Si le programme de cette réunion de commission est réduit, le sujet qui va être traité est d'importance ! En mars prochain, la ministre du travail, Myriam El Khomri, présentera un projet de loi en Conseil des ministres qui devrait constituer la première étape de la réécriture intégrale du code du travail. Toutefois, toute évolution concernant la durée légale du travail semble avoir été écartée dans ce cadre.
Un tel choix est d'autant plus regrettable qu'il conduit à laisser de côté une dimension importante, sinon essentielle, du droit du travail. D'ailleurs, le rapport remis en septembre 2015 par Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d'État et ancien directeur général du travail, proposait une « extension de la négociation collective dans les champs prioritaires que sont les conditions de travail, le temps de travail, l'emploi et les salaires ».
Pourtant, eu égard au niveau élevé du chômage et à la situation économique actuelle de notre pays, je pense qu'aucune solution ne doit être exclue a priori sans avoir fait l'objet d'un examen approfondi. Aussi, la question du temps de travail doit être abordée sans tabou. Nous avions d'ailleurs engagé une réflexion sur cette question à l'automne dernier, lorsque nous avions examiné des amendements au projet de loi de finances tendant à modifier le temps de travail dans la fonction publique, faisant suite à l'enquête commandée par la commission des finances à la Cour des comptes sur la masse salariale de l'État.
L'objectif premier de l'exercice qui est proposé ce matin est de dépasser les débats habituels relatifs aux 35 heures, qui se focalisent généralement sur le bilan à court terme de cette mesure en ce qui concerne les créations d'emplois qu'elle a entraînées, son impact sur la croissance, ou encore son coût pour les finances publiques. Or, de par leur caractère restrictif, ces débats font obstacle à tout examen objectif de la problématique de la durée du travail.
Force est de constater, tout d'abord, que les lois « Aubry » se sont accompagnées de créations d'emplois relativement nombreuses. En effet, selon une publication datée de 2004 de chercheurs de la Dares, la réduction du temps de travail (RTT) dans ses différentes composantes, c'est-à-dire intégrant les évolutions salariales et l'impact des allègements de cotisations, a été à l'origine de la création ou de la préservation de près de 350 000 emplois, ce qui correspond à 18 % des créations d'emplois intervenues au cours de la période 1998-2002. Rappelons-nous qu'à l'époque, l'économie française créait plus d'emplois... Cette estimation est proche de celle proposée en 2014 par Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE, à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'impact de la réduction du temps de travail, qui a évalué les créations d'emplois imputables aux lois « Aubry » à 320 000.
Néanmoins, ces estimations laissent entière la question des facteurs ayant permis ces créations d'emplois. En effet, les lois « Aubry » ne se sont pas limitées à diminuer la durée légale du travail. Afin de compenser l'accroissement du coût horaire du travail qui pouvait découler de la réduction du temps de travail, celle-ci a été accompagnée de baisses de cotisations sociales, d'une modération de l'évolution des salaires, ainsi que de la mise en place de dispositifs permettant de renforcer la flexibilité de l'organisation du travail.
À ce titre, trois facilités de gestion du temps de travail ont été développées : la modulation de la durée du travail, qui consiste à examiner le respect de la durée maximale de travail hebdomadaire non pas chaque semaine, mais en moyenne sur un mois, un semestre ou une année ; le compte épargne-temps (CET), sur lequel sont crédités les jours de repos accordés en contrepartie de semaines de travail supérieures à 35 heures ; le forfait pour les cadres, qui autorise la conclusion, pour ces derniers, de contrats de travail fixant une rémunération à la journée, à la semaine ou au mois et non plus à l'heure.
Les négociations collectives intervenues lors de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail ont été à l'origine d'un recours accru à ces facilités de gestion du temps de travail dont certaines, comme la modulation, avaient été introduites dès 1982. Cette évolution a permis une adaptabilité renforcée des entreprises aux fluctuations de l'activité ou encore une meilleure utilisation des équipements.
Les allègements de cotisations sociales, ajoutés aux gains de productivité et à la modération des salaires, ont donc permis une progression modérée des coûts salariaux unitaires en France. Ainsi, ces derniers ont progressé en moyenne de 1,1 % par an entre 1997 et 2004, soit un niveau inférieur à la moyenne observée au cours de la période 1990-1996, de 1,4 %.
