Monsieur le Président, Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui, par souci d'efficacité, deux projets de loi autorisant la ratification de deux accords de partenariat et de coopération que l'Union européenne et ses Etats membres ont conclus respectivement avec le Viêt Nam et les Philippines.
Par ailleurs, ces accords étant très similaires, il a semblé souhaitable de les présenter dans un rapport commun, et ce d'autant plus que le rapport de M. Henri Plagnol, de juin 2015, intitulé « Simplifier pour mieux ratifier » encourage le Parlement à se prononcer simultanément sur des conventions concernant une même zone géographique. Il est en effet hautement souhaitable de tout faire pour réduire les délais de ratification des conventions et améliorer, en conséquence, la qualité de « signature » de notre pays vis-à-vis de ses partenaires internationaux.
Ce sont des accords mixtes qui portent à la fois sur des matières relevant de la compétence exclusive de l'UE et des matières de la compétence des Etats membres. Ils doivent donc, pour entrer en vigueur, être ratifiés à la fois par l'UE et les Etats membres. Certaines stipulations de ces accords relèvent, en droit français, du domaine de la loi, comme notamment les données personnelles qui pourraient être échangées dans le cadre de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. En application de l'article 53 de la constitution, ces accords doivent donc être soumis à l'autorisation du Parlement.
En premier lieu, voyons l'historique des négociations et le contenu de ces accords-cadres de partenariat et de coopération.
Ces deux accords-cadres s'inscrivent dans une dynamique de développement d'une relation globale entre l'Union européenne et les Etats membres fondateurs de l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est (ANASE) lancée en 2004. Un mot pour vous dire que l'ANASE est une organisation régionale de coopération politique, sécuritaire, économique et culturelle, qui a été créée en 1967 et qui regroupe aujourd'hui dix Etats membres : aux cinq pays fondateurs - Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande - sont venus s'ajouter Brunei (1984), le Viêt Nam (1995), la Birmanie et le Laos (1997) ainsi que le Cambodge (1999).
Sur la base d'une autorisation du Conseil donnée en mai 2007, la Commission a conduit, sans rencontrer de difficultés particulières d'ailleurs, des négociations à partir de novembre 2007, avec le Viêt Nam et, à partir de février 2009, avec les Philippines, qui ont abouti à la signature de ces deux accords respectivement, en juin 2012 et en juillet 2012.
Il s'agit des deuxième et troisième accords de partenariat et de coopération conclus avec un pays de l'ANASE. Le premier accord-cadre, signé en 2009, avec l'Indonésie est entré en vigueur le 1er mai 2014.
L'accord CEE-Viêt Nam se substitue au cadre juridique actuel constitué par l'accord de coopération de 1995 et l'accord CEE- ANASE de 1980, qui avait été étendu au Viêt Nam en 1999. Il traduit la volonté de l'Union européenne (UE) de renforcer la relation bilatérale dans les domaines du commerce, de l'économie, de la politique et du développement, ainsi que l'intérêt du Viêt Nam pour développer une relation complète avec l'UE dans sa stratégie de multiplication des partenariats afin de contrebalancer l'influence économique et politique croissante de la Chine au Viêt Nam et dans l'Asie du Sud-Est. À cet égard, je vous rappelle que la France et le Viêt Nam ont signé, en 2013, une déclaration de Partenariat stratégique, qui vise à renforcer leur relation bilatérale dans tous les domaines, notamment politique, défense, économie, éducation et culture.
L'accord CEE-Philippines, quant à lui, est le premier accord bilatéral entre l'Union européenne et les Philippines depuis l'accord de coopération CEE-ANASE de 1980. Ce premier cadre de coopération global couvre aussi bien les questions économiques que les questions sociales et politiques, comme le processus de paix et de prévention des conflits, les droits de l'homme et la non-prolifération des armes.
Ces deux accords de partenariat et de coopération (APC) sont des accords-cadres peu contraignants qui marquent essentiellement la volonté des parties de s'engager dans une relation globale qui ne se limite pas à la seule dimension économique et commerciale. L'Union européenne n'entend pas être perçue seulement comme un acteur économique, mais aussi comme un acteur politique et de sécurité.
Ils ont pour objet de renforcer le dialogue et la coopération sectorielle, entre l'UE et chacun de ses deux pays d'Asie du Sud Est, dans un très grand nombre de domaines, notamment sur les questions de commerce et d'investissement, de justice et de sécurité, de migration, d'économie et de développement. Ils comprennent en outre les clauses politiques « standard » de l'Union européenne sur les droits de l'homme, la Cour pénale internationale, les armes de destruction massive, les armes légères et de petit calibre et la lutte contre le terrorisme.
