La France a cette caractéristique peu enviable de subir, depuis maintenant plus de trente ans, une situation de chômage élevé que les politiques menées par les gouvernements successifs n'ont pas réussi à faire régresser. L'année 1985 s'était achevée sur un taux de chômage de 7,4 %. Il était de 8,3 % au terme de l'année 1995, de 7,9 % en 2005 et, reflet de la profonde crise de l'emploi que traverse notre pays, il est passé de 6,6 % au début de l'année 2008 à 9,2 % en 2012 et 10,6 % aujourd'hui.
Le corollaire de cette situation est l'apparition, puis la persistance, et enfin l'aggravation du chômage de longue durée - soit celui des demandeurs d'emploi inscrits depuis plus de douze mois.
Depuis 2003, la proportion de chômeurs de longue durée n'a jamais été inférieure à 35 % de l'ensemble des demandeurs d'emploi. En 2011, alors qu'elle s'élevait à 41,2 %, le conseil d'orientation pour l'emploi avait souligné dans un rapport les risques d'éloignement durable du marché du travail que le chômage de longue durée fait courir : dégradation du capital humain et accélération de l'obsolescence des qualifications, en particulier chez les moins diplômés et les seniors. C'est également un facteur déterminant de précarité et de pauvreté, les allocations d'assurance chômage expirant au plus tard deux ans après la perte d'un emploi.
Le chômage de longue durée est enfin la cause d'un sentiment de déclassement et d'inutilité sociale qui conduit nombre de nos concitoyens à une forme de résignation, renforce les inégalités et met en péril la cohésion sociale.
Selon l'Insee, en 2014, 42,7 % des chômeurs étaient sans emploi depuis au moins un an. Cela représente un peu plus de 4 % des actifs, soit environ 1,2 million de personnes. Il s'agit toutefois ici de la définition du chômage par le Bureau international du travail (BIT), qui ne retient que les personnes sans emploi, disponibles pour prendre un emploi dans les 15 jours et en cherchant activement un. Il existe au-delà de cette définition stricto sensu, un halo, mesuré également par l'Insee, de personnes inactives qui ne remplissent pas ces critères. Elles étaient environ 1,4 million en 2014. Cette bipartition induit à faire le lien avec les statistiques de Pôle emploi, selon lesquelles 45,6 % des inscrits sur ses listes en 2014 l'étaient depuis au moins un an, soit 2,4 millions de personnes, et 25,6 % depuis au moins deux ans, soit 1,4 million de personnes. En un an, ces deux catégories ont connu une croissance respective de 8,8 et 14,7 %.
Conscient de ces difficultés, le Gouvernement a entrepris depuis 2012 de lutter contre le chômage de longue durée, en renforçant notamment la formation des demandeurs d'emploi. Le 9 février dernier, il a présenté un plan intitulé « Prévenir, aider, accompagner : nouvelles solutions face au chômage de longue durée ». Certaines de ses mesures nécessitant une traduction législative ont déjà été mises en oeuvre par la loi du 17 août 2015, comme l'adaptation du contrat de professionnalisation aux demandeurs d'emploi très éloignés du marché du travail. Ce plan prévoyait également la création d'un « accélérateur d'innovation sociale », en coopération avec l'agence nationale des solidarités actives (Ansa), afin d'étudier la faisabilité, promouvoir et soutenir des initiatives novatrices portées par des acteurs associatifs au niveau local destinées à faire reculer le chômage de longue durée. La présente proposition de loi en constitue la première concrétisation, sur la base d'un projet porté par l'association ATD Quart Monde.
La philosophie du texte est originale. Comme l'indique l'avis du Conseil d'Etat, « l'approche qui sous-tend la proposition de loi se situe au croisement de deux composantes de la politique de l'emploi : l'aide à l'embauche de personnes rencontrant des difficultés particulières de retour et d'accès à l'emploi sans être les plus éloignées de l'emploi, et le développement, sur une base locale d'analyse des besoins, d'une offre de services socialement utiles ».
A titre expérimental pendant cinq ans, et sur au plus dix territoires volontaires, des entreprises à but d'emploi relevant de l'économie sociale et solidaire, conventionnées par un fonds national spécifique, embaucheraient en contrat à durée indéterminée (CDI) des demandeurs d'emploi de longue durée et les rémunéreraient au moins au Smic, pour effectuer des prestations répondant à des besoins sociaux locaux, avec pour objectif de les rendre solvables grâce à une réallocation, à budget constant, des dépenses publiques correspondantes.
Ce projet est innovant à plus d'un titre. Tout d'abord, il est issu d'une longue réflexion des acteurs associatifs de terrain. Il est heureux de constater que la loi promeut un projet qui a été pensé par et dans les territoires - Pipriac et Saint-Ganton en Ille-et-Vilaine, Colombey-les-Belles en Meurthe-et-Moselle, Prémery dans la Nièvre, Mauléon dans les Deux-Sèvres et Jouques dans les Bouches-du-Rhône.