En définitive, il est possible de se référer au rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) rédigé en 2007 par Patrick Artus, Pierre Cahuc et André Zylberberg. Celui-ci juge que les créations d'emplois survenues à la suite de l'entrée en vigueur des lois « Aubry » sont à attribuer à la réduction des cotisations sociales sur les bas salaires et aux gains de productivité induits par la flexibilité accrue du travail. Il y est même indiqué qu'« en tant que telle, la baisse de la durée légale de 39 à 35 heures a eu, au mieux, un impact très marginal ».
Par ailleurs, les lois « Aubry », grâce aux allègements de charges et à la flexibilité accrue du travail, ont eu une incidence positive sur l'activité économique. La progression du PIB a en effet nettement accéléré, passant d'une moyenne annuelle de 1,5 % entre 1990 et 1996 à 2,7 % au cours de la période 1997-2002. Un examen approfondi des déterminants de la croissance du PIB en France fait apparaître que celle-ci a été essentiellement portée par la consommation, en particulier des ménages, au cours de la période 1998-2002.
Si au niveau individuel, la progression des salaires a ralenti lors de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail, les créations d'emplois ont conduit à faire progresser le pouvoir d'achat des ménages pris dans leur ensemble, ce qui s'est traduit par une hausse significative de la consommation, de l'investissement en logements et de l'investissement des entreprises. En outre, il apparaît que le commerce extérieur a joué un rôle relativement marginal dans les variations du PIB au cours de la période 1997-2002.
Comme je l'ai déjà indiqué, la réduction du temps de travail, dans ses différentes composantes, a été à l'origine d'un ralentissement de la hausse des coûts salariaux unitaires par rapport aux premières années de la décennie 1990. Il ne semble donc pas, à court terme, que les 35 heures aient contribué à dégrader la compétitivité des entreprises françaises - à l'exception des plus petites d'entre elles -, du fait des gains de productivité et des allègements de cotisations qui y étaient associés.
Dans ces conditions, comment expliquer le recul considérable des parts de marché de la France observé depuis le début des années 2000 ? En effet, les parts de marché à l'exportation de la France par rapport aux autres pays de l'OCDE ont cédé près de 21 points entre 2001 et 2014, alors que celles de l'Allemagne ont progressé de 12 points au cours de la même période. Selon Éric Heyer, directeur du département analyse et prévisions de l'OFCE, la chute des parts de marché françaises connaîtrait deux raisons principales : l'appréciation du taux de change effectif nominal de la France et l'engagement d'une politique de réduction drastique des coûts de production par l'Allemagne.
En outre, la réduction du temps de travail ne semble pas avoir eu pour effet de dégrader durablement le taux de marge des entreprises. En 2002, soit l'année au cours de laquelle le passage aux 35 heures est devenu obligatoire pour l'ensemble des entreprises, le taux de marge a reculé à 32,2 %, soit de 0,6 point par rapport à l'année précédente. Si les 35 heures ont bien été à l'origine d'une hausse relative du coût salarial l'année de leur généralisation, ses effets sur le taux de marge n'ont été que transitoires. En effet, celui-ci a retrouvé son niveau de 1997 dès 2004, puis son niveau de 2001 en 2007.
Pour résumer, les effets négatifs pouvant résulter de la réduction du temps de travail ont été soit évités, soit « assimilés » par le système économique, notamment grâce aux baisses de cotisations et aux gains de productivité liés à une flexibilité accrue du travail. Ainsi, le passage aux 35 heures aurait permis de créer des emplois sans dégrader la compétitivité ni même la situation financière des entreprises à court terme.
Le principal problème inhérent à la réduction du temps de travail réside, en réalité, dans le fait que celle-ci a été un rendez-vous manqué avec le renforcement de la compétitivité, en particulier si l'on compare la France à l'Allemagne. Les allègements de charges et la flexibilité accrue du travail, qui auraient permis d'affermir la compétitivité des entreprises - et non pas seulement de la maintenir -, mais aussi de créer des emplois, ont été utilisés afin de compenser le coût du passage aux 35 heures.
Par ailleurs, le recul du nombre d'heures travaillées par tête, en lien avec la réduction de la durée légale du travail, a fortement pesé sur le PIB potentiel français, en grevant la quantité des facteurs de production disponibles. Ce phénomène a été renforcé par la faible progression de la productivité.
