Intervention de Louis-Jean de Nicolay

Réunion du 12 janvier 2016 à 14h30
Débat sur le thème « la forêt française en questions »

Photo de Louis-Jean de NicolayLouis-Jean de Nicolay :

… de plateformes de commercialisation par les propriétaires en complément des coopératives et des experts forestiers va déjà dans le sens d’une meilleure mise en marché, et donc de la mobilisation de la valeur ajoutée et du renouvellement des forêts de toute taille ; je pense en particulier à la société Boisloco.

Trois axes prioritaires sont aujourd’hui envisagés : produire plus et mieux valoriser la ressource bois ; gérer durablement les forêts et mieux préserver la biodiversité ; adapter les forêts françaises et anticiper le changement climatique. À ces objectifs s’ajoute celui de gérer les risques.

Pour les atteindre, deux pistes me semblent intéressantes à étudier : l’évolution de la fiscalité, bien sûr, mais aussi l’anticipation d’un renouvellement de la forêt en tant que pompe à carbone.

Sans conteste, la fiscalité forestière actuelle n’est pas adaptée aux défis de la forêt française, qui devra faire face à d’importants investissements pour renouveler les peuplements, accroître la part des résineux par plantation et améliorer la voirie, mais aussi anticiper le changement climatique. Il importe donc de passer, dans la mesure du possible, d’une fiscalité favorable à l’acquisition et à la détention à une fiscalité favorable à la gestion et à l’investissement productif.

Les aménagements pourraient être les suivants.

Le dispositif de l’« amendement Monichon », avec l’exonération au bénéfice des seules forêts effectivement gérées, devrait être maintenu, tandis que, en ce qui concerne l’investissement en forêt en matière d’infrastructures et de reboisement de peuplements pauvres ou sinistrés, le dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt pour les travaux forestiers, dit « DEFI travaux », pourrait être déplafonné avec amortissement de la dépense sur, par exemple, dix ans. S’agissant de la restructuration foncière, la surface obtenue par acquisition d’autres parcelles dans le cadre du « DEFI acquisition » pourrait être déplafonnée.

Quant à l’abattement prévu par la loi TEPA, la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, pour les contribuables à l’ISF, qui se monte à 50 % des investissements consentis par les souscripteurs au capital d’un groupement forestier ou d’une PME, il a eu un effet important sur les prix, entraînant un décalage de 15 % à 30 % entre la valeur technique des forêts, fondée sur le seul raisonnement économique, et leur valeur vénale. Cet écart risque d’ailleurs de se creuser avec le lancement des groupements forestiers d’investissements. Or la filière n’a pas besoin de cette bulle, et le marché forestier n’a pas l’ampleur nécessaire pour constituer le substrat de tels produits.

Dès lors, ne conviendrait-il pas d’envisager la limitation de ce dispositif aux seules augmentations de capital liées à la restructuration foncière ou à des investissements productifs, qu’il s’agisse de routes ou de reboisement des peuplements ?

Par ailleurs, il faut anticiper le renouvellement forestier pour maintenir le rôle de pompe à carbone de la forêt.

Dans cette perspective, et puisque, je le rappelle, les trois quarts de la forêt sont privés, il nous appartient de convaincre les propriétaires et les gestionnaires de la nécessité de prendre en compte dès maintenant le changement climatique et ses conséquences, notamment en pratiquant une sylviculture efficace et prévoyante qui intensifie le renouvellement forestier.

En amont, un engagement fort de l’État est indéniablement nécessaire pour impulser une véritable dynamique via des lignes directrices pragmatiques. À ce titre, je souligne qu’un soutien financier serait possible en prélevant 1 euro des certificats d’économies d’énergie, soit moins de 5 % des recettes de la taxe carbone prévues pour 2016.

Par ailleurs, le contrat de filière du Comité stratégique de la filière bois signé à la fin du mois de décembre 2014 et visant à « conduire une politique interministérielle avec des objectifs communs aux différentes directions des ministères concernant la filière forêt-bois » est une aubaine pour développer une réelle stratégie en ce sens.

Le programme national de la forêt et du bois prévu dans la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt pourrait définir, en étroite corrélation avec les programmes régionaux, les actions à mener pour augmenter la capacité technique de l’amont de la filière à mettre en production de façon réactive des semences et plants d’espèces nouvelles. À ce titre, des expérimentations pourraient être menées dans ce domaine dans une ou deux régions, par exemple.

L’élaboration des programmes régionaux serait également l’occasion d’actualiser l’adéquation entre essences et stations forestières, et ainsi de tendre vers une sylviculture plus dynamique et adaptative, en tenant compte bien évidemment des résultats des expérimentations, qui devront être mieux partagés.

Il s’agit d’introduire progressivement des essences ou des variétés adaptées aux changements constatés ou attendus, ainsi qu’aux différents milieux rencontrés, en vue d’accroître la résilience des forêts. La plantation d’espèces adaptées aux évolutions climatiques pourrait servir en priorité à la transformation de peuplements pauvres présentant un faible intérêt écologique, une faible activité de pompe à carbone par rapport aux potentialités de la station ou une vulnérabilité élevée.

Pour tendre efficacement vers cet objectif, ne serait-il pas intéressant, pour ce qui est de la forêt privée, d’agir par le truchement des plans simples de gestion en œuvrant pour un volet de valorisation environnementale ? La condition sine qua non serait de prêter une véritable attention au contenu de ces documents et d’assurer un suivi de leur application effective. De fait, l’absence actuelle d’un tel suivi prive l’État de rendre compte des progrès et des difficultés de la gestion forestière, en particulier dans ses dimensions économique et écologique.

L’objectif pour les dix prochaines années est de disposer de réponses éprouvées scientifiquement et d’en assurer la diffusion auprès des propriétaires, qui seront accompagnés dans le choix des espèces, des provenances et des sylvicultures et guidés par une fiscalité favorable à la gestion et au renouvellement de la forêt !

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