Intervention de Stéphane Le Foll

Réunion du 12 janvier 2016 à 14h30
Débat sur le thème « la forêt française en questions »

Stéphane Le Foll :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat sur la forêt, organisé sur l’initiative de M. Leroy, est bienvenu, car le sujet est d’actualité. La discussion a été de qualité, et je répondrai à certains intervenants qui ont donné l’impression que rien n’était fait.

Sauf à être de véritables spécialistes, nous faisons tous les mêmes constats : morcellement de la forêt privée française, déficit commercial de la filière, perte de valorisation de l’industrie forestière sur l’ensemble du territoire, question du devenir de la forêt dans les domaines de la transformation du bois ou de l’utilisation du bois-énergie. Ces questions ont toujours été posées. Faut-il y apporter des réponses ?

Je tiens tout d’abord à rappeler que le déficit commercial de la filière s’élève à environ 6 milliards d’euros, dont 2 milliards pour les meubles et 2 milliards pour la pâte à papier. Nous sommes en effet d’importants consommateurs de papier, mais nous avons fait le choix, par le passé, d’importer du bois pour produire ce papier au lieu d’utiliser le nôtre. Telle est la base du constat.

Ensuite, comme cela a été rappelé, la forêt française est la quatrième forêt d’Europe en surface, et la troisième si l’on y ajoute les départements et régions d’outre-mer. Au regard des questions qui sont posées, il est intéressant de relever que la France, dont la surface forestière est plus importante que celle de l’Allemagne, a 2, 6 milliards de mètres cubes de bois sur pied.

Avec une surface forestière de 11 millions d’hectares, l’Allemagne a 3, 6 milliards de mètres cubes de bois sur pied, soit presque 1 milliard de mètres cubes de plus que la France pour une surface inférieure. Ce facteur explique aussi, pour partie, sa capacité à pouvoir mieux valoriser son bois.

Quant à la Suède, elle a 2, 9 milliards de mètres cubes de bois sur pied pour une surface supérieure à celle de la France ou de l’Allemagne.

La problématique de la filière bois dans son ensemble doit tenir compte de tous ces éléments, mais aussi du fait – cela vaut en particulier pour le COP, le contrat d’objectifs et de performance, et la FNCOFOR, la Fédération nationale des communes forestières – de la question du Fonds forestier national.

Entre les communes qui ont à leur disposition des forêts – je pense au grand Est de la France – sur lesquelles elles peuvent percevoir des recettes et celles qui, dans le sud – j’ai bien entendu les propos qui ont été tenus à ce sujet – ont des difficultés à dégager de telles ressources eu égard à la spécificité de leur forêt, il y a des différences. C’est non pas à « une » forêt française que nous avons affaire, mais à « des » forêts françaises, auxquelles il faut trouver, par grands bassins, des destins et des organisations spécifiques.

Nous avons tous fait le constat du morcellement et des difficultés d’organisation de la forêt française. Ont même été évoquées les questions d’interprofessions.

Le bassin historique forestier des Landes est bien organisé et structuré ; je l’ai dit aux professionnels, qui ont d’ailleurs plutôt tendance à voir les choses sous un angle positif. Mais l’organisation globale mériterait d’être revue pour tenir compte de la diversité des forêts. Tel était l’objectif de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, madame Duranton.

Ces constats, nous les avons tous établis, et nous en avons tiré un certain nombre de conclusions nuitamment ici au Sénat ; je pense en particulier à l’équilibre sylvo-cynégétique, dont M. Leroy se souvient certainement.

Il faut donc avoir une stratégie, ainsi que vous l’avez évoqué, mesdames, messieurs les sénateurs, et organiser les choses parce qu’elles ne le sont pas. Il ne s’agit pas simplement d’un problème avec l’ONF. Quand celui-ci était bien plus important et présent, le problème de la forêt se posait déjà.