Une note de la direction générale du Trésor publiée en juin 2014 a mis en évidence le fait que la réduction de la moyenne des heures travaillées avait largement contribué à la moindre progression du PIB par habitant en France au cours des dernières années par rapport aux autres pays de l'OCDE. Certes, un pays comme l'Allemagne a également vu la durée annuelle moyenne de travail reculer à un niveau proche de la France ; pour autant, la note de la direction générale du Trésor met en évidence que le taux d'activité, la faiblesse du taux de chômage, mais aussi le dynamisme de la productivité horaire observés en Allemagne lui ont permis d'afficher un taux de croissance du PIB par tête supérieur de 0,4 point par rapport à la France depuis 1990. Eu égard à ses fondamentaux économiques, la France n'avait donc pas les « moyens » de se permettre une réduction du temps de travail au début des années 2000.
Le temps de travail paraît pouvoir constituer un levier de redressement du potentiel de croissance et de la compétitivité des entreprises, d'autant que la durée moyenne de travail est plus faible en France que dans les autres pays européens et que le coût horaire du travail y est plus élevé.
Une étude réalisée par l'institut Coe-Rexecode fait apparaître que la durée effective de travail des salariés à temps complet était de 1 661 heures en France en 2013, soit 186 heures de moins qu'en Allemagne, 120 heures de moins qu'en Italie et 239 heures de moins qu'au Royaume Uni. Pour l'ensemble des salariés - à temps complet et partiel -, la durée effective annuelle moyenne du travail était de 1 536 heures pour la France en 2013, 1 580 heures pour l'Allemagne, 1 636 heures pour l'Italie et 1 657 heures pour le Royaume-Uni.
Dans l'ensemble de l'économie française, les coûts horaires de la main d'oeuvre s'élevaient, en 2012, à 34,6 euros, contre 31,6 euros en Allemagne, 28 euros en Italie et 31 euros dans l'Union européenne à 15 membres (ex-UE 15). Pour le seul secteur manufacturier, le coût horaire du travail était alors équivalent en France et en Allemagne (36,1 euros), tout en restant supérieur à la moyenne de l'ex-UE 15 (31,5 euros).
Par ailleurs, une récente étude de l'Insee a fait apparaître une décélération du coût de la main-d'oeuvre en France entre 2012 et 2014. Celui-ci a progressé de 1,1 % en moyenne annuelle au cours de cette période, contre 2,1 % dans la zone euro.
Cette évolution serait essentiellement imputable au déploiement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). La modération du coût salarial unitaire n'est donc pas assurée à moyen terme et ne devrait se poursuivre dans les mois à venir qu'au bénéfice de la mise en oeuvre du Pacte de responsabilité. En l'absence de tels allègements de charges, le faible dynamisme de la productivité du travail ajouté à la hausse des salaires devrait conduire à un rebond du coût salarial unitaire et, par conséquent, à une dégradation de la compétitivité. Si la réduction des charges pesant sur le travail doit être continuée, elle ne saurait être sans fin. Aussi, il est nécessaire d'identifier de nouveaux leviers permettant de préserver la compétitivité des entreprises françaises.
À cet égard, une évolution des règles applicables au temps de travail pourrait constituer un levier important de renforcement de la compétitivité des entreprises. Quatre scénarii ont donc été envisagés afin d'appréhender les effets macroéconomiques susceptibles de découler d'une telle évolution.
Un premier scénario envisage une augmentation de la durée légale de travail de deux heures par semaine sans compensation salariale - c'est-à-dire de 35 à 37 heures. Il est supposé qu'elle serait à l'origine d'une progression de la durée moyenne de travail moitié moindre afin de tenir compte des rigidités qui peuvent affecter l'évolution de la durée du travail.
Une telle augmentation serait équivalente, toutes choses égales par ailleurs, à une baisse du coût du travail de l'ordre de 3 % - en tenant compte des montants « économisés » sur les heures supplémentaires, soit environ 1,6 milliard d'euros. Dans ce scénario, les salariés à temps complet effectuant des heures supplémentaires connaîtraient en moyenne une perte de revenus de 630 euros nets des prélèvements sociaux par an.
