Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Réunion du 13 janvier 2016 à 21h00
Expérimentation territoriale pour la lutte contre le chômage de longue durée — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un constat difficile, rappelé par chacun d’entre nous : le chômage de longue durée est, aujourd’hui encore, à un niveau très élevé – Alain Milon vient de rappeler les chiffres. En croisant ceux de l’INSEE et de Pôle emploi, on constate que 2, 5 millions de personnes ne travaillent pas depuis plus de douze mois.

Au-delà des chiffres, qui sont édifiants, il faut bien avoir à l’esprit la situation de ces personnes. Éloignées depuis de longs mois d’un emploi, elles se sentent déclassées, inutiles voire exclues. Elles voient arriver la fin de leurs droits et s’isolent chaque jour un peu plus. Nous ne pouvons rester insensibles et surtout inactifs face à cette situation.

Depuis trente ans, des initiatives nombreuses ont été prises par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ainsi que par les parlementaires. Or nous sommes obligés de constater que ces différentes politiques se sont soldées par des échecs et que le nombre de chômeurs est toujours à un niveau très élevé et ne cesse de croître.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est donc intéressante à plusieurs égards pour réduire, à défaut de faire disparaître – ne rêvons pas, malheureusement ! –, le chômage de longue durée.

Cette proposition de loi est d’abord intéressante par son origine, puisqu’elle repose sur une initiative portée par l’association ATD Quart Monde, que nous sommes nombreux ici à connaître et dont nous saluons l’action de terrain en faveur des personnes démunies, en détresse sociale. Elle est par ailleurs soutenue par d’autres associations reconnues, tels Emmaüs ou le Secours catholique. Ce texte ambitionne d’associer les acteurs locaux de l’emploi – les associations, l’État, les collectivités locales et bien sûr les entreprises –, et c’est là son originalité. Cette association est essentielle au bon fonctionnement du dispositif, car l’ensemble des acteurs doivent se sentir concernés.

Cette proposition de loi est ensuite intéressante par son fonctionnement. La question de l’activation des dépenses sociales liées au chômage est en effet fondamentale, surtout s’agissant des chômeurs de longue durée. Le texte conduirait ainsi à réallouer les dépenses publiques dont ils bénéficient, comme l’allocation d’aide au retour à l’emploi, l’allocation de solidarité spécifique ou le revenu de solidarité active, aux entreprises qui les recruteraient. Une partie de la rémunération d’un CDI serait ainsi prise en charge, facilitant le recrutement des bénéficiaires.

Cette proposition de loi est également intéressante par son caractère expérimental. L’un des maux français étant de vouloir légiférer sur tout, et surtout trop vite, l’expérimentation a ceci de précieux qu’elle permet de tester un dispositif avant de le généraliser. Il y aura nécessairement des évolutions, des réajustements pour assurer éventuellement une généralisation pérenne du dispositif. Pour autant, cela ne doit pas nous empêcher de le consolider dès maintenant.

Pour que cette expérimentation soit significative, il nous semble nécessaire d’aller plus loin. En effet, la proposition de loi ne concerne que dix territoires – cela nous paraît un peu court comme échantillon – et ne vise que les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Dans le cas des chômeurs de longue durée, pour les raisons que j’évoquais à l’instant, on peut aisément comprendre ce choix. Ces entreprises connaissent particulièrement bien ce public et sauront lui assurer un retour adapté à l’emploi. Mais ne peut-on envisager d’élargir ce dispositif aux entreprises du secteur marchand ? Certaines pourraient être intéressées par ce projet, notamment celles pour lesquelles la qualification du chômeur compte moins que sa motivation.

J’ai longuement échangé avec le président du Mouvement des entrepreneurs sociaux, lui-même directeur d’un groupe qui emploie aujourd’hui 2 500 personnes dans quatorze sociétés sociales et solidaires. Il est tout à fait convaincu du bien-fondé de cette proposition de loi. Il se déclare même prêt à la mettre en œuvre dans son entreprise, mais il considère que le secteur de l’économie sociale et solidaire ne doit pas être la seule porte d’entrée dans l’emploi des chômeurs de longue durée.

Je souscris pleinement à sa position – je l’ai évoquée devant des chefs d’entreprise, qui se déclarent intéressés –, et je la compléterai même en y ajoutant ma crainte que cette ouverture à la seule économie sociale et solidaire ne conduise à une distorsion de concurrence – cela peut paraître paradoxal – avec le secteur marchand, même si les députés ont complété l’article 1er dans le but de l’éviter.

Par ailleurs, je crois que la durée de cinq ans prévue pour cette expérimentation est trop longue. Le bilan qui serait effectué dix-huit mois avant son terme donne un peu le sentiment d’une dilution du projet dans le temps, qui pourrait trahir un manque de motivation. Nous pensons que trois années peuvent suffire à déterminer si le dispositif est viable socialement et économiquement, avec la publication d’un bilan douze mois avant l’échéance.

Madame la ministre, je crois que cette expérimentation est une initiative qu’il faut accompagner. Elle a le mérite d’être le fruit de réflexions de terrain visant à chercher des solutions adaptées à une difficulté bien particulière et socialement désastreuse que nous tous ici connaissons bien. J’espère que vous saurez entendre nos suggestions tirées de notre expérience.

Pour être tout à fait franc et clair, je précise que certains membres du groupe UDI-UC ont émis des réserves vis-à-vis de ce texte et ne le voteront pas. De manière plus générale, ils regrettent le manque d’ambition des réformes visant à lutter contre le chômage.

Alors qu’est régulièrement affichée par le Gouvernement la volonté de simplifier les règles applicables au monde du travail, les politiques proposées ne nous semblent pas toujours être à la hauteur de l’enjeu. La question du chômage ne trouvera en effet de réponse pérenne que par la croissance de l’activité économique et la conquête de nouveaux marchés. Cela passe par la réforme du marché du travail, par l’investissement productif. Dans ce domaine, le rendez-vous du printemps, que nous attendons tous, sera certainement déterminant.

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