Intervention de Annie Le Houerou

Commission mixte paritaire — Réunion du 12 janvier 2016 à 18h30
Commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection de l'enfant

Annie Le Houerou, rapporteure pour l'Assemblée nationale :

Je tiens tout d'abord à saluer le travail globalement constructif qui a été réalisé par le Sénat lors de l'examen, en deuxième lecture, de la présente proposition de loi. À l'issue des travaux de la Haute Assemblée, 8 des 51 articles de la proposition de loi qui restaient en discussion au terme de la première lecture à l'Assemblée nationale ont été adoptés conformes. Un autre, l'article final de gage financier, a fait l'objet d'une suppression conforme.

À l'issue des travaux de l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, 23 articles ont fait l'objet d'une adoption ou d'une suppression conforme. Il reste donc 21 articles en « navette ».

Un certain nombre d'avancées majeures contenues dans la proposition de loi ont été confortées et enrichies par le Sénat, notamment celles prévues à l'article 5, qui tend à préciser le rôle et le contenu du « projet pour l'enfant », ainsi que les modalités de son élaboration.

Par ailleurs, s'agissant de l'introduction dans le code pénal de la qualification d'inceste, qui constitue une avancée essentielle de cette proposition de loi, le Sénat a adopté trois amendements qui permettent d'améliorer la définition de l'inceste retenue à l'article 22 en supprimant la condition « d'autorité de droit ou de fait » pour les incestes qui seraient commis par le frère, la soeur, l'oncle, la tante, le neveu ou la nièce, et en excluant de la qualification d'inceste les actes commis par le tuteur, le délégataire de l'autorité parentale ou par l'ancien conjoint ou l'ancien concubin.

Néanmoins, je confirme que deux mesures importantes continuent de faire l'objet de profonds désaccords entre nos assemblées.

Il s'agit tout d'abord des dispositions de l'article 1er qui prévoient la création d'un Conseil national de la protection de l'enfance, supprimées par le Sénat en deuxième lecture avant d'être rétablies par l'Assemblée nationale. La question majeure de la gouvernance de la protection de l'enfance ne fait pas consensus entre nos assemblées. Nous estimons pour notre part que la création de cette instance consultative permettrait d'améliorer la cohérence et la coordination des politiques de la protection de l'enfance, celles-ci restant à l'heure actuelle caractérisées par une trop forte hétérogénéité entre les départements et, au sein d'un même territoire, par un cloisonnement de l'action des différents acteurs (conseils départementaux, caisses d'allocations familiales...).

Il s'agit ensuite du dispositif de l'article 5 ED relatif au versement de l'allocation de rentrée scolaire, lorsqu'un enfant est confié au service d'aide sociale à l'enfance (ASE). Le Sénat souhaiterait que cette allocation soit versée à ce service. L'Assemblée nationale estime pour sa part que l'allocation de rentrée scolaire ou la part d'allocation différentielle qui est due à l'enfant confié à l'ASE doit être versée à la Caisse des dépôts et consignations de façon à ce qu'elle en assure la gestion jusqu'à la majorité de l'enfant ou, le cas échéant, jusqu'à son émancipation. À cette date, le pécule serait attribué et versé à l'enfant. Il nous semble qu'il s'agit là d'une mesure innovante de nature à faciliter l'entrée de ces adolescents dans la vie d'adulte.

Outre ces deux principaux points de désaccord, un certain nombre de sujets importants suscitent toujours une divergence de vues entre nos assemblées, parmi lesquels :

- l'accompagnement des jeunes majeurs au-delà du terme de la mesure de protection dont ils font l'objet. Cette mesure est prévue par l'article 5 EA que le Sénat a supprimé et que l'Assemblée nationale a rétabli. Elle doit permettre de finir l'année universitaire engagée ;

- le suivi des mesures prises pour lutter contre l'absentéisme scolaire et le décrochage. Ce dispositif est organisé par l'article 2 ter que le Sénat a supprimé et que l'Assemblée nationale a rétabli afin de mieux coordonner les établissements d'enseignement et les services de la protection de l'enfance ;

- l'obligation faite par l'article 7, au président du conseil départemental, de mettre en place une commission pluridisciplinaire pour examiner les situations d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance depuis plus d'un an lorsqu'il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l'enfant paraît inadapté à ses besoins - cet examen devant avoir lieu tous les six mois lorsqu'il s'agit d'enfants de moins de deux ans. Là encore, cette commission pluri-institutionnelle doit jouer un rôle majeur et être maintenue ;

- de même, l'encadrement strict du recours aux tests osseux dans la rédaction que nous avons adoptée en première lecture apporte les garanties nécessaires aux mineurs, sans qu'il soit nécessaire de créer, dans chaque département, un comité d'éthique chargé de statuer sur la minorité ou la majorité des personnes à partir des éléments d'évaluation comme le souhaiterait le Sénat ;

- enfin, ne saurait être retenue la rédaction adoptée par le Sénat à l'article 22 quater, qui prévoit l'obligation, pour les départements, de transmettre au ministère de la Justice les informations dont ils disposent sur le nombre de mineurs isolés étrangers présents sur leur territoire. Cette transmission d'information permet au ministère de la justice de fixer des objectifs de répartition proportionnés aux capacités d'accueil de ces mineurs dans les différents départements. Il s'agit donc d'un dispositif de solidarité nationale entre les départements et l'article 22 quater ne peut donc prévoir une simple « évaluation » des capacités d'accueil des départements, mais doit fixer des objectifs de répartition entre les différents départements.

Mes chers collègues, nos points de vue s'opposent sur un certain nombre de sujets et sont dans une certaine mesure inconciliables, notamment sur la création du Conseil national de la protection de l'enfance et les modalités de versement de l'allocation de rentrée scolaire due à l'enfant confié à l'ASE. Ces mesures sont attendues par les acteurs de la protection de l'enfance et elles sont issues de longues concertations réalisées par la ministre. Il ne me semble donc pas utile de prolonger davantage les débats de notre commission mixte paritaire ni d'examiner les articles de la proposition de loi.

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