champ d'application les produits médicaux à usage humain et vétérinaire, génériques ou sous brevet, y compris les accessoires destinés à être utilisés avec les dispositifs médicaux ainsi que les substances actives, les excipients, les éléments et les matériaux destinés à être utilisés dans la fabrication des produits médicaux.
En revanche, contrairement aux autres conventions actuelles, est exclue du champ d'application la protection des droits de la propriété intellectuelle qui fait déjà l'objet d'autres conventions. Sont exclues également les catégories apparentées d' « aliments », de « produits cosmétiques » et de biocides. En outre, ne sont pas considérées comme des victimes, au sens de la Convention, les personnes physiques subissant des pertes purement financières résultant des conduites incriminées par celle-ci, puisque son objet est spécifiquement la protection de la santé.
Il y a un petit problème sur le terme « contrefaçon » qui est entendu au sens commun de « présentation trompeuse de l'identité et/ou de la source », ce qui peut prêter à confusion, car il renvoie au droit de la propriété intellectuelle. Médicrime vise en réalité la « falsification » des produits médicaux au sens de la directive « Médicaments falsifiés ». La difficulté pour les services douaniers de distinguer facilement entre les produits licites, les produits falsifiés et les produits contrefaisants, déjà rencontrée lors de la transposition de la directive, devra être levée et les services de l'Etat en charge de la mise en application de ces textes y travaillent actuellement.
Deuxième remarque, la Convention Médicrime est le premier traité juridiquement contraignant qui fixe des normes minimales communes dans le domaine du droit pénal matériel et du droit procédural.
Il faut savoir que la législation française est déjà conforme aux exigences posées par la convention et qu'il n'y aura pas de mesure complémentaire à introduire, en particulier dans notre droit pénal.
Néanmoins, s'agissant des règles de compétence, qui sont très extensives, la France déposera 2 réserves découlant des principes de notre procédure pénale générale. La première pour écarter sa compétence générale systématique pour toute infraction dont l'auteur ou la victime aurait sa résidence en France et la seconde pour préciser que l'applicabilité de la loi française sur des actes commis à l'étranger reste subordonnée à l'incrimination locale des faits et à la plainte de la victime ou à la dénonciation de l'État du lieu où l'infraction a été commise. Ce sont nos principes habituels en matière pénale. C'est le sujet de la compétence universelle ou non.
La convention Médicrime oblige les Parties à créer 4 infractions pénales intentionnelles -auxquelles s'ajoutent à chaque fois, la tentative et la complicité - qui sont les suivantes : (1) la fabrication de produits médicaux ; (2) la fourniture ou l'offre de fourniture et le trafic de produits médicaux ; (3) la fabrication de faux documents ou la falsification de documents et enfin (4) des infractions similaires menaçant la santé publique comme la fabrication ou la fourniture non pas de produits médicaux contrefaits, mais de médicaments sans autorisation, lorsqu'une telle autorisation est exigée par le droit interne.
Ces infractions permettent aussi de sanctionner pénalement la publicité faite sur un site web ou par des messages électroniques (spams) adressés à des clients potentiels ; ainsi que l'important marché noir des traitements hormonaux produits sans autorisation et utilisés notamment comme dopants par certains sportifs, ou encore la fabrication d'un produit médical dans le seul but d'être vendu au marché noir à des personnes qui en feront une utilisation détournée, par exemple les stéroïdes anabolisants.
Les deux premières infractions doivent faire l'objet de sanctions privatives de liberté pouvant donner lieu à extradition. D'autres mesures sont prévues : la saisie, la confiscation, ainsi que l'éventuelle destruction des produits médicaux ainsi que de possibles mesures administratives comme l'interdiction d'exercer une activité commerciale ou professionnelle ou le retrait d'une licence professionnelle.
