Nous voici réunis pour la troisième fois en sept mois pour débattre de la transmission des informations entre l'autorité judiciaire et l'administration en cas de condamnation ou de procédure pénale en cours concernant une personne employée par l'administration ou dans une structure placée sous son contrôle. Ces discussions s'inscrivent dans le prolongement d'affaires qui ont malheureusement défrayé la chronique, celles dites de Villefontaine et d'Orgères. Au mois de juillet dernier, lors de l'examen de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne (DADUE), l'Assemblée nationale, notamment sur proposition du Gouvernement, avait cru bon d'ajouter un certain nombre d'amendements sans relation avec le texte d'origine, notamment sur le sujet que nous examinons. Ces dispositions avaient été censurées par le Conseil constitutionnel pour absence de lien avec ce texte. Au cours du mois d'octobre dernier, nous avons été saisis de la proposition de loi déposée par notre collègue Catherine Troendlé, que nous avons examinée et adoptée en séance publique le 20 octobre. Malheureusement, le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont refusé que la navette parlementaire se poursuive sur ce texte, ce que je déplore, car il apportait une réponse directe aux dysfonctionnements mis à jour dans les affaires judiciaires du printemps 2015, et aurait permis de gagner du temps parlementaire. Le Gouvernement a donc décidé de déposer un texte spécifique, discuté et voté en séance publique par les députés le 8 décembre 2015.
Ce projet de loi reprend l'économie générale des articles adoptés en lecture définitive par l'Assemblée nationale dans la loi DADUE et déclarés contraires à la Constitution par le Conseil dans sa décision du 13 août 2015. L'article 1er crée un régime général de communication d'informations à l'administration concernant une personne qu'elle emploie, dont la mise en oeuvre est laissée à la libre appréciation du ministère public : au procureur de décider s'il transmet l'information à l'autorité administrative. Les décisions susceptibles d'être transmises pourraient concerner une condamnation, même non définitive, ainsi que la saisine d'une juridiction de jugement ou une mise en examen. Ce régime trouverait à s'appliquer à un large champ d'infractions, puisque seraient concernés tous les crimes ou délits punis d'une peine d'emprisonnement, et pas seulement ceux commis à l'encontre des mineurs. Ce régime général de communication d'informations pénales serait étendu aux personnes publiques, aux personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public ainsi qu'aux ordres professionnels.
L'article 1er renforce les mesures prises dans le cadre d'un contrôle judiciaire, en prévoyant l'interdiction d'exercer une activité au contact habituel des mineurs lorsque la personne est susceptible de commettre une nouvelle infraction, et cela même si la première infraction n'a pas été commise dans l'exercice de ses fonctions.
Enfin, l'article 1er crée un régime d'information renforcé pour les infractions les plus graves, notamment contre mineur, commises par des personnes exerçant une activité au contact habituel des mineurs, sous le contrôle direct ou indirect de l'administration en vertu duquel le ministère public serait tenu d'adresser à l'administration les décisions de condamnation et de placement sous contrôle judiciaire assorti de l'interdiction d'exercice d'une activité au contact habituel de mineurs. Pour ces mêmes infractions, le ministère public aurait également, au-delà du régime facultatif de droit commun, la possibilité d'informer l'administration de la garde à vue ou de l'audition libre lorsqu'à son issue il existerait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable le fait que la personne a commis ou tenté de commettre l'infraction.
Les articles 2, 3 et 4 reprennent des dispositions de la loi DADUE, elles aussi censurées pour absence de lien avec le texte, mais que nous avions jugées bienvenues à l'époque et que nous avions reprises dans la proposition de loi déposée par Mme Troendlé.
