Intervention de Dominique Gillot

Réunion du 12 janvier 2016 à 14h30
Débat sur le thème « les incidences du crédit d'impôt recherche sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays »

Photo de Dominique GillotDominique Gillot :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur l’emploi scientifique.

En 2013, plus de 21 000 entreprises ont déclaré près de 20 milliards d’euros de dépenses en recherche et développement – soit une progression de 24 % depuis 2007 –, ce qui a entraîné l’inscription de 5, 5 milliards d’euros de crédit d’impôt recherche au projet de loi de finances pour 2016.

La dépense publique se stabilise, mais l’effet de levier est en constante augmentation : pour 1 euro de CIR supplémentaire, il est passé de 1, 15 euro en 2011 à 1, 50 euro en 2012 pour atteindre 1, 63 euro en 2013. Quant à l’intensité de la recherche et développement des entreprises, elle a atteint 1, 46 % en 2014.

Un des freins à l’innovation souvent évoqué en France serait un trop faible recours des entreprises à la recherche publique et un taux d’intégration de docteurs trop bas dans leurs effectifs. La vocation du CIR est bien de favoriser la coopération entre recherche publique et recherche privée.

L’embauche de docteurs dans les entreprises, en évolution, tient aussi à la valorisation du diplôme : formation à la recherche et formation par la recherche, et contrats doctoraux équivalant à une première expérience professionnelle.

Les docteurs savent résoudre des problèmes complexes, inventer de nouvelles solutions, imaginer le futur, augmenter l’entropie des systèmes… Ils offrent une réelle capacité d’innovation pour la croissance et la compétitivité des entreprises.

Malgré cela, la reconnaissance et l’adéquation du diplôme de docteur, hors la recherche académique, reste un vrai sujet, et les études montrent qu’il y a peu de perméabilité entre les milieux.

Les jeunes docteurs français affichent encore une nette préférence pour la recherche académique ou publique et les entreprises continuent à recruter principalement des ingénieurs, même pour réaliser leurs travaux de recherche. Des titulaires du doctorat sont employés à 50 % dans la recherche publique et à 25 % dans la recherche privée, alors même que la stratégie de Lisbonne, à laquelle la France adhère, vise un partage « un tiers pour le public, deux tiers pour le privé ».

Dans un contexte de globalisation, où la concurrence internationale est vive, le CIR est très apprécié.

En Europe, eu égard au coût du chercheur, grâce au CIR, la France se compare favorablement à l’Italie, au Royaume-Uni, à la Belgique, à l’Allemagne, à la Suède, et la recherche reste plus coûteuse en Amérique du Nord qu’en France, où la progression de l’effectif des chercheurs en entreprise se maintient à un rythme fort.

Depuis 2008, malgré un environnement économique marqué par la crise, la progression, avec 33 000 chercheurs supplémentaires, est la plus forte d’Europe, devant l’Allemagne, qui n’affiche que 22 815 chercheurs supplémentaires recrutés. C’est la meilleure progression mondiale, avec celle de la Chine, de la Corée du Sud et des États-Unis.

Le CIR profite majoritairement aux entreprises manufacturières, même si la progression des services reflète l’évolution structurelle de l’économie.

L’ingénierie, le conseil, l’assistance numérique et informatique, le management, la gestion des ressources humaines servent de plus en plus la performance économique de l’industrie et justifient le recours à l’interdisciplinarité des chercheurs.

La loi de juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite loi ESR, a fait droit à un certain nombre d’attentes de la communauté universitaire, notamment en ce qui concerne le doctorat.

Le processus d’accès à un emploi stable, plus lent pour les docteurs que pour les titulaires d’un diplôme de master, fonde les revendications des représentants de jeunes chercheurs, ce qui a conduit à préciser la reconnaissance du doctorat dans la haute fonction publique et l’engagement d’un dialogue avec le patronat pour son inscription dans les grilles de compétences et de salaires.

Le CIR contribue à renforcer les relations entre les entreprises et la recherche publique, sans que se perpétuent les effets d’aubaines dénoncés. Depuis 2013, le nombre de rectifications après contrôle, notamment fiscal, a diminué significativement grâce à une meilleure éligibilité scientifique des entreprises et à un meilleur dialogue entre les experts mandatés.

