Intervention de Thierry Mandon

Réunion du 12 janvier 2016 à 14h30
Débat sur le thème « les incidences du crédit d'impôt recherche sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays »

Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de ce débat sur les incidences du crédit d’impôt recherche sur l’emploi et la recherche dans notre pays.

Vous connaissez la position du Gouvernement à l’égard du CIR : il entend le stabiliser, mais la stabilité n’interdit pas, bien au contraire, que l’on s’interroge, que l’on analyse, que l’on évalue l’impact d’un dispositif budgétaire aussi important. Stabiliser celui-ci ne revient pas à dire « Circulez, il n’y a rien à voir » ; c’est prendre le temps de mesurer les impacts microéconomiques et d’en débattre, notamment au Parlement, dont il est bien naturel et dans ses prérogatives qu’il s’intéresse à une dépense fiscale de cette importance.

Afin que nous partagions le diagnostic, je voudrais reprendre plusieurs des éléments qui ont été évoqués et, en m’appuyant sur les nombreux rapports parlementaires et études publiés récemment, identifier quelques-unes des problématiques de moyen terme relatives au CIR.

La plupart d’entre vous l’ont souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, la recherche repose sur deux piliers, la recherche publique et celle des entreprises.

Notre pays, vous l’avez dit, se singularise par une répartition des dépenses de recherche dans laquelle la recherche publique a une part plus importante que dans la moyenne des pays de l’OCDE et, corrélativement, la recherche privée une part moins importante. Alors que nos dépenses de recherche atteignaient au total 2, 28 % du produit intérieur brut en 2014, les dépenses de recherche publique représentaient 0, 8 % de la richesse nationale, celles de recherche privée 1, 48 %, contre plus de 2 % du produit intérieur brut en Allemagne, alors que les dépenses publiques y sont sensiblement comparables aux nôtres.

C’est une préoccupation. Des éléments d’analyse nous ont d’ailleurs été fournis dans ce débat, notamment dans la très fine intervention de Michel Berson. Il y a là une problématique très importante pour la structure économique et de l’industrie de notre pays.

Ce problème n’est pas nouveau. Je rappelle ainsi que c’est le gouvernement de Pierre Mauroy qui a créé le crédit d’impôt recherche en 1983 afin que les entreprises s’engagent davantage dans des activités de recherche et développement. À cette époque, les entreprises françaises consacraient 0, 83% du produit intérieur brut à la recherche et développement quand les entreprises allemandes dépensaient 1, 43 %, les entreprises américaines 1, 24 %, les entreprises japonaises 1, 62 %.

Aujourd’hui, donc plus de trente années plus tard, le niveau des dépenses de recherche privées a, heureusement, progressé en France, mais il a progressé partout ailleurs, de sorte que l’écart demeure entre la France et ses principaux partenaires, écart qui s’explique probablement, en effet, par une structure économique et de l’industrie différente de celles des pays que j’ai cités.

Le CIR est devenu le dispositif le plus important dont dispose l’État pour inciter les entreprises à accroître leur effort de recherche et développement. Il a subi plusieurs modifications importantes au cours de son histoire, la principale étant la réforme de 2008, qui a largement ouvert le dispositif, ce qui a conduit de nombreuses entreprises à déclarer des dépenses éligibles au CIR.

C’est, je l’ai dit, sur la base des nombreuses analyses et rapports parlementaires dont il a fait l’objet que je veux m’appuyer pour donner des éléments factuels qui nous permettent au moins de partager un diagnostic commun avant que, bien naturellement, les points de vue s’expriment.

Le montant de la créance était de 5, 707 milliards d’euros en 2014, sur les dépenses 2013, en prenant en compte la nouveauté que fut le crédit d’impôt innovation, pour un montant de 74 millions d’euros. En déduisant ce nouveau dispositif, le CIR a atteint – je crois que nous sommes d’accord sur les chiffres – un montant de 5, 567 milliards d’euros en 2014 contre 5, 609 milliards d’euros en 2013.

Après avoir connu une croissance importante à partir de 2008, le dispositif semble donc être entré dans une phase de maturité et il ne progresse plus en montant.

Qui sont les bénéficiaires du CIR ? Son impact doit en effet aussi être analysé en fonction de la nature des entreprises bénéficiaires et de leur taille. On a dit trop souvent que seules les grandes entreprises étaient bénéficiaires du CIR. De fait, la réalité est bien plus nuancée.

On constate ainsi que des entreprises de toutes tailles, y compris les plus petites, bénéficient du CIR. Par exemple, plus de 6 000 entreprises de moins de dix salariés bénéficient du CIR, avec une créance moyenne de 50 000 euros.

Les entreprises de moins de 250 salariés représentent 31 % des dépenses fiscales au titre du CIR, alors qu’elles n’effectuent que 28, 7 % des dépenses de recherche privée. De l’autre côté du spectre, les grandes entreprises de plus de 5 000 salariés réalisent 39, 5 % des dépenses de recherche privée et reçoivent 34, 5 % du CIR. Cette différence s’explique notamment par le taux réduit de CIR au-delà du seuil de 100 millions d’euros.

Le CIR concerne donc bien les plus grandes entreprises, mais il exerce aussi un effet redistributif en direction des plus petites entreprises, qui bénéficient d’une part du CIR plus importante que celle de leur contribution aux dépenses de recherche.

Parmi les secteurs d’activité, l’industrie collecte 61 % de la créance, soit presque les deux tiers, contre 36 % pour les services, dont la majorité profite aux services informatiques, d’architecture et d’ingénierie.

Il est frappant que les dépenses de recherche et développement aient continué à augmenter dans notre pays, alors même que le poids du secteur industriel, qui en concentre la majorité, a fortement baissé entre 2002 et 2012, passant de 16, 8 % à 12, 5 % du PIB. On peut y voir là l’effet très puissant du crédit d’impôt recherche, qui s’ajoute à d’autres facteurs, comme la montée en gamme de la production.

L’impact du crédit d’impôt recherche se mesure, enfin, au travers du nombre des investisseurs étrangers, qui ont implanté des centres de recherche et développement en France. Le nombre de ces centres a augmenté, passant de quarante-cinq en 2012 à soixante-douze en 2014. Vous avez tous à l’esprit, mesdames, messieurs les sénateurs, les noms d’investisseurs étrangers de renom qui ont choisi la France comme plateforme européenne de recherche et développement, notamment en raison de ce dispositif très attractif.

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