Intervention de Bariza Khiari

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 décembre 2015 à 10h05
Déplacement à la 70e assemblée générale de l'onu — Communication

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Je me concentrerai sur le Moyen-Orient et sur la COP21.

S'agissant tout d'abord de l'Iran, et bien que les sanctions de l'ONU n'aient pas encore été levées, nous avons mesuré la nouvelle dynamique permise par l'accord de Vienne, au cours d'un échange approfondi avec le représentant iranien. Il me semble important de dire que notre position que j'ai toujours qualifiée d' « intransigeante » et que le gouvernement qualifiait de « ferme » sur le dossier nucléaire, n'a pas laissé de séquelles. Nous étions exigeants pour trois raisons : d'abord, parce que la sécurité de la région en dépendait ; ensuite, parce que toute la crédibilité du régime international de lutte contre la prolifération nucléaire risquait d'être mise à mal en cas d'accord faible ou non vérifiable ; enfin, car sinon les voisins de l'Iran se seraient aussi engagés dans un programme nucléaire militaire. Un accord solide, crédible et vérifiable était donc dans l'intérêt de tous. Cette ligne d'argumentation, assez cohérente, un temps critiquée, a finalement payé et a été in fine comprise.

En réponse aux propos de notre président qui a indiqué que l'Iran pouvait jouer un rôle « d'accélérateur de paix », le représentant iranien s'est montré réellement ouvert, estimant que toutes les conditions étaient remplies pour que nos deux pays renouent une relation forte, économique et culturelle et qu'il y avait toujours eu en Iran une appétence pour la culture française.

L'Iran nous a été présenté comme un îlot de stabilité dans un environnement régional troublé, qui allait retrouver avec la levée des sanctions tout son potentiel économique, dont la France avait vocation à être l'un des bénéficiaires.

Dans l'évocation des dossiers du Moyen-Orient, on peut retenir qu'au Yémen, je le cite, l'influence iranienne est surestimée pour justifier les opérations militaires saoudiennes, alors qu'il s'agit d'un conflit local devant être réglé localement et, s'agissant du Liban, des propos plutôt ouverts, au rebours de notre analyse traditionnelle suivant laquelle via son allié indéfectible, le Hezbollah, l'Iran demeure imperméable au compromis et se satisfait du blocage institutionnel à la base de la vacance de la présidence libanaise, depuis plus d'un an.

Malgré des tensions de plus en plus vives et un risque de débordement de la crise syrienne, notamment en raison de l'engagement militaire du Hezbollah aux côtés de Bachar al-Assad, bien peu est fait en effet pour débloquer la situation. Nous avons dit combien la persistance de la vacance à la tête de l'État libanais nous inquiétait. Car l'Iran peut contribuer à la sortie de l'impasse institutionnelle en faisant pression sur le Hezbollah. Face à ce discours, le représentant iranien s'est montré ouvert, invitant même nos diplomates à avancer ensemble sur le sujet, ce qui nous a particulièrement surpris.

Sur le conflit israélo-palestinien, nos entretiens ont confirmé l'impasse actuelle. Chacun a en tête les violences en Cisjordanie et à Jérusalem, notamment sur et autour de l'Esplanade des mosquées, qui ont connu une nette aggravation, avec d'un côté les attaques au couteau contre des civils, et de l'autre l'interdiction de l'accès à la Vieille ville de Jérusalem aux Palestiniens non-résidents, ou la destruction des maisons des Palestiniens potentiellement impliqués dans les attaques. Cette spirale de la violence est très inquiétante, et de fait le Président palestinien Mahmoud Abbas est dans une situation très difficile, avec un débordement possible par sa « base ».

Sur ce dossier, l'assemblée générale n'a été l'occasion que d'une avancée symbolique (et, en tant que telle, symptomatique de l'impasse actuelle) : celui de la levée, mercredi 30 septembre, du drapeau de la Palestine - en sa qualité d'« Etat observateur non membre » de l'organisation -, en présence du ministre français des affaires étrangères et à la suite de la résolution adoptée à l'Assemblée Générale le 10 septembre, que nous avons soutenue, avec 14 autres membres de l'Union européenne.

Sur le conflit israélo-palestinien, la France est bien seule à l'ONU à tenter de faire rester ce dossier sous les feux de l'actualité et à promouvoir sans faillir la solution de deux États -à laquelle beaucoup ne semblent même plus croire !-.

Notre action s'appuie sur deux piliers, d'abord renouveler la méthodologie, avec la constitution d'un groupe élargi, le « groupe international de soutien », format qui vise à sortir du seul « quartet » qui est, il faut le dire, un peu au point mort. Nous avons depuis l'année dernière engagé une démarche au Conseil de sécurité pour essayer de définir des échéances temporelles et des « paramètres ». Le deuxième axe est notre initiative, avec la Jordanie qui est la gardienne des lieux saints, pour la protection de l'esplanade des mosquées.