Ensuite, le projet repose sur un nouveau paradigme en matière d'offre et de demande de travail : il vise à faire émerger de nouveaux emplois partiellement solvables grâce à une mobilisation de tous les acteurs d'un territoire.
Le recours à l'expérimentation est salutaire car l'un des maux français est d'appliquer uniformément et immédiatement de nouvelles politiques publiques de l'emploi sans les avoir testées au préalable. Si l'expérience est concluante, elle pourra être généralisée, dans des conditions à définir, en s'inspirant par exemple du déploiement de la garantie jeunes.
Enfin, le travail parlementaire a pu bénéficier d'appuis extérieurs de qualité. Les députés ayant modifié en profondeur le texte afin de se conformer à l'avis du Conseil d'Etat qui, sollicité sur cette proposition de loi, s'est montré soucieux d'assurer la sécurité juridique du dispositif, et à celui du Conseil économique, social et environnemental (Cese), dont la grande majorité des préconisations visant à assurer la réussite du projet ont été reprises.
Venons-en aux articles du texte.
L'article 1er définit l'objet, la durée et le cadre financier de l'expérimentation. Il précise que les entreprises conventionnées devront exercer des activités complémentaires de celles qu'offre le secteur marchand, afin de garantir le respect du droit de la concurrence.
L'article 2 indique que tous les demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi depuis plus d'un an pourront bénéficier de l'expérimentation, dès lors qu'ils n'auront pas démissionné de leur précédent emploi ou signé une rupture conventionnelle. Le texte n'institue aucune priorité entre les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) ou de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) car le champ de l'expérimentation se veut le plus large possible. Les conseillers de Pôle emploi et les comités locaux de pilotage devront, si nécessaire, réorienter en amont les demandeurs d'emploi intéressés vers les structures les mieux appropriées, comme celles de l'insertion par l'activité économique.
Le fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée, prévu à l'article 3, percevrait un financement équivalent au coût des différentes allocations auxquelles auraient eu droit les demandeurs d'emploi s'ils n'avaient pas participé à ce projet, et redistribuerait ces sommes, sous la forme d'une aide financière, aux entreprises conventionnées. Le texte fixe également sa composition, définit les missions du commissaire du Gouvernement en son sein, ainsi que le rôle des comités locaux. Il précise enfin l'étendue de l'expérimentation.
L'article 4 porte sur le conventionnement entre le fonds national et les entreprises de l'économie sociale et solidaire, afin de fixer les conditions de leur participation à l'expérimentation. Ces conventions définiront leurs relations financières. Elles établiront également le socle des engagements de l'employeur concernant les postes proposés, les conditions d'accompagnement des salariés et les actions de formation envisagées. Cet article prévoit en outre qu'un bénéficiaire de l'expérimentation qui romprait son contrat de travail à la suite d'une embauche dans une autre entreprise ou pour suivre une formation qualifiante conserverait ses droits à l'assurance chômage.
Les conditions de financement du fonds, et donc de l'expérimentation, sont traitées à l'article 5. Il prévoit la participation de l'Etat, de collectivités territoriales et d'organismes publics ou privés, qui pourraient être par exemple Pôle emploi ou l'Unédic. C'est là encore par convention entre le fonds et les différents acteurs concernés que serait déterminée la contribution de chacun - volontaire pour les collectivités territoriales accueillant sur leur territoire une expérimentation, obligatoire pour l'Etat.
L'article 6, qui concernait l'entrée en vigueur de la proposition de loi, a été supprimé par l'Assemblée nationale. Ces dispositions ont été réintroduites à l'article 7 ter : c'est au plus tard au 1er juillet 2016 que l'expérimentation sera applicable.
L'éventualité d'un arrêt prématuré de l'expérimentation est prise en compte à l'article 7. Dans ce cas de figure, chaque entreprise en serait informée et serait autorisée à rompre les contrats de travail conclus dans ce cadre. Il s'agirait d'un licenciement individuel pour motif économique, pour lequel la loi présume l'existence d'une cause réelle et sérieuse. Le fonds prendrait en charge une partie de l'indemnité de licenciement qui devrait alors être versée.
Enfin, l'article 7 bis dresse la liste des points qui devront être traités dans le décret d'application de ce texte. Comme nos interlocuteurs l'ont reconnu, sa rédaction devrait être complexe puisqu'il définira la méthodologie de l'évaluation de l'expérimentation, les modalités de fonctionnement du fonds et de passation des conventions ou encore le montant de la fraction de la rémunération des salariés que le fonds prendra en charge.
Avant de conclure, je voudrais répondre à deux critiques qui pourraient être soulevées à l'encontre du dispositif.
