Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si l’existence du crédit d’impôt recherche n’est plus remise en cause aujourd’hui, le CIR continue à faire débat, comme l’a montré la commission d’enquête du Sénat.
Si l’efficacité du CIR semble aujourd’hui communément reconnue, nombre de critiques restent vives : optimisation fiscale, effet d’aubaine pour les plus grands groupes, détournement de son objet transformé en financement de trésorerie pour les PME, contrôle fiscal insuffisant pour les uns, excessif pour les autres, coût trop élevé pour l’État.
Je limiterai mon propos à l’analyse des effets du crédit d’impôt recherche sur les dépenses de recherche des entreprises françaises, c’est-à-dire à l’analyse de l’efficacité du dispositif.
En 2016, la créance du CIR devrait dépasser 5, 5 milliards d’euros.
Seconde dépense fiscale de l’État après le CICE, le coût du CIR représente 40 % des 14 milliards d’euros du budget de l’État consacrés à la recherche publique. C’est le dispositif de soutien public à la recherche privée le plus favorable des pays membres de l’OCDE. Il représente 0, 26 % du PIB, devant 0, 21 % au Canada.
En effet, avec la réforme du CIR en 2008, le nombre d’entreprises bénéficiaires a doublé en sept ans, pour atteindre, en 2014, le chiffre de 21 500 ; en outre, sur la même période, la créance du CIR a triplé, de 1, 7 milliard à 5, 5 milliards d’euros, niveau qui semble maintenant se stabiliser.
Parallèlement à la croissance du CIR, les dépenses de recherche des entreprises ont progressé, entre 2008 et 2014, de 24, 7 milliards à 30, 5 milliards d’euros
Cet effort d’investissement des entreprises est égal à 1, 5 % du PIB français, contre 2, 18 % en Allemagne, taux supérieur à l’objectif européen de 2 %.
Pourquoi la France est-elle loin de cet objectif, en dépit de l’importance du crédit d’impôt recherche qui, en Allemagne, n’existe pas ? Pour deux raisons.
D’abord, pour une raison fiscale : en Allemagne, le taux d’imposition des sociétés est de 30 %, contre 38 % en France, pays qui a fait le choix d’un taux plus élevé d’imposition, mais assorti d’exonérations et de déductions fiscales comme le crédit d’impôt recherche.
Ensuite et surtout, pour une raison économique : depuis la fin des années quatre-vingt-dix, la France a connu une désindustrialisation croissante, accélérée par la crise de 2008. Ainsi, de 2001 à 2012, la part de l’industrie dans le PIB français a régressé de 17, 3 % à 12, 5 %, alors qu’elle est restée stable en Allemagne, à hauteur de 25 %.
Là réside la principale explication de la faiblesse des dépenses de recherche et développement des entreprises en France, car, dans tous les pays, la recherche privée est, pour l’essentiel, effectuée dans les entreprises industrielles.
Parallèlement à cette désindustrialisation, les dépenses de recherche auraient donc dû mécaniquement fléchir. Or que constate-t-on ? Entre 2008, année du début de la crise – mais aussi, première année d’application de la réforme du CIR –, et 2014, la dépense de recherche des entreprises françaises a augmenté de 24, 7 milliards à 30, 5 milliards d’euros, soit de 20 %, la plus forte progression observée en Europe durant cette période.
Comme le démontre un rapport du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qui fait autorité, cette progression s’explique par la croissance de l’intensité en recherche et développement de l’industrie française, c’est-à-dire du ratio entre dépenses de recherche et développement et chiffre d’affaires des entreprises industrielles, un ratio qui, aujourd’hui, est légèrement supérieur à celui de l’Allemagne.
Finalement, en France, ce qui est en cause, ce n’est pas l’effort de recherche des entreprises, c’est le poids élevé dans notre PIB des secteurs à faible intensité de recherche, comme le BTP, l’agroalimentaire ou l’énergie.
Deux conclusions peuvent être tirées de ce constat.
Premièrement, la hausse de l’intensité en recherche et développement des entreprises françaises a plus que compensé l’impact négatif de la désindustrialisation, mais, globalement, la recherche reste pénalisée par la faiblesse du socle industriel français.
Deuxièmement, le crédit d’impôt recherche, en soutenant l’effort de recherche des entreprises, a produit un effet anti-crise : il a évité une réduction des dépenses de recherche et développement, notamment depuis 2008, année de mise en œuvre de la réforme du CIR.
Cette analyse, démontrant l’efficacité du CIR, pourrait être complétée par les résultats convergents de plusieurs études économétriques, concluant à un effet positif du CIR sur les dépenses de recherche et développement des entreprises.
En effet, l’un des indicateurs annuels de performance des dépenses de l’État, présenté dans les documents budgétaires du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, montre un effet d’addition du CIR qui exclut toute hypothèse d’effet d’aubaine : 1 euro de CIR engendrerait 1, 3 euro de recherche et développement privée supplémentaire.
Le crédit d’impôt recherche s’avère efficace, mais la forte expansion du CIR impose une amélioration du contrôle de son utilisation, notamment une plus grande cohérence dans l’action de l’administration fiscale et des experts du ministère de la recherche qui effectuent conjointement les contrôles.
De même, la forte expansion du CIR nécessite une maîtrise de son coût. Ce que l’État consent aux entreprises, en crédit d’impôt recherche, pour soutenir la recherche privée, il n’en dispose pas pour financer les dotations budgétaires de la recherche publique.
Aussi, aujourd’hui, la question se pose de la pertinence de la répartition de l’effort annuel de l’État entre les 14 milliards d’euros de dotations budgétaires pour développer la recherche publique et les 5, 5 milliards d’euros du crédit d’impôt recherche pour soutenir la recherche privée.
L’ensemble de ces crédits mobilisés par l’État, soit 19, 5 milliards d’euros, est à comparer aux 30, 5 milliards d’euros de dépenses annuelles de recherche des entreprises. Ces dernières ne les financent d’ailleurs qu’à hauteur de 25 milliards d’euros, compte tenu des 5, 5 milliards d’euros du CIR.
Monsieur le secrétaire d’État, à la lumière de ces chiffres, on comprend que s’exprime de plus en plus souvent le souhait d’un rééquilibrage des financements de l’État au profit de la recherche publique, en limitant le coût du CIR.
La sanctuarisation de ce crédit d’impôt, décidée par le Président de la République, empêche aujourd’hui toute évolution, toute amélioration. Il s’agirait par exemple de permettre aux sociétés sous-traitantes agréées d’en bénéficier, alors même que ce n’est pas le cas de leurs donneurs d’ordres, ou encore de conditionner, dans les grands groupes, l’application du taux du CIR de 5 % à l’embauche de docteurs.
Mes chers collègues, j’ai quelque peu dépassé le temps qui m’était imparti, …