Ils ont aussi vocation à ouvrir des coopérations qui se concrétiseront dans des accords sectoriels. Les principes qu'ils établissent dans le domaine du commerce et de l'investissement doivent notamment servir de point de départ à la négociation d'accords de libre-échange (ALE).
La négociation d'un accord de libre-échange avec le Viêt Nam est en cours depuis 2012. En août 2015, la Commission européenne et le Viêt Nam ont annoncé avoir trouvé un « accord de principe » qui comprendrait des dispositions ambitieuses en matière de démantèlement tarifaire, ce qui pourrait profiter notamment à notre industrie vinicole, les vins français étant soumis à des droits de douane contrairement aux vins néozélandais. 99 % des lignes tarifaires seraient ainsi libéralisées avec des périodes transitoires de 10 ans pour le Viêt Nam et de 7 ans pour l'UE s'agissant des produits sensibles. Il devrait permettre à l'UE comme à la France de mieux profiter des opportunités commerciales du Viêt Nam et de résorber le déficit commercial de l'UE et de la France dans leurs relations commerciales avec le Viêt Nam. L'accord devrait également inclure la reconnaissance et la protection sur le marché vietnamien de 169 produits alimentaires et boissons d'origine géographique spécifique, en vue notamment d'empêcher l'utilisation abusive de l'appellation Champagne au Viêt Nam.
La direction générale du Trésor que j'ai auditionnée m'a indiqué que cet accord de libre-échange devrait être signé prochainement car les deux Parties considèrent que l'accord politique global a été trouvé et qu'il ne reste plus que d'ultimes réglages techniques à négocier. Le premier ministre vietnamien tient en particulier à l'inscrire à l'actif de son bilan de politique étrangère, dans la perspective du Congrès du parti communiste vietnamien et du renouvellement des instances dirigeantes, début 2016.
S'agissant des Philippines, La Commission européenne prévoit, à courte échéance, de lancer des négociations (courant 2016) avec les autorités philippines en vue de conclure un accord de libre-échange qui s'appuierait sur le volet économique de cet accord.
En second lieu, voyons les enjeux économiques de ces accords de partenariat et de coopération avec l'Asie du Sud-Est et plus précisément le Viêt Nam et les Philippines.
L'Asie du Sud-Est, en dépit d'une grande hétérogénéité et d'écarts de développement, est, pour reprendre la description du rapport d'information « Reprendre pied en Asie du Sud Est » - dont un des rapporteurs, notre collègue Christian Cambon, est ici présent - « une aire au succès économique retentissant, bientôt comparable en taille au marché européen » et qui pourrait bien être demain « le futur centre économique du monde ».
Quelques chiffres pour que vous en preniez la mesure : le PIB cumulé de l'ANASE atteint 2 500 milliards de dollars en 2013, soit 27 % du PIB chinois et 122 % du PIB de l'Inde, avec une progression de 7,6 % des exportations. La croissance moyenne des pays de l'association s'est établie à 5,1 % en 2013 et la région a attiré 106,8 milliards de dollars en investissements directs étrangers. En 2014, les échanges entre l'ANASE et l'UE s'établissaient à 180 milliards d'euros, soit davantage que les échanges de l'UE avec le Japon, la Turquie, le Brésil ou l'Inde pris séparément.
S'agissant des relations commerciales du Viêt Nam avec l'Union européenne et la France, il faut garder quelques chiffres en tête. Le Viêt Nam est un des principaux marchés de l'Asie du Sud-Est avec ses 90 millions d'habitants. Son PNB a été multiplié par 5 en quinze ans et il connaît une croissance soutenue, qui était de 5,9 % en 2014.
Cette même année, les échanges commerciaux entre l'UE et le Viêt Nam s'élevaient à 28,4 milliards d'euros. Le Viêt Nam bénéficie du système de préférences généralisées (SPG) de l'Union européenne qui lui permet d'exporter une large gamme de produits dans des conditions préférentielles. L'UE, comme la France, accusent un déficit commercial important avec le Viêt Nam, qui était respectivement de 16 milliards d'euros et 2,3 milliards d'euros en 2014. Le Viêt Nam est le 29e partenaire commercial de l'Union européenne et le quatrième au sein de l'ANASE. L'UE est le second partenaire du Viêt Nam après la Chine.
