Intervention de Anne-Catherine Loisier

Réunion du 12 janvier 2016 à 14h30
Débat sur le thème « la forêt française en questions »

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en mai dernier, nous débattions de la renégociation du contrat d’objectifs et de performance liant l’ONF, l’Office national des forêts, l’État et la Fédération nationale des communes forestières, la FNCOFOR. Le nouveau contrat a été signé le mois dernier, non sans hésitation du côté des communes forestières, qui s’interrogent encore sur l’esprit partenarial qui anime l’ONF.

En effet, alors même que ces communes s’étaient prononcées sur le contrat, l’ONF a modifié les données avant la signature. Et le voilà qui, ces derniers jours, revient de nouveau sur le principe de libre administration des communes, en remettant en cause les choix d’ajournement de certaines coupes ou encore l’affouage !

Je rappelle que, sur ces deux sujets, les élus municipaux ont affirmé leur attachement à ce principe avec vigueur. Il serait temps que l’ONF s’engage dans des relations plus respectueuses avec les communes forestières, sous peine de briser la confiance et la volonté de réussir que la fédération nationale s’efforce de préserver au quotidien auprès des associations locales.

Le mois de décembre a aussi été marqué par la COP21, qui a reconnu, dans son accord final, le rôle crucial des puits de carbone forestiers et la place capitale des forêts dans la lutte contre le changement climatique. Cet accord souligne aussi l’importance d’allouer des ressources financières adéquates aux États membres, afin que ceux-ci mettent en œuvre des mesures incitatives en matière de gestion durable des forêts.

Aujourd’hui, chacun mesure bien l’enjeu que représente le patrimoine forestier exceptionnel de notre pays. Quatrième État le plus boisé d’Europe, la France présente une surface forestière qui équivaut à 31 % de son territoire métropolitain. La forêt est un poumon vert de par son rôle de captation et de stockage du carbone. La filière forêt-bois emploie près de 450 000 personnes, soit plus que le secteur automobile, et réalise un chiffre d’affaires correspondant à 3 % du PIB. Notre pays ne compte pas moins de cinq pôles de compétitivité liés à cette filière.

La forêt française est exceptionnelle, car multifonctionnelle : elle assure des missions d’intérêt économique, social et environnemental. On a parfois tendance à l’oublier : certains ne voient dans la forêt qu’une réserve ; d’autres, au contraire, qu’une source de matières premières. À ces derniers, qui évoquent une « belle endormie » qu’il faudrait réveiller, je leur conseille de chausser leurs bottes et de venir constater sur le terrain combien les forêts dites productives grouillent d’activités !

En vérité, il n’y a pas une forêt française, mais des forêts françaises aux réalités bien différentes : les grandes forêts productives de l’est, du centre et des Landes, les forêts de montagne, les forêts péri-urbaines, les forêts méditerranéennes. Il y a aussi différentes essences de feuillus ou de résineux, auxquelles correspondent des marchés spécifiques et distincts.

Cette forêt, dans sa diversité, s’est considérablement développée au cours de ces dernières décennies.

Aujourd’hui, la France est plus boisée qu’elle ne l’a jamais été. Elle représente l’une des principales ressources européennes en matière de bois, d’autant que son réseau routier a facilité l’accès aux grands massifs forestiers. L’exploitation s’est donc intensifiée et mondialisée, ce qui a créé des aléas de marchés, comme avec les exportations massives de grumes de feuillus ces derniers mois.

Paradoxalement, alors que cette ressource est de plus en plus mobilisée, il y a rarement eu aussi peu de soutiens publics, notamment depuis la suppression du Fonds forestier national en 2000. Il est vrai que les forestiers sont des gens plutôt discrets et peu revendicateurs…

On leur demande aujourd'hui de mobiliser plus avec moins de moyens. À quelques exceptions près, ce qui est facilement mobilisable est déjà mobilisé aujourd'hui, ou le sera prochainement. L’enjeu réel porte donc sur les bois plus difficiles d’accès, qui induiront des coûts supplémentaires.

Il faut également entendre l’inquiétude de certaines populations qui vivent dans des régions déjà très productrices et qui voient la pression s’intensifier. Car le risque est bien réel que l’on s’adresse demain à des régions déjà fortement sollicitées…

La plus grande vigilance est donc requise pour bien appréhender et répartir le nécessaire effort de mobilisation, tout en tenant compte des potentiels de production de chaque territoire. Car toutes les essences ne se produisent pas partout, au grand dam de certains industriels qui voudraient voir planter davantage de résineux.