Les Parties sont invitées à permettre à leurs juges nationaux de prendre en compte des circonstances aggravantes : la mort ou l'atteinte à la santé physique ou mentale de la victime, l'abus de confiance du professionnel qui argue de sa qualité, le recours à des procédés de diffusion à grande échelle, Internet, l'organisation criminelle, ainsi que la récidive nationale comme « internationale ». C'est donc un progrès notable.
Troisième remarque, la Convention Médicrime vise à renforcer les législations nationales en matière de poursuite, de prévention et de protection des victimes.
Un statut des victimes dans les enquêtes et les procédures pénales doit être aménagé, afin de protéger les droits de celles-ci à tous les stades des enquêtes et des procédures pénales.
Des poursuites de plein droit, y compris donc en l'absence de plainte, doivent être instaurées. Les enquêtes doivent être rendues plus efficaces par la spécialisation d'unités des juridictions nationales, qui doivent être dotées de ressources suffisantes, et par la possibilité d'un recours à des techniques d'enquête particulières : enquêtes financières, opérations sous couverture, livraisons contrôlées et autres techniques spéciales d'investigation (surveillances électroniques, opérations d'infiltration).
Concernant le volet prévention, les Parties ont l'obligation de fixer des critères de qualité et de sûreté applicables aux produits médicaux afin de garantir la sûreté de la distribution. Des formations destinées aux professionnels de santé, aux fournisseurs, aux policiers, aux douaniers et aux autorités de règlementation compétentes, ainsi que des campagnes de sensibilisation à destination du grand public peuvent être organisées.
S'agissant de la protection des victimes, celles-ci doivent avoir accès aux informations pertinentes relatives à leur cas et nécessaires à la protection de leur santé, être assistées dans leur rétablissement physique, psychologique et social et avoir droit à un dédommagement de la part des auteurs de l'infraction. L'instauration d'un fonds spécifique d'indemnisation n'est toutefois pas obligatoire.
En quatrième lieu, la Convention Médicrime établit enfin un cadre favorisant une coopération nationale entre toutes les autorités nationales compétentes d'une Partie, qu'il s'agisse des autorités sanitaires, des douanes, des forces de l'ordre ou des autorités de tutelle de la santé, ainsi qu'une coopération internationale entre les Parties. Cette coopération se fait par le biais de points de contact uniques (SPOC), au niveau national ou local.
Pour la France, l'Agence nationale de sécurité du médicament devrait jouer le rôle de référent national. La Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) et la direction des affaires criminelles et des grâces de la Chancellerie devraient être associées au dispositif national (pôle d'évaluation des politiques pénales), ainsi qu'au dispositif international (bureau de l'entraide pénale internationale).
Actuellement, faute de conventions, l'absence de réciprocité des incriminations fait obstacle à la coopération judiciaire internationale. La convention a donc notamment pour objet de donner un socle juridique à la coopération judiciaire internationale entre Etats Parties.
Enfin, la Convention Médicrime prévoit également la création d'un « Comité des Parties » chargé d'assurer le suivi de la Convention par les États signataires.
En conclusion, comme la Conférence parlementaire du 24 novembre 2015, organisée par le Conseil de l'Europe, à laquelle j'ai participé, nous y encourage, je recommande l'adoption de ce projet de loi. La Convention Médicrime entrera en vigueur au 1er janvier 2016, après avoir obtenu les 5 ratifications requises. Elle vient, en effet, combler l'absence d'instrument international spécifique de lutte contre les produits médicaux falsifiés. Selon les services du ministère de l'intérieur et de la justice que j'ai auditionnés, sa ratification par la France est attendue comme un signal fort qui devrait entraîner d'autres ratifications chez nos voisins européens. Pour que la Convention soit un outil véritablement efficace de lutte contre la criminalité organisée transnational, il apparaît indispensable qu'un grand nombre de pays rejoignent les standards qu'elle prévoit.
L'examen en séance publique est fixé au jeudi 17 décembre 2015. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée. J'y souscris car je crois que nous devons privilégier l'efficacité et la rapidité.