Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a presque un an, le 9 février 2015, le ministre du travail et de l’emploi de l’époque, François Rebsamen, présentait une liste de vingt mesures destinées à lutter contre le chômage de longue durée. Pourtant, avec plus de 2 447 000 personnes inscrites en novembre dernier, le chômage de longue durée a augmenté de 9, 7 % en un an, touchant 215 900 personnes supplémentaires. Sa progression est plus rapide que celle de la moyenne générale du chômage. Plus inquiétant encore, dans la mesure où les chances de retrouver un emploi se réduisent avec le temps, 705 000 demandeurs d’emploi restent bloqués sur les listes de Pôle emploi depuis plus de trois ans. Cette courbe du chômage de longue durée n’a montré aucun signe de faiblesse depuis quatre ans.
Au début de l’année 2015, les propositions présentées visaient à « préparer le plus possible les chômeurs de longue durée à être prêts lors de la reprise de l’emploi ». Il s’agissait alors de faire bénéficier 460 000 d’entre eux d’un renforcement du suivi intensif par Pôle emploi d’ici à 2017, de leur accorder un droit réel à la formation qualifiante gratuite – ce qui rejoint les dernières déclarations gouvernementales dont il faut espérer qu’elles ne visent pas simplement à faire baisser les statistiques du chômage... – ou de lutter contre ce qu’on appelle « les freins périphériques à l’emploi » en développant par exemple l’ouverture des crèches aux chômeurs le temps d’un entretien d’embauche, la possibilité de recourir à la garantie de loyers ou à un bilan de santé, etc. Il s’agissait donc surtout de mesures sociales, qui sont sans doute loin d’être inutiles, mais qui peuvent apparaître dérisoires au vu de la gravité de la situation.
Notre groupe ne cesse de répéter qu’une politique efficace de lutte contre le chômage de longue durée passe d’abord par des politiques macroéconomiques favorisant la croissance et l’emploi. Ce sont des réformes de fond qui manquent à notre pays. Leur absence maintient nombre de nos concitoyens dans la précarité, alors que certains de nos voisins connaissent un redressement de leur économie.
En France, 43, 2 % des inscrits à Pôle emploi dans les catégories A, B et C sont chômeurs de longue durée. Il faut donc intégrer l’expérimentation dont nous parlons aujourd’hui dans ce contexte. Toutefois, affirmer que celle-ci, qui repose sur une analyse d’éventuels besoins locaux dans le seul secteur de l’économie sociale et solidaire, vise à supprimer le chômage de longue durée est pour le moins « exagéré », comme l’indique avec plus de diplomatie que moi notre rapporteur dans un amendement.
Cette expérimentation présente l’intérêt de s’appuyer sur les territoires pour réinsérer des chômeurs de longue durée. Si quelques postes leur permettent de renouer avec une activité, ce dispositif aura rempli sa mission sociale. Si certains débouchent sur un emploi stable, ce qui nous semble bien aléatoire, ce sera encore mieux !
Tout cela ne nous semble pourtant pas très novateur et rappelle singulièrement les contrats aidés créés dans le secteur non marchand, plus particulièrement les contrats TUC, ou travaux d’utilité collective, mis en place par le ministre Laurent Fabius – c’était en 1984 ! – et qui n’ont malheureusement pas réglé le problème du chômage des jeunes. La nouveauté de cette expérimentation réside dans le mode de financement retenu, qui repose sur la redistribution des allocations auxquelles auraient eu droit les demandeurs d’emploi s’ils n’avaient pas participé au projet. Elle se ferait donc à « budgets constants ». J’en profite d’ailleurs pour saluer le travail de l’association ATD Quart Monde, qui a mis en lumière le fait que les dépenses publiques liées au chômage peuvent être mieux employées en offrant des services socialement utiles.
Au-delà de la mise en œuvre de ce principe, qui nécessite une stricte équivalence entre la baisse des dépenses et le financement du dispositif, il faudra que celui-ci réunisse de nombreuses conditions pour être efficace. Outre qu’il doit absolument reposer sur le volontariat des collectivités, qui ne sauraient se voir imposer des charges nouvelles, il devra bénéficier d’un appui financier constant de l’État. Le Conseil économique, social et environnemental a estimé dans son avis que l’expérimentation ne pourra être conduite sans un financement spécifique inscrit en loi de finances. Des amendements présentés par notre collègue Philippe Mouiller viseront à obtenir des assurances de votre part, madame la ministre.
Comme l’a relevé notre rapporteur, dont je tiens à souligner la qualité du travail et la rigueur des analyses, il faudra qu’une autorité indépendante effectue une évaluation de l’expérimentation le plus en amont possible et assure ensuite son suivi, afin, surtout, de garantir que celle-ci débouche sur une réinsertion durable.
Le dispositif devra pouvoir s’articuler avec l’activité des structures d’insertion par l’activité économique, dont la vocation naturelle vient recouper des objectifs identiques. Il devra également proposer un contenu en formation suffisamment important. Les évaluations de l’effet de ce type de mesures montrent en effet qu’elles ont un impact positif lorsqu’elles permettent d’acquérir une réelle expérience.
Ainsi précisé, le présent projet d’expérimentation aura le soutien de notre groupe, car, si nous regrettons l’absence de réforme d’ampleur, nous approuvons toute initiative rassemblant les énergies au niveau local et permettant aux chômeurs les plus en difficulté de renouer avec une vie « normale », une vie avec un emploi.