Certains doutent de la nécessité de recourir à la loi pour mener cette expérimentation. Mais le Conseil d'Etat, dans son avis, a indiqué que seule la loi pouvait prévoir les modalités de la participation des collectivités territoriales candidates, fixer le cadre de l'expérimentation et définir le motif du licenciement des salariés en cas de fin prématurée du projet. J'ajoute que la loi impulse une dynamique sur l'ensemble des territoires, indispensable pour susciter des candidatures, et vient renforcer la légitimité de l'action des associations.
Des doutes ont également été émis sur l'équation financière qui sous-tend ce projet. Or, c'est bien le but de l'expérimentation que de faire apparaître les coûts et les difficultés éventuelles dans la réallocation des dépenses publiques liées à l'indemnisation du chômage de longue durée. Les ressources issues du RSA et de l'ASS pourront être rapidement réallouées au fonds national. En revanche, les choses semblent plus compliquées pour l'allocation de retour à l'emploi (ARE), qui est versée par l'Unédic, car elle relève d'une logique assurantielle, est attachée à la personne et limitée dans le temps, comme l'a rappelé le Cese dans son avis. L'obstacle n'est cependant pas insurmontable et il reviendra aux partenaires sociaux qui gèrent l'assurance chômage de se pencher sur cette question une fois la loi votée.
En tout état de cause, la ministre du travail a indiqué, lors des débats à l'Assemblée nationale, que l'Etat consentirait, au cours de la première année de l'expérimentation, un « effort financier exceptionnel » pour amorcer le projet, qui devrait s'élever à 10 millions d'euros. Les collectivités territoriales et les organismes publics et privés devront se mobiliser dès le début de l'expérimentation, faute de quoi celle-ci ne verrait vraisemblablement pas le jour sur les territoires concernés. Au-delà de la première année, la participation de l'Etat devrait être équivalente à celle apportée aux contrats aidés du secteur marchand, soit 47 % du Smic. Pour mémoire, l'Ansa a estimé que le coût annuel de la rémunération d'environ 500 CDI dans quatre territoires précurseurs devrait avoisiner 10 millions d'euros.
Je ne vous présenterai pas aujourd'hui d'amendements car il m'a semblé préférable de vous exposer les enjeux du texte et ses conditions de réussite. En revanche, je souhaite d'ores et déjà vous indiquer les pistes de réflexion que j'ai identifiées et qui pourraient éventuellement donner lieu à des amendements d'ici à la séance publique, le 13 janvier prochain.
Tout d'abord, il me semble souhaitable de prévoir un accompagnement spécifique par Pôle emploi des personnes embauchées en CDI dans l'entreprise conventionnée, qui doit jouer un rôle de passerelle, afin de les inciter à sortir du dispositif, de les aider à obtenir un emploi stable dans le secteur marchand et d'assurer une rotation satisfaisante des effectifs.
Ensuite, les règles liées au financement des indemnités de licenciement pourraient être harmonisées et clarifiées.
Surtout, le volet lié à l'évaluation de l'expérimentation, essentielle dans la perspective d'une généralisation au terme de cinq années, mériterait d'être renforcé. Il est souhaitable que cette évaluation soit réalisée par un organisme indépendant, à l'issue d'un appel à candidatures, sur la base d'un cahier des charges précis et rédigé avant le début de l'expérimentation. Elle devra comporter des points d'étape et permettre de comparer les effets du projet promu par la présente proposition de loi avec d'autres dispositifs concourant au même objet, avec des expériences étrangères ainsi qu'avec le droit commun. Elle devra être aussi exhaustive que possible et porter, comme le recommande le Cese, sur des éléments quantitatifs mais aussi qualitatifs tenant compte des exigences de développement durable des territoires.
Il y a maintenant 22 ans, un illustre élu de mon département déclarait, dans un raccourci sans doute réducteur, qu'en matière de chômage, tout avait été essayé. Une fois n'est pas coutume, à l'instar des initiateurs de cette proposition de loi, je ne partage pas cette analyse et, dans un contexte de chômage durable, je crois que l'on peut faire confiance à l'intelligence des territoires pour expérimenter au niveau local la création d'emplois nouveaux, accessibles aux chômeurs concernés, grâce à des financements innovants.
Ce n'est pas en conduisant des politiques rigides, conçues et pilotées par les administrations centrales, que les spécificités de nos territoires pourront être prises en compte dans la lutte contre le chômage. Il faut au contraire innover et mener, à l'échelle réduite d'une zone géographique homogène par ses caractéristiques économiques et sociales, des projets visant à offrir aux chômeurs de longue durée une réinsertion durable dans l'emploi et à faciliter le développement de nouvelles activités. De nombreux points restent à éclaircir quant au fonctionnement et au financement de cette expérimentation, et son succès reposera sur la mobilisation de tous les acteurs concernés, tout particulièrement les collectivités territoriales. Je ne doute pas, au vu des enjeux locaux, qu'elles seront au rendez-vous, et vous invite, comme nos collègues députés, à adopter ce texte.