Comme vous le savez, j'ai été à l'origine, avec notre ancienne collègue Muguette Dini, de la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui. L'objet de cette proposition de loi était, dans la continuité d'un rapport que nous avions présenté au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, d'améliorer la loi du 4 mars 2007 réformant la protection de l'enfance afin de rendre les avancées qu'elle a permises plus effectives sur l'ensemble du territoire. La loi de 2007 est en effet, de l'avis de tous, une bonne loi. Elle a permis de rénover la politique de protection de l'enfance tout en réaffirmant sa décentralisation. Néanmoins, si certains départements se distinguent par des pratiques avancées, d'autres accusent un retard notable, y compris au regard des principes posés par la loi de 2007. À titre d'exemple, le projet pour l'enfant, bien qu'obligatoire, n'est souvent jamais élaboré, ou est perçu par certains services départementaux non comme un outil d'une meilleure prise en charge, mais comme une formalité administrative supplémentaire.
La philosophie de cette proposition de loi était donc d'améliorer la gouvernance nationale et de généraliser les meilleures pratiques locales afin de garantir, sur tout le territoire, la meilleure protection possible pour les enfants en danger.
Ce texte a recueilli un large consensus au Sénat qui, tout en amendant le texte sur certains points, l'a adopté à l'unanimité en mars dernier. Cette initiative a été reprise par l'Assemblée nationale et soutenue par le Gouvernement et je m'en réjouis. Le travail des députés et l'implication de la ministre, qui a mené en parallèle une large concertation au niveau national, ont permis d'enrichir le texte et d'élargir son objet à des thématiques qui n'avaient pas été abordées initialement.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est donc le fruit d'un travail conjoint des parlementaires de nos deux assemblées et du Gouvernement. Au terme de deux lectures dans chaque chambre, près de la moitié des articles que comporte désormais le texte ont été adoptés dans les mêmes termes, et pour plusieurs autres les divergences qui demeurent n'apparaissent pas insurmontables. Nos deux assemblées partagent en effet le souhait de renforcer la place du projet de l'enfant et de mieux définir son contenu et de rechercher une plus grande stabilité dans le parcours des enfants placés. Nous sommes également d'accord pour qu'un référent « protection de l'enfance » soit désigné au sein de chaque département, pour aligner le montant des droits de succession exigé en cas de décès de l'adoptant durant la minorité de l'adopté sur le droit applicable aux successions en ligne directe, pour réviser la procédure judiciaire d'abandon, pour faciliter l'obtention de la nationalité française par des mineurs recueillis notamment par kafala, ou encore pour inscrire la notion d'inceste dans le code pénal.
Parmi les nombreux ajouts opérés par l'Assemblée nationale, le Sénat en a accepté plusieurs. Notamment, la sécurisation du placement de l'enfant auprès d'un tiers bénévole n'a pas suscité d'opposition de fond de la part du Sénat, tout comme l'encadrement des recours aux tests osseux. Enfin, le Sénat a voté le dispositif visant à mieux répartir sur le territoire les mineurs isolés.
Il ne faut donc pas sous-estimer l'importance des convergences entre nos deux assemblées, signe d'un consensus fort sur la nécessité de traiter la question de l'enfance en danger.
Toutefois, sur un certain nombre de points, les positions de la majorité sénatoriale divergent nettement de celles adoptées par l'Assemblée nationale. Le Sénat a ainsi affirmé dès la première lecture son opposition à la création d'un Conseil national de la protection de l'enfance, prévu à l'article 1er. Le Sénat s'est également opposé à l'article 7, qui prévoit l'examen annuel de la situation de l'enfant placé par une commission pluridisciplinaire. Par deux fois, l'Assemblée nationale a rétabli ces dispositions.
Parmi les articles ajoutés au texte de l'Assemblée nationale, le Sénat s'est notamment opposé à ce que la loi rende obligatoire l'accompagnement des jeunes devenus majeurs jusqu'au terme de l'année scolaire ou universitaire. Surtout, le Sénat s'est opposé au dispositif proposé par le Gouvernement qui consisterait à verser l'allocation de rentrée scolaire (ARS) due au titre d'un enfant placé sur un compte bloqué à la Caisse des dépôts et consignations. La majorité sénatoriale souhaite en effet que cette allocation soit versée au service départemental de l'aide sociale à l'enfance auquel l'enfant est confié.
À titre personnel, je suis favorable à la création d'un Conseil national de la protection de l'enfance, qui constitue une des recommandations principales du rapport d'information dont je suis la co-auteure. J'approuve également la solution innovante proposée par le Gouvernement à propos de l'ARS, qui vise à ce que cette allocation bénéficie effectivement au jeune, et contribue à répondre à la problématique de la sortie des dispositifs de l'ASE.
Mais au vu des votes intervenus au Sénat, il me semble qu'il s'agit là de divergences importantes qui paraissent difficiles à surmonter au sein de notre commission mixte paritaire.