Les échanges commerciaux entre la France et le Viêt Nam atteignaient 3,8 milliards d'euros en 2014. Nos exportations qui représentaient 764,3 millions d'euros en 2014, soit une part de marché de 0,8 %, sont composées de ventes aéronautiques pour 20 %, ainsi que de produits pharmaceutiques et agroalimentaires, ces derniers se heurtant à des barrières tarifaires et non tarifaires. Nos importations, qui étaient de 3 milliards d'euros en 2014, sont essentiellement constituées de produits informatiques, électroniques et optiques fabriqués par de grands groupes asiatiques, dont les téléphones pour 864 millions d'euros. Viennent ensuite le textile et l'habillement, le cuir ainsi que les chaussures.
En 2013, les investissements de l'UE représentaient 8 % du stock total (18 milliards de dollars), loin derrière les pays asiatiques (71 %), dont le Japon, Singapour, la Corée du Sud et Taïwan.
La France est le second investisseur européen au Viêt Nam. Les investissements directs à l'étranger (IDE) français, environ 3 milliards d'euros en stock, se concentrent dans les technologies de l'information et de la communication, les services, les infrastructures, l'industrie manufacturière et l'agroalimentaire. Au total, plus de 200 implantations françaises sont recensées. Dans la grande distribution, le groupe Big C (co-entreprise de Casino) est le premier employeur français au Viêt Nam avec 26 sites et 8 000 employés.
Concernant les relations commerciales des Philippines avec l'UE et la France, il faut savoir qu'il s'agit du deuxième Etat le plus peuplé de l'Asie du Sud-Est avec près de 100 millions d'habitants et de la 5e économie de la région. Présenté, en 2013, comme « le nouveau tigre asiatique » par la Banque mondiale et le FMI, il connaît, lui aussi, une croissance soutenue, qui était de 6,2 % en 2014.
En 2014, Les échanges commerciaux entre l'UE et les Philippines ont représenté 12,5 milliards d'euros, l'Union européenne étant le quatrième partenaire commercial des Philippines, après le Japon, les États-Unis, et la Chine. La balance commerciale de l'UE vis-à-vis des Philippines présente un excédent de +1,1 milliard d'euros. Les Philippines sont le 44e partenaire commercial de l'UE et le sixième au sein de l'ANASE. Depuis décembre 2014, les Philippines bénéficient du régime de préférences généralisées plus (SPG +) , c'est à dire de préférences tarifaires sous certaines conditions, notamment la vulnérabilité économique et l'engagement de ratifier et de mettre en oeuvre 27 conventions internationales en matière de droits de l'Homme, de bonne gouvernance et de développement durable.
Les échanges commerciaux bilatéraux entre la France et les Philippines représentaient 2,3 milliards d'euros en 2014. Depuis 2007, la balance commerciale de la France avec les Philippines est très excédentaire. Cet excédent, qui était de 1,456 milliard d'euros en 2014, a progressé de 30 % par rapport à 2013. Les exportations françaises sont dominées par les produits industriels (89 % du total, dont 76 % pour les matériels de transport), principalement dans l'aéronautique auxquels viennent s'ajouter des composants électroniques, des produits pharmaceutiques et des constructions métalliques. Les importations en provenance des Philippines sont en baisse et restent peu diversifiées. Il s'agit de composants électroniques assemblés aux Philippines par des usines françaises (notamment Microelectronics, Alcatel, Essilor) ; d'équipements médicaux, de vêtements et de produits alimentaires.
Parmi les grands partenaires des Philippines, les Européens ont les montants d'investissements directs à l'étranger (IDE) les plus élevés, avec un stock de 7,6 milliards d'euros en 2012, soit 30 % du total philippin. Les compagnies européennes emploient environ 400 000 personnes aux Philippines, ce qui constitue une contribution importante à l'économie du pays.
Les entreprises françaises (Essilor, Lafarge/Holcim, Total, Téléperformance, l'Oréal notamment) sont de plus en plus présentes aux Philippines avec 150 implantations recensées aujourd'hui contre 50 il y a 5 ans et près de 65 000 employés, soit un stock d'investissements directs à l'étranger de 710 millions d'euros. En revanche, il y a peu d'investissements directs philippins en France avec un stock d'environ 36 millions d'euros et des flux de quelques dizaines de millions d'euros seulement par an.
En conclusion et sous le bénéfice de ces observations, je recommande l'adoption de ces deux projets de loi, d'autant que la France fait partie des quelques derniers Etats membres qui n'ont pas encore ratifié ces accords de partenariat et de coopération. Il semble tout à fait indispensable que la France apporte son soutien à ce projet de développement d'une relation globale de l'Union européenne avec le Viêt Nam et les Philippines qui ne peut que se révéler profitable, pour chacune des Parties.
L'examen en séance publique est fixé au jeudi 17 décembre 2015. La conférence des présidents a proposé son examen en procédure simplifiée.