Au total, une augmentation de la durée légale de travail de deux heures par semaine non compensée permettrait d'accroître la part de la valeur ajoutée revenant aux entreprises d'un montant de près de 22 milliards d'euros, ce qui correspond à une hausse de leur taux de marge de 2 points. À cet égard, il convient de rappeler que le taux de marge s'élevait à 31,2 % au troisième trimestre 2015, soit un niveau très inférieur à sa moyenne entre le début des années 2000 et celui de la crise économique, de 32,6 %.
Compte tenu de son ampleur, une telle mesure constituerait un « choc de compétitivité » équivalent à celui attendu du CICE, sans néanmoins entraîner une dégradation de la situation des finances publiques.
Un deuxième scénario considère les effets d'une suppression de la majoration des heures supplémentaires et complémentaires. Celle-ci aurait également d'importantes incidences sur le coût du travail, bien que moindres comparativement au scénario précédent. À titre de rappel, en l'état actuel du droit, les heures travaillées au-delà de la durée légale de 35 heures ouvrent droit à une rémunération majorée.
Dans l'hypothèse d'une suppression pure et simple de ce principe de majoration, le coût du travail serait globalement minoré de 0,4 %, toutes choses égales par ailleurs. Une telle suppression aboutirait à une perte de revenus d'un peu plus de 270 euros nets des prélèvements sociaux par an en moyenne pour les salariés à temps complet réalisant des heures supplémentaires. Au total, la valeur ajoutée transférée aux entreprises serait d'environ 3 milliards d'euros, correspondant à une hausse de leur taux de marge d'un peu moins de 0,3 point.
Un troisième scénario examine les incidences d'un report du seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Si celui-ci était d'une heure par exemple, ce qui aurait pour effet de déclencher la majoration de salaire à partir de 36 heures travaillées et non plus de 35, il serait à l'origine d'une baisse du coût du travail de 0,2 %. Le transfert de valeur ajoutée au profit des entreprises serait, quant à lui, de 1,6 milliard d'euros - l'impact sur leur taux de marge étant alors légèrement inférieur à 0,2 point. Cette mesure conduirait à une perte de revenus de près de 130 euros nets des prélèvements sociaux par an en moyenne pour les salariés à temps complet réalisant des heures supplémentaires.
Enfin, un quatrième et dernier scénario envisage une diminution de la majoration pour heures supplémentaires - ce que le Gouvernement semble vouloir permettre par voie d'accords d'entreprise, selon les premiers éléments publiés concernant son projet de réforme du droit du travail.
À cet égard, il apparaît qu'une réduction du taux moyen de majoration de 1 point serait associée à une baisse du coût du travail de 0,02 %. Ceci correspondrait à un transfert de valeur ajoutée pour les entreprises de 120 millions d'euros, pour un impact sur le taux de marge de 0,01 point. La perte de revenus dans ce cas serait d'une dizaine d'euros nets des prélèvements sociaux par an en moyenne pour les salariés à temps complet réalisant des heures supplémentaires.
La mesure considérée par le Gouvernement concernant une possible évolution du taux de majoration des heures supplémentaires devrait donc avoir un effet marginal sur le coût du travail, sauf à ce que celle-ci soit massive. Toutefois, ceci reste hypothétique dès lors que la possibilité laissée par le droit en vigueur de modifier ce taux par voie conventionnelle n'a été utilisée que de manière limitée jusqu'à présent.
Plus généralement, les pistes de réformes concernant la durée du travail présentées par le Gouvernement avec les orientations devant conduire à l'élaboration d'un « code du travail pour le XXIe siècle » ne semblent pas être à la hauteur des enjeux.
Pour conclure, il convient de souligner les incidences positives sur la croissance potentielle d'une évolution de la durée du travail. Tout d'abord, une augmentation du nombre d'heures travaillées par tête, en accroissant la quantité de travail disponible dans une économie, viendrait renforcer le potentiel de croissance de cette dernière.
Ensuite, une réduction du coût du travail par le biais d'une modification des règles relatives au temps de travail pourrait renforcer le taux de marge des entreprises, qui exerce une influence sur les investissements qu'elles réalisent. Cela concerne particulièrement les dépenses en recherche et développement (R&D) qui influent sur le progrès technique et le niveau de croissance à long terme. En effet, de telles dépenses reposent essentiellement sur l'autofinancement en raison du risque qui y est associé.