Ne nous trompons pas de diagnostic ou d’objectif ! Je reviendrai ultérieurement sur le COP. Il faut se préoccuper de l’organisation, de la structuration. Depuis trois ans que je suis à la tête du ministère de l’agriculture et de la forêt – je tiens à ce titre dans son entier ! –, j’ai cherché avec vous, et avec tous ceux qui s’y sont intéressés, les moyens d’organiser et de structurer la filière.

Nous sommes à la veille de la présentation du programme national de la forêt et du bois, un sujet dont nous avions débattu en vue de retenir des objectifs, fixer un cadre et élaborer une stratégie pour la forêt française. Ce programme est en cours de finalisation et sera présenté au Conseil supérieur de la forêt et du bois en février prochain, c’est-à-dire dans quelques semaines.

Cette stratégie que vous appelez de vos vœux, il fallait la construire avec tous les acteurs de la forêt, qu’ils soient producteurs, transformateurs, patrons de scieries ou futurs utilisateurs, et mettre tout le monde d’accord. Cela a pris un peu de temps depuis l’adoption de la loi d’avenir pour l’agriculture, mais le programme sera présenté, je le répète, en ce début d’année. C’est ce que nous devions faire pour donner de la perspective et élaborer une stratégie.

En effet, s’il est très facile de dresser le constat que tout va mal, il est plus difficile, en revanche, de travailler pour réorganiser les choses, afin de faire en sorte que la situation s’améliore.

Tel est l’objectif du programme national de la forêt et du bois, qui sera décliné en programmes régionaux. D’ailleurs, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a également mis en place le Fonds stratégique de la forêt et du bois, sur lequel je reviendrai.

Tel est aussi l’objectif du contrat de filière du Comité stratégique de la filière bois qui a été signé par l’ensemble des acteurs et des ministères concernés. Sur ce sujet, j’entends bien aussi garder la main.

Même si plusieurs ministères sont concernés, la création d’un délégué interministériel supplémentaire ne simplifierait pas les choses, madame Duranton, et ne permettrait pas d’avancer plus vite. Il est toujours facile de penser que, en créant un poste supplémentaire, on résoudra les problèmes. Mais non, c’est en se mettant d’accord, autour d’une table !

Et tel est l’objectif du contrat stratégique de filière qui a été signé par mon ministère, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, celui de l’économie, de l’industrie et du numérique et celui du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Il est prévu d’en faire le bilan après un an de mise en œuvre, lors de la prochaine réunion du Comité stratégique de la filière bois, au cours de laquelle la Fédération nationale du bois signera le contrat.

Par ailleurs, la négociation du prochain contrat d’objectifs et de performance 2016-2020, qui a largement été évoqué, représente un sujet important pour les communes forestières, les COFOR, et l’ONF. Je l’ai toujours dit, je suis attaché au Fonds forestier national parce qu’on doit mutualiser. En effet, on le sait bien, sans un outil permettant aux forêts publiques d’être gérées et valorisées partout, dans toutes les communes, il y aura d’énormes différences entre les forêts. D’où l’importance de ce fonds.

Pour ce faire, il fallait négocier ce nouveau COP, tout en conciliant l’objectif de réduction des coûts de fonctionnement de l’ONF, la stabilisation, pour la première fois, de ses effectifs et la volonté de ne solliciter en aucune manière les communes forestières, comme je l’ai dit à Nancy. Ce nouveau COP assure ainsi la viabilité de l’ONF et permet aux COFOR de gérer leurs forêts publiques.

Vous l’avez souligné, madame Jourda, le volume ciblé de bois mobilisé est objectivement atteignable, alors qu’il était irréaliste auparavant. Il s’élève ainsi à 15 millions de mètres cubes : 8, 5 millions de mètres cubes pour la forêt communale et 6, 5 millions de mètres cubes pour la forêt domaniale. La discussion a été ardue, mais elle était nécessaire. L’objectif, je l’ai rappelé, visait à définir des objectifs en matière de mobilisation des recettes, afin d’équilibrer aussi le budget de l’ONF ; on en a besoin pour maintenir la forêt publique, en particulier pour ce qui concerne les communes forestières. Nous avons, en outre, tenu compte de l’ensemble des contributions des communes, et nous ne les avons pas augmentées.

