Intervention de Eric Jeansannetas

Réunion du 13 janvier 2016 à 21h00
Expérimentation territoriale pour la lutte contre le chômage de longue durée — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Eric JeansannetasEric Jeansannetas :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par féliciter Mme la rapporteur, au nom du groupe socialiste, pour la qualité de son travail, son implication et sa rigueur.

Tout le monde convient que l’augmentation du chômage, a fortiori du chômage de longue durée, est l’un des défis les plus cruciaux auxquels nous devions faire face. Depuis 2007, le nombre de personnes sans emploi ou en activité réduite depuis plus d’un an n’a cessé de croître. Aujourd’hui, près de 45 % des personnes privées d’emploi entrent dans la catégorie des chômeurs de longue durée. Or, comme l’on sait, plus l’éloignement du marché du travail dure, plus les chances de trouver un emploi en cas de reprise de l’activité économique se réduisent. En s’attaquant frontalement à ce problème, l’expérimentation qui nous est proposée, et que nous soutenons, vise un objectif essentiel.

Au-delà de cet objectif, je tiens à saluer la démarche adoptée, qui est en tout point innovante.

Tout d’abord, cette proposition de loi émane d’un travail de terrain, en premier lieu celui d’ATD Quart Monde, une organisation dont nous ne pouvons tous que louer le travail : depuis plus de soixante ans, elle lutte avec acharnement contre la pauvreté et toute forme d’exclusion.

Grâce à la rencontre des acteurs économiques, associatifs et politiques locaux et à une évaluation des situations au plus près, cinq territoires ont d’ores et déjà démarré l’expérience. Cinq territoires supplémentaires intégreront le dispositif lorsque, comme je l’espère, cette loi aura été promulguée. Mme la ministre a d’ailleurs annoncé à l’Assemblée nationale que les zones de revitalisation rurale et les quartiers prioritaires de la politique de la ville seraient les premiers concernés, ce dont je ne puis que me réjouir.

La loi ne pouvant préjuger de tout, je suis heureux de légiférer sur la base d’un travail de terrain. En effet, qui mieux que les acteurs locaux peut élaborer un diagnostic juste et adapté à des situations particulières ? En vérité, je pense que la mobilisation des acteurs d’un territoire est essentielle pour mener des politiques d’emploi localisées.

Je tiens, par ailleurs, à insister sur le caractère expérimental de la méthode adoptée : ce dispositif nouveau pourra et devra faire l’objet de divers ajustements ; il jouera un rôle de laboratoire social, duquel émaneront des bribes de solutions pour lutter contre le chômage de longue durée.

L’originalité de cette expérimentation tient également à ceci que l’on s’extrait de la logique de rentabilité à tout prix qui prévaut dans l’économie actuelle. L’idée de créer de l’emploi en fonction du besoin social est éminemment intéressante. De fait, là où il n’y a pas d’offres d’emploi, il y a pourtant toujours du travail : ici c’est un boulanger qui n’a personne pour livrer les personnes âgées, mais qui ne peut pas se permettre d’embaucher, là un parc naturel qui a besoin d’être préservé et entretenu.

Au stade de l’expérimentation, le choix a été fait de réserver aux seules entreprises de l’économie sociale et solidaire la possibilité d’être conventionnées. Ces entreprises embaucheront des chômeurs de longue durée, sur des emplois extrêmement variés. Les membres d’ATD Quart Monde ont constaté que les besoins les plus récurrents jusqu’ici se situent dans les services administratifs et culturels, les espaces verts et le développement durable, le tourisme, les services aux collectivités, aux personnes et aux entreprises, l’agriculture et l’élevage, la forêt, l’entretien de bâtiments, les travaux de peinture et ce qu’on appelle le gros nettoyage : autant de missions qui, aujourd’hui, ne peuvent pas être assumées, alors même qu’elles sont d’utilité publique et propres à susciter des externalités positives, en particulier de moindres dépenses de santé et un affaissement des besoins sociaux.

Le mode de financement du dispositif est en lui-même novateur : l’État et les collectivités territoriales concernées, volontaires, financeront son amorçage, après quoi le fonds sera abondé par l’ensemble des organismes publics et des collectivités territoriales qui tireront un bénéfice du retour à l’emploi des chômeurs de longue durée. Ces bénéfices, comme il a déjà été expliqué, viendront principalement du redéploiement des différentes aides sociales que percevaient les anciens demandeurs d’emploi.

Je tiens à préciser que ce dispositif n’a en aucun cas vocation à se substituer à un dispositif existant en matière de politique de l’emploi ; Mme la ministre a eu raison d’être très claire à cet égard. Les emplois créés le seront selon le régime de droit commun, en CDI, et seront rémunérés au minimum au SMIC. Ce ne seront pas de nouveaux emplois aidés, comme on le prétend ici ou là. L’expérimentation, en effet, vise à faire émerger des emplois nouveaux en les solvabilisant, au moins partiellement. Par ailleurs, l’embauche en CDI répond au besoin de stabilité qui caractérise un parcours sécurisé d’insertion.

Il faut considérer également que l’impératif de non-concurrence à un emploi existant est inscrit dans l’ADN de cette expérimentation. Les emplois créés ne le seront donc jamais au détriment d’emplois préexistants. Il n’est pas question de provoquer des effets d’aubaine ou de perturber des dispositifs d’insertion déjà en place.

Le pilotage de cette expérimentation – chose intéressante – s’articulera autour de deux niveaux : le national et le local.

Au niveau national, c’est à une association relevant de la loi de 1901, administrée par des représentants syndicaux, associatifs et parlementaires, que la gestion du fonds sera confiée. Son rôle sera de superviser le pilotage des comités locaux et d’approuver leurs modalités de fonctionnement, ainsi que leur programme d’action.

Au niveau local, des comités rassembleront tous les acteurs publics et privés : élus, entreprises, associations et citoyens. Leur mission sera d’abord de rencontrer les demandeurs d’emploi afin d’inventorier leurs compétences ; ensuite, d’identifier les potentiels économiques du territoire ; enfin, de piloter le déploiement de l’expérimentation.

Il va sans dire que cette expérimentation sera soumise à une évaluation rigoureuse ; telle est bien la volonté de Mme la rapporteur. L’article 1er de la proposition de loi prévoit ainsi qu’un premier bilan sera dressé au plus tard dix-huit mois avant le terme de l’expérimentation ; le fonds national adressera au Parlement et à la ministre du travail un rapport public évaluant les différentes incidences du dispositif.

Si cette expérimentation ne constitue pas une solution miracle, elle prouve que nous pouvons toujours faire plus dans la lutte contre le chômage. En renversant le paradigme d’adaptation de l’offre à la demande, elle met au jour un angle d’attaque nouveau dans le combat pour l’emploi. Sans doute, reconnaissons-le, la portée du dispositif sera d’abord modeste ; mais l’objectif est de procéder, en fonction des résultats et des aménagements qui seront opérés, à son extension, voire à sa généralisation.

Mes chers collègues, nous soutenons cette expérimentation originale et peu coûteuse et nous vous invitons tous à faire de même. Dans la lutte contre le chômage, la création d’un outil nouveau ne peut être que salutaire et, comme Mme la ministre l’a souligné, il ne faut écarter aucune piste.

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