Pour ces derniers, il y a un déséquilibre entre l’offre et la demande de bois français. Il est vrai que notre forêt française est majoritairement constituée de feuillus, à 60 %, contre 40 % de résineux.

Or les marchés de résineux constituent aujourd’hui deux tiers du bois commercialisé, la part atteignant 75 % pour ce qui concerne les grumes ; d’où les pressions actuelles importantes sur la ressource pour mobiliser davantage et replanter du résineux. Des améliorations sont évidemment souhaitables, mais il faut tempérer de telles demandes.

D’abord, les forestiers savent bien qu’un résineux ne pousse pas partout. Il faut un sol, une exposition ; bref, une station.

En outre, une monoculture intensive et des coupes rases tous les quarante ans, comme certains le souhaiteraient, cela épuise le sol, mais également les riverains et les populations attenantes.

Comme tout écosystème, la forêt a besoin de diversité végétale pour bien se développer et se régénérer. Au lieu de demander aux propriétaires de reconvertir systématiquement leurs peuplements de feuillus en résineux, ce qui prendrait au moins quarante ans, au lieu d’épuiser nos sols dans des monocultures intensives préjudiciables à l’environnement, proposons à nos industriels d’essayer de transformer davantage la matière première « feuillus », disponible immédiatement et à grande échelle, comme l’a évoqué notre collègue Philippe Leroy ! Je pense, notamment, à toutes les essences secondaires de feuillus, qui sont aujourd'hui sous-exploitées.

Bien entendu, cela impliquera de la recherche, de l’innovation pour transformer une matière première négligée aujourd'hui. Mais le paradoxe qui nous fait manquer de matière première bois quand nous disposons d’un stock colossal inutilisé sur notre territoire pourra-t-il tenir longtemps ?

Une chose est sûre : comme cela a été dit, il est absolument nécessaire d’investir en parallèle dans la transformation et le reboisement.

En 2013, le déficit commercial de la filière bois française s’élevait à près de 6 milliards d’euros. Il est dû aux deux tiers à l’absence d’une filière industrielle de l’ameublement et des papiers cartons forte et compétitive.

Notre balance commerciale dans cette filière n’est pas sans rappeler celle d’un pays en développement. Nous disposons de la matière première, mais la valeur ajoutée s’échappe vers les marchés étrangers, en raison de déséquilibres entre l’exportation de bois brut et l’importation de produits transformés.

Un autre point d’actualité me semble essentiel ; c’est celui de la filière bois-énergie. Cela nous renvoie au respect de la hiérarchie des usages. Derrière toute exploitation intensive forestière, il existe de réels risques d’épuisement des sols. Je vous le rappelle, on ne fait pas d’amendement en forêt. Alors, gardons-nous de rentrer dans une production intensive de bois énergie à courte rotation ! Développons une approche d’optimisation des déchets bois, dans une logique d’approvisionnement de proximité !

Je rejoins à cet égard nos collègues Alain Houpert et Yannick Botrel, qui, dans leur rapport d’information, mettaient en garde contre la priorité accordée aujourd'hui au bois énergie, laquelle bénéficie de plus de 36 % des soutiens publics. L’exploitation forestière ne s’inscrit dans une démarche durable que si elle produit en priorité du bois d’œuvre ou du bois d’industrie. Le bois énergie ne doit être que la destination ultime.

En outre, le fléchage des aides ne doit pas s’effectuer au détriment des autres filières, notamment celle de la construction, qui constitue tout de même aujourd'hui le principal débouché en France pour le bois et est peu soutenue.

Il est temps de tirer les leçons de ce déficit commercial extérieur et de proposer des stratégies durables en matière de développement et de reboisement de notre forêt, ainsi qu’en matière d’exploitation et de transformation de ses bois.

En ce sens, et pour plus d’efficacité, la Cour des comptes préconise de créer une instance interministérielle unique de réflexion et de pilotage stratégique.

Pour conclure, j’aimerais évoquer le prochain projet de loi pour la reconquête de la biodiversité. Je m’étonne que les acteurs forestiers ne soient pas, ou soient très peu associés à la future agence française de la biodiversité, malgré le rôle environnemental stratégique reconnu à la forêt par la dernière COP21.

Quelle est la pertinence d’instituer une agence ayant vocation à fusionner les acteurs de la biodiversité en ignorant les forestiers ?

On en revient toujours à cette fâcheuse tendance à empiler de nouvelles structures qui s’additionnent aux précédentes, oubliant souvent nos bonnes volontés de simplification, de lutte contre l’inflation législative et l’empilement des normes. Espérons que cela renforcera vraiment l’efficacité !

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