J'en arrive maintenant au lien existant entre le temps de travail et la dépense publique. Aussi, je vais tout d'abord examiner les coûts de la réduction du temps de travail pour les finances publiques.
En 2014, les allègements généraux de cotisations sociales ont représenté un « coût » de 20,9 milliards d'euros. Selon les données transmises par la direction du budget à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'impact de la réduction du temps de travail, la part des allègements généraux institués à la suite de la réduction du temps de travail serait comprise entre 11 et 13 milliards d'euros à ce jour.
Cette estimation est proche de celle retenue dans le cadre d'une étude de la Dares, soit 12,9 milliards d'euros en 2009, ou encore par le Conseil d'analyse économique pour l'année 2007, soit 12 milliards d'euros.
Cependant, le coût de ces allègements pour les finances publiques aurait été, en grande partie, compensé par les hausses de recettes et les moindres dépenses induites. Les créations d'emplois qui ont accompagné la mise en oeuvre des lois « Aubry » ont permis une augmentation des cotisations sociales collectées, du produit des taxes perçues sur la consommation et l'épargne issues du gonflement de la masse salariale lié aux emplois créés, mais aussi des recettes des impôts sur les bénéfices des entreprises. En outre, les créations d'emplois ont réduit le montant des prestations d'assurance chômage servies.
Ainsi, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative à la réduction du temps de travail, l'OFCE a évalué le coût « net » des lois « Aubry » pour les finances publiques à 2,5 milliards d'euros. Un tel coût n'est pas négligeable. Pour autant, il convient de garder à l'esprit qu'une suppression des allègements de charges institués avec la réduction du temps de travail aurait pour effet de détruire de nombreux emplois, comme l'ont montré les travaux de la Dares.
L'essentiel du coût de la réduction du temps de travail pour les finances publiques a résulté de sa mise en oeuvre dans la fonction publique. Une étude menée par la direction du budget en 2004, à la demande de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail, a estimé le nombre total des créations d'emplois dans les fonctions publiques d'État et hospitalière à 53 143 entre 2002 et 2005.
Le coût induit par les créations d'emplois liées au passage aux 35 heures pour les fonctions publiques d'État et hospitalière serait proche de 2,1 milliards d'euros en 2015, pour un coût cumulé d'environ 21 milliards d'euros au cours de la période 2005-2014. S'agissant de la fonction publique territoriale, la direction générale des collectivités locales (DGCL) avait estimé le coût de la réduction du temps de travail à 590 millions d'euros pour la seule année 2002.
Le principal « surcoût » associé à la réduction du temps de travail dans la fonction publique, si l'on met à part celui qui a découlé des créations d'emplois, semble résider dans les comptes épargne-temps (CET). Ces derniers ont été institués dans les trois fonctions publiques entre 2002 et 2004. Une publication de l'Institut Montaigne d'octobre 2014 a même identifié une « bombe à retardement des comptes épargne temps (CET) dans le secteur public ». Ceci me conduit à mentionner la situation particulièrement préoccupante des comptes épargne-temps dans la police nationale, qui a déjà été évoquée dans le cadre des travaux de notre commission.
Les jours de congés accumulés dans les CET en 2011, représentaient environ 1,5 milliard d'euros. Cette « dette » devrait être monétisée par les agents publics, lorsque les jours seront rachetés ou versés au titre de la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) provoquant ainsi une dépense pour les administrations. À cet égard, l'Institut Montaigne a évalué le coût pour les finances publiques des dépenses liées aux comptes épargne-temps à un peu moins de 200 millions d'euros par an.
Les coûts liés au passage aux 35 heures dans la fonction publique mettent en évidence l'importance de la question du temps de travail dans le pilotage budgétaire. Selon les données publiées par l'Insee, la masse salariale des administrations représentait 278,2 milliards d'euros en 2014, soit plus de 20 % de la dépense publique. Pour le seul État, celle-ci représente près de 40 % du budget général si l'on tient compte des dépenses de pension. Par ailleurs, si la progression des dépenses de personnel a marqué un ralentissement au cours des dernières années, celle-ci a tout de même été de 2,8 % - soit de près de 6 milliards d'euros - par an en moyenne au cours de la période 2000-2014.