Mais ne nous cachons pas les difficultés. La situation est complètement bloquée avec une escalade de violence préoccupante.

Tout juste rentré d'une tournée dans la région, le secrétaire général Ban Ki Moon nous a fait part sans détour de son inquiétude face à l'escalade de la violence : « Je ne suis malheureusement pas optimiste quant à la perspective d'un retour prochain au calme », je cite.

Notre mission, au plus fort des attaques au couteau, a pu rencontrer à la fois le représentant permanent de Palestine, et le représentant israélien, qui ont chacun pour leur part, renvoyé toute la responsabilité des violences sur l'autre partie. Le palestinien a estimé que la poussée de violence témoignait d'une impasse, plus que d'une dynamique nouvelle susceptible de mener à une 3ème intifada. A la question : « Qu'adviendrait-il si Daech s'implantait dans la bande de Gaza ? », l'israélien a quant à lui rejeté l'idée que l'absence de perspective puisse jouer dans ce sens. Il a mis en avant la -je cite- « bonne volonté » du gouvernement israélien (sur l'installation de caméras, sur un possible sommet avec le dirigeant palestinien M. Abbas, sur le maintien du statut de 1967, etc...), qu'il a opposée à ce qu'il considère comme une attitude de refus systématique des responsables palestiniens.

Il est frappant de constater qu'à New York les missions permanentes, représentation palestinienne et israélienne, n'ont même aucun contact entre elles !

Il n'y a plus de dialogue et je crois qu'on peut dire qu'il n'y a même presque plus de format de discussion. J'ajoute que depuis notre mission, à la suite de la publication par la Commission européenne de ses orientations sur l'étiquetage des produits issus des colonies israéliennes, Israël a décidé de suspendre ses relations avec les institutions européennes.

Sur la COP 21, comme vous le savez, elle a été précédée de l'adoption de « l'agenda 2030 du développement durable » lors du Sommet des chefs d'État à New York en septembre qui a défini 17 Objectifs du développement durable, qui succèdent aux objectifs du Millénaire pour le développement, et donnent un cadre qui intègre les 3 dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale.

Son adoption a représenté pour la France un deuxième succès diplomatique après l'accord adopté lors de la Conférence d'Addis-Abeba sur le financement du développement.

Nous avons mesuré à New York l'effort colossal de notre réseau diplomatique, totalement engagé en faveur des négociations climatiques. La méthode est de mettre l'enjeu climat en transversal dans tous les sujets, afin de créer du « mainstream » -ou courant dominant-. La production des 184 contributions nationales, couvrant 95 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, a été un formidable levier pour engager une dynamique, en créant un effet d'accélération sur la dernière semaine de septembre, pendant laquelle la moitié a été remise. Bien sûr beaucoup reste à faire puisque ces contributions ne permettront pas de contenir la hausse de la température mondiale sous la barre des 2 degrés, ces contributions nous plaçant sur une trajectoire à 3 degrés par rapport à l'ère pré-industrielle.

L'espoir reste permis pour un accord de Paris « universel, contraignant, et différencié», et nous mesurons le chemin parcouru y compris depuis fin octobre puisque le texte issu des pré-négociations de Bonn contenait encore de nombreux points de désaccords, des centaines de crochets sur 50 pages (contre 300 pages à Copenhague lors de la COP qui avait échoué). Après les négociateurs la semaine dernière, ce sont les ministres qui ont la main durant cette seconde semaine de la COP.

Avec 48 pages, le nouveau projet d'accord adopté en fin de semaine dernière identifie mieux les options et dessine des compromis possibles. À l'évidence, il faudra une volonté politique forte pour aboutir. Nous sommes d'après les spécialistes dans une « spirale positive ».

Le financement de l'aide climatique aux pays du Sud par ceux du Nord et la question de la répartition des efforts entre pays développés, émergents et en développement sont évidemment parmi les points les plus épineux.

Autre sujet de tension, la question des pertes et dommages, portant sur les aides qui pourraient être apportées à certains pays pour faire face aux impacts irréversibles du réchauffement, ou l'instauration de rendez-vous pour revoir les engagements qui sont également des sujets de tensions.

Nous avons quant à nous pendant notre mission passé tous les messages possibles pour favoriser un accord à Paris. A ce stade je voulais saluer le travail considérable du Quai d'Orsay sur ce dossier, et notamment tout le processus et la méthode innovante qui ont été approuvés par 196 parties pour essayer d'arriver à un accord universel durable et contraignant. A quelques jours de la clôture : rien n'est joué et tout est encore possible.

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