Cependant, en nombre absolu, les PME ne sont pas encore suffisamment bénéficiaires du dispositif. À cet égard, il me semble que le recrutement d’un chercheur partagé par deux start-up constituerait un progrès pour celles-ci. Le fléchage d’incitation au CIR vers les filières porteuses, telles que l’écologie ou l’économie verte, stimulerait ces domaines et ouvrirait des débouchés vertueux.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez envisagé plusieurs éléments pour faciliter l’insertion des docteurs dans la fonction publique : concours d’agrégation réservé, place dans les recrutements de la fonction publique ou encore adaptation des modalités d’accès à l’ENA.

L’article 79 de la loi ESR prévoit la transmission annuelle au Parlement d’un rapport sur l’accessibilité des titulaires de doctorat aux emplois de catégorie A relevant du statut général de la fonction publique. La représentation nationale est dans l’attente de ce rapport.

Concernant l’emploi dans le secteur privé, Geneviève Fioraso avait lancé une mission sur la reconnaissance professionnelle du doctorat qui devait présenter le déploiement des dispositifs législatifs en mesures concrètes et préparer les négociations relatives aux conventions collectives. Le rapport n’a pas été rendu public.

Peut-on, monsieur le secrétaire d'État, être éclairé sur l’avancée des négociations avec les branches professionnelles ?

Un autre chantier pour l’insertion professionnelle des docteurs dans le privé repose sur une réforme programmée du diplôme de troisième cycle. En effet, si le nombre d’élèves ingénieurs augmente fortement, le nombre de doctorants ne croît lui que par l’augmentation des doctorants étrangers, qui constituent toujours 42 % du vivier. Ces évolutions du doctorat garantiraient aux postulants une formation de très haut niveau et une meilleure reconnaissance de leur diplôme, reposant sur des critères opérationnels efficients, remèdes à l’inemployabilité.

En conséquence et en application de la loi ESR, la révision des textes réglementaires relatifs à la formation doctorale s’impose.

Cette réforme d’un texte régissant le plus haut diplôme de l’Université nécessite à l’évidence un temps de concertation ! Où en est donc le calendrier de cette concertation qui doit stimuler l’employabilité des docteurs, en popularisant les acquis de la formation doctorale auprès des employeurs en termes de compétences transférables ?

Revaloriser le doctorat, faciliter l’accès des docteurs à la fonction publique, favoriser leur insertion professionnelle dans le secteur privé par une meilleure appréciation et des dispositifs fiscaux comme ceux dont nous débattons sont des solutions qui doivent ouvrir les débouchés aux titulaires de ce diplôme de troisième cycle et encourager les PME à recourir à eux.

Les investisseurs étrangers sont de plus en plus nombreux à choisir la France, comme en témoigne la forte augmentation du nombre des implantations de centres de recherche et développement – 72 en 2014 contre 21 en 2008 – réalisées grâce à des investissements étrangers. Ce résultat est la conséquence du talent de nos chercheurs et de nos universités ainsi que du partenariat entre la recherche publique et la recherche privée, stimulé notamment par le CIR, et des dispositifs fiscaux qui font que la France est très compétitive par rapport à certains pays émergents, comme Singapour, et réduit même son écart avec la Chine.

En conclusion, le CIR a certes pu faire l’objet de critiques justifiées, être suspecté de créer des effets d’aubaine et sembler manquer d’une efficacité probante, mais, au vu des observations de l’année 2015 comme des orientations de votre ministère et de l’attention soutenue du ministère de l’économie, notamment à travers la future loi #noé – pour autant que le volet « soutien à l’emploi scientifique » reste une vraie priorité dont les entreprises puissent mesurer l’intérêt –, l’année 2016 et les suivantes devraient permettre d’enregistrer les dividendes, sur les plans tant économique que scientifique et académique, d’un dispositif qui est parmi les plus incitatifs pour la recherche et l’innovation française, et qui nous est fortement jalousé.

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