Aussi la masse salariale des administrations constitue-t-elle un enjeu majeur à l'heure où le redressement des comptes publics doit reposer sur une maîtrise stricte de la dépense. À ce titre, une évolution du temps de travail dans la fonction publique paraît constituer un levier non négligeable d'économies, d'autant que la durée moyenne de travail dans le secteur public est plus faible en France, relativement aux pays comparables, mais aussi au secteur privé.
En effet, la Cour des comptes a estimé, sur la base de données de l'Insee, que le temps de travail annuel moyen, à temps complet, serait de 1 594 heures dans le secteur public, contre 1 684 heures dans le secteur privé. L'étude de Coe-Rexecode de juin 2014 estime la durée effective moyenne de travail des salariés à temps complet à 1 589 heures dans les services non marchands - qui comprennent les administrations publiques -, soit 72 heures de moins que la moyenne dans l'ensemble des secteurs économiques.
La fonction publique française affiche également l'une des durées annuelles de travail les plus faibles parmi les pays de l'OCDE. Avec une durée moyenne de travail de 1 620 heures par an dans la fonction publique, la France se plaçait, en 2011, parmi les quatre pays de l'OCDE dont la moyenne annuelle d'heures travaillées dans le secteur public était la plus basse.
Dans ces conditions, il semble opportun d'envisager une hausse du temps de travail dans la fonction publique, dès lors qu'il s'agit d'un levier non négligeable de maîtrise de la masse salariale.
Pour estimer les économies à attendre d'un relèvement du temps de travail dans la fonction publique, il est possible de se référer aux travaux de la Cour des comptes, et notamment à l'enquête réalisée l'année passée à la demande de la commission des finances sur la masse salariale de l'État. Celle-ci a, en effet, estimé qu'« une augmentation du temps de travail effectif de 1 % (soit l'équivalent de la suppression de 3 jours de congés) permettrait de dégager une économie de 700 millions d'euros en réduisant les recrutements nécessaires ». Elle a par ailleurs précisé, dans une enquête réalisée à la demande de notre commission, qu'une telle augmentation du temps de travail permettait une économie en emplois pouvant être estimée à 27 000 dans l'ensemble des fonctions publiques.
Sur la base de ces résultats, deux scénarii principaux ont été envisagés concernant l'évolution du temps de travail dans la fonction publique.
Le premier scénario envisage l'hypothèse où la durée effective du travail à temps complet dans le secteur public - soit aujourd'hui 1 594 heures par an, selon la Cour des comptes - serait alignée avec la durée légale, qui est de 1 607 heures. Le temps de travail progresserait alors de 0,8 %. Cela correspondrait à une économie de 570 millions d'euros pour l'ensemble des fonctions publiques, en raison d'une diminution des recrutements à hauteur de 22 000 emplois environ.
Le second scénario, quant à lui, examine une hausse « homothétique » de la durée de travail des fonctionnaires. Cela signifie qu'un relèvement de la durée légale de travail, soit 35 heures, s'accompagnerait d'une hausse proportionnelle du temps de travail des agents ayant un statut dérogatoire - qui garderaient donc un temps de travail spécifique.
Si la hausse de la durée légale du travail était d'une heure, pour atteindre 36 heures par semaine, la durée effective du travail augmenterait en moyenne de 3 % environ. Cela autoriserait une économie de 2 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations, du fait d'une baisse des effectifs de 77 000 emplois environ.
Si l'augmentation de la durée légale de travail était portée à 37,5 heures par semaine, ce qui correspond à la durée habituelle hebdomadaire de travail déclarée par l'ensemble des actifs selon les données publiées par l'Insee, la durée effective du travail augmenterait de près de 7 %. L'économie associée s'élèverait à 5 milliards d'euros pour les trois fonctions publiques, du fait d'une baisse des effectifs de plus de 190 000 emplois.
J'en ai maintenant terminé avec ces quelques éléments d'analyse qui permettront, je l'espère, de nourrir les débats qui auront lieu lors de l'examen des projets de loi tendant à réformer le droit du travail au cours des prochains mois. Je tiens à préciser qu'il ne s'agissait nullement d'apporter des solutions « toutes faites », mais de fournir des éléments objectifs et chiffrés afin d'enrichir les réflexions ayant trait au temps de travail.