À l'occasion de son examen par les députés, le projet de loi n'a fait l'objet que de quelques modifications rédactionnelles. Le texte n'a suscité que peu de débats et a été adopté à une large majorité, ce dont je m'étonne car le sujet est loin d'être anecdotique. Personne ne conteste la nécessité d'assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs contre les auteurs d'agressions sexuelles, en particulier dans le milieu scolaire. Nous sommes dans le même temps tenus au respect absolu de notre ordre constitutionnel, en particulier du principe de la présomption d'innocence, qui suppose le respect du secret de l'instruction et de l'enquête. Entre ces deux exigences contradictoires, la voie est étroite.
Les décisions de condamnation pour des infractions graves, sexuelles ou violentes, doivent être transmises de manière systématique à l'administration d'emploi quand la personne exerce ses fonctions au contact habituel de mineurs. De même, comme nous l'avions proposé en octobre, il convient que la peine complémentaire d'interdiction d'exercice d'une activité auprès de mineurs soit, pour des infractions sexuelles en lien avec les mineurs, prononcée de manière plus systématique, dans le respect des prescriptions du Conseil constitutionnel sur l'individualisation des peines, la juridiction devant pouvoir y déroger.
S'agissant de la transmission d'informations pénales sur des procédures en cours, je vous propose d'infléchir notre position en acceptant le principe d'une information dans les deux seuls cas que constituent la mise en examen ou le renvoi devant une juridiction de jugement. On peut y voir, bien sûr, une atteinte à la présomption d'innocence ; néanmoins, dans ses analyses, le Conseil d'État a estimé possibles de telles transmissions avant condamnation dès lors qu'elles sont justifiées « par des impératifs protégeant d'autres droits ou intérêts de même valeur avec lesquels les droits ou intérêts légitimes de la personne concernée doivent se concilier ». Ce dispositif ne me semble acceptable que si, d'une part, cette information reste facultative et laissée à la libre appréciation du parquet, comme le prévoit le texte, et que d'autre part, on prévoit de réelles garanties pour la personne concernée, ce que je vous proposerai d'améliorer dans les amendements que nous examinerons.
Pour le reste, je vous propose de nous en tenir à notre position constante, en refusant d'autoriser l'information de l'administration par le parquet dès le stade de la garde à vue ou de l'audition libre. Une telle information constituerait une atteinte excessive à la présomption d'innocence, hors de tout cadre procédural respectueux des droits de la défense. Les conférences nationales des procureurs généraux et des procureurs de la République, que j'ai sollicitées pour la préparation de ce rapport, sont défavorables à la transmission d'informations à un stade aussi précoce de la procédure.
Je vous proposerai également d'exclure certaines infractions de ce régime de transmission obligatoire. Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail, comme une gifle par exemple, demeureraient cependant dans le champ du régime de transmission laissé à la libre appréciation des parquets.
En tout état de cause, l'efficacité de ce dispositif se heurtera nécessairement au manque de moyens dont souffrent les parquets. Le rapport de M. Jean-Louis Nadal rappelait en novembre 2013 la lourde charge de travail des magistrats des parquets et des greffes, « qui ne peuvent plus répondre à l'ensemble de leurs missions ». À ce jour, l'application informatique Cassiopée ne garantit pas une consultation fiable et les parquets manquent d'outils informatiques d'alerte pour suivre tout le cours des procédures. Il est clair que le Gouvernement n'a pas évalué dans l'étude d'impact les conséquences du dispositif qu'il propose. On estime que les infractions sexuelles ou violentes donnent lieu à au moins 14 000 condamnations par an, et le Gouvernement évalue à 15 minutes le temps nécessaire pour qu'un magistrat du parquet décide de transmettre ou non l'information. C'est tellement peu quand on sait l'importance qu'une telle décision peut avoir sur le fonctionnement des administrations et sur l'avenir de la personne mise en cause. Je suis d'autant plus dubitatif que le Gouvernement annonce que l'on ne pourra pas déployer les moyens informatiques nécessaires avant le premier trimestre 2017.
Sous réserve des amendements que je vous présenterai, je vous invite néanmoins à adopter ce projet de loi.