C’est pourquoi ce COP, qui stabilise, je le répète, les effectifs de l’ONF, offre de la visibilité à cet organisme. Bien sûr, tout cela peut être discuté, et il aurait peut-être été possible d’aller plus loin. Mais, dans le contexte actuel, il définit les objectifs et donne les moyens de maintenir les services de l’ONF, tout en répondant aux attentes des communes forestières.

Pour en revenir au programme national de la forêt et du bois, les questions de M. Leroy sont essentielles : quelles sont les perspectives ? Que sortira-t-il de ce programme au cours des semaines à venir ?

Tout d’abord, concernant la grande question du bois-énergie, l’appel à manifestation d’intérêt DYNAMIC bois a été une réussite et sera renouvelé. Je le dis, chaque forêt a ses spécificités. Aussi, il conviendra de poursuivre la réflexion pour développer l’exploitation du bois-énergie dans certaines forêts.

En effet, au regard de la diversité des forêts françaises, certaines d’entre elles ont été historiquement consacrées à la production et d’autres ont gagné sur la déprise agricole. On peut considérer ces dernières comme étant potentiellement productrices d’énergie renouvelable. Mais encore faut-il que l’on s’organise à cette fin !

C’est pourquoi je souhaite combiner dans ces zones-là, au sein des groupements d’intérêt économique et environnemental forestier, les GIEEF, les enjeux liés à la forêt publique et à la forêt privée pour regrouper l’offre. On conduira des expériences de regroupements qui, contrairement à ce que la loi prévoit, ne concerneront plus uniquement la forêt publique, mais également la forêt privée, en particulier dans les forêts où l’on a besoin de produire du bois-énergie.

Ensuite, un autre enjeu majeur réside dans la question du repeuplement et de l’utilisation du Fonds stratégique de la forêt et du bois. M. Leroy l’a souvent relevé, il s’agit là du renouvellement de la forêt et de son adaptation au réchauffement climatique. Tous les forestiers en discutent, dans toutes les zones de France. Au nord de la Loire, se posent aussi ces questions.

En 2015, le Fonds stratégique de la forêt et du bois était doté de 15 millions d’euros. En 2016, selon les prévisions, il pourrait être abondé à hauteur de 25 millions d’euros environ, notamment avec les centimes forestiers et les compensations financières en cas de défrichement. De surcroît, un cofinancement du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, pourrait s’y ajouter – entre 40 millions et 50 millions d’euros –, mais cela fera aussi l’objet d’un débat avec les régions.

Puisque nous traitons de la question du repeuplement, un sujet important à mes yeux, permettez-moi de vous faire une proposition, mesdames, messieurs les sénateurs. Fixons-nous comme objectif de mobiliser – ce fonds peut être utilisé pour le repeuplement ou les infrastructures de collecte du bois –, 100 millions d’euros, en 2016, afin d’engager une stratégie de repeuplement, dont il faudra, ensuite, discuter ; et c’est ce que nous ferons.

Cette enveloppe se décomposerait en quatre abondements égaux de 25 millions d’euros issus du Fonds stratégique de la forêt et du bois, du FEADER, du programme d’investissements d’avenir et d’un financement privé. En effet, le volet concernant la forêt et le bois du plan « Agriculture-innovation 2025 » prévoit des financements innovants. À cette fin, on peut mobiliser – et on doit le faire ! – 100 millions d’euros en 2016 pour engager le repeuplement à l’échelle nationale, un vrai sujet, qui est souvent abordé, en fixant des objectifs et en se donnant les moyens de les atteindre. Telle est la proposition que je vous fais cet après-midi. C’est important, tant la question du repeuplement demeure essentielle, aux yeux des forestiers, pour l’avenir de la forêt.

Comme l’a très bien dit Joël Labbé, en citant ce beau proverbe chinois – je ne sais pas où il l’a trouvé ni d’ailleurs à quel grand Chinois il faisait référence !

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