Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 12 janvier 2016 à 14h30
Débat sur le thème « la forêt française en questions »

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat organisé aujourd'hui à la demande du groupe Les Républicains traduit bien le dilemme récurrent qui se pose à nous : alors que notre pays dispose de la quatrième surface forestière européenne, cette richesse est à l’origine, bon an mal an, de près de 10 % du déficit de notre balance commerciale.

Élu du Jura, je retrouve en condensé dans ce département les problèmes soulevés : une couverture forestière importante de près de 50 % du territoire départemental répartie à peu près à égalité entre forêts publiques, essentiellement communales, et forêts privées, avec un émiettement parcellaire ancestral, mais aussi des forêts domaniales, dont la deuxième forêt de feuillus de France, avec la forêt de Chaux.

De plus, cette région ayant fourni sous Colbert les mâts de la Royale est aussi le berceau de l’industrie du jouet en bois, aujourd’hui largement supplantée par le plastique.

Il est, pour moi, des moments insupportables : quand je vois, par exemple, sur nos petites routes jurassiennes des énormes camions chargés de grumes partir en direction de l’Italie ou vers les ports méditerranéens à destination du Moyen-Orient, voire de Chine.

La deuxième chose qui m’est difficilement supportable est d’apprendre des bâtisseurs utilisant le bois que l’origine de la matière première est soit autrichienne soit nordique, et qu’elle est exceptionnellement locale !

Les multiples rapports – le rapport d’information de nos collègues Alain Houpert et Yannick Botrel analyse d’une manière on ne peut plus claire l’enquête menée par la Cour des comptes – présentent des recommandations majeures à caractère organisationnel et économique.

Nous faisons tous les mêmes constats : d’abord, le morcellement d’une forêt détenue aux trois quarts par des propriétaires privés ne permettant pas une offre stable et significative ; ensuite, une production de bois largement dominée par les feuillus, qui ne correspond pas à la demande des marchés ; enfin, une accumulation des documents de gestion et de plans stratégiques, qui ne facilitent pas la compréhension de la politique publique et l’organisation de la filière forêt-bois.

Bien entendu, il ne s’agit pas de dire que rien n’a été fait jusqu’à présent pour pallier ces difficultés.

Je rappellerai tout d’abord que la filière bénéficie de 910 millions d’euros de soutiens publics annuels directs ou indirects. Mais sont-ils bien orientés ?

S’agissant des mesures les plus récentes, je pourrais citer la mise en place du Comité stratégique de la filière bois en 2013 destiné à encourager le développement de l’amont.

Le contrat de filière signé à la fin de l’année 2014 par quatre ministères et vingt-deux organisations professionnelles engage ainsi l’État et tous les acteurs dans une démarche stratégique de long terme. C’est naturellement une bonne chose.

Le problème de la sous-exploitation forestière est depuis longtemps un débat récurrent. Dès 1978, le rapport Méo-Bétolaud en pointait les inconvénients.

Le résultat, sur le plan économique, c’est un secteur globalement en difficulté, un véritable gâchis industriel : on est passé de 10 000 scieries en 1960 à moins de 2 000, et notre pays coupe moins de bois qu’il n’en pousse sur son territoire.

Certes, les forestiers se regroupent de plus en plus autour de stratégies locales pour mieux mutualiser les coupes et la commercialisation du bois. L’apport du Fonds forestier national est crucial pour encourager ces regroupements.

C’est aussi vers l’aval que les problèmes se posent. Pour ma part, la ressource « bois de chauffage » ne me paraît pas devoir être encouragée. Ainsi, dans ma région, des chaudières à bois de plus ou moins grande capacité, dont la mise en place a largement été aidée, ont été installées. Aujourd’hui, la concurrence est grande et la ressource naturelle – déchets de scierie, rémanents, coupes de taillis sous futaie – se tarit, ce qui nécessite d’aller chercher la matière première à 50 ou 100 kilomètres. Vous vous doutez bien que le bilan carbone n’est plus si glorieux !

Concernant l’aval et la transformation, les difficultés du secteur reposent pour l’essentiel sur les problèmes généraux du coût de la main-d’œuvre dans notre pays. Nos entreprises ne peuvent s’en sortir que sur des créneaux spécifiques, mais la créativité est peut-être insuffisante, comme certains de mes collègues l’ont souligné.

Aujourd’hui, il faut en tout cas accélérer les prises de décision, en tirant les enseignements des derniers rapports relatifs à la question forestière.

Je partage plusieurs des propositions du rapport d’information de nos collègues, notamment la nécessité de procéder à un rapprochement des interprofessions. Des démarches sont en cours et, là aussi, il serait souhaitable de favoriser le dialogue entre l’amont et l’aval.

S’agissant de la révision des soutiens publics, sans remettre ces aides en cause – je pense notamment à la fiscalité patrimoniale –, il serait sans doute souhaitable de mieux les conditionner, afin qu’elles passent d’une logique de guichet à une logique plus incitative.

Je dirai un mot sur l’ONF, qui a beaucoup évolué dans sa gestion : cet office interroge les observateurs de la forêt sur la pratique de la coupe rase, dont je ne sais si M. le ministre y est favorable, mais qui, si elle présente un intérêt pratique, perturbe inévitablement le biotope d’une manière souvent irréversible.

Quant à l’innovation, elle est essentielle, car on met souvent en avant le problème de la domination des feuillus dans les forêts françaises, une essence qui ne colle pas à la demande.

Puits de carbone, cadre de loisirs et de pratiques cynégétiques, et, bien sûr, acteur économique significatif, la forêt concentre de nombreux atouts qui nous invitent régulièrement à nous pencher sur son exceptionnel potentiel.

Je ne saurais oublier que cette forêt constitue pour nos communes une ressource financière indispensable à l’équilibre budgétaire, même s’il ne s’agit plus, comme par le passé, d’offrir une machine à laver à chaque foyer lors de la vente des bois.

Le bois est un matériau d’avenir. La France sait être créative quand elle s’en donne les moyens. Le pavillon français de l’exposition universelle de Milan, en bois du Jura, est l’illustration de l’excellence française. La formation des jeunes aux métiers du bois doit être développée et l’innovation encouragée.

Je prendrai encore un exemple de réussite jurassienne : le lycée du bois de Mouchard, seul en France à former au compagnonnage, envoie ses élèves à travers l’Europe et le monde pour transmettre le savoir français.

Il n’y a pas de fatalité. De surcroît, le potentiel est là, et il suffirait d’une ambition forte et d’une fédération des énergies, à la fois publiques et privées, pour faire de la France un acteur majeur du secteur bois.

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