Intervention de Gaëtan Gorce

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 janvier 2016 à 9h32
Ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'organisation internationale du travail sur le travail forcé 1930 — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Gaëtan GorceGaëtan Gorce :

Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l'Organisation internationale du travail sur le travail forcé de 1930, qui définit le travail forcé comme tout travail effectué contre son gré et sous la contrainte.

Cette lutte contre le travail forcé a été organisée autour de deux grands textes. La convention n° 29, adoptée en 1930, qui contient une interdiction progressive du travail forcé ainsi qu'une période transitoire pour permettre aux grandes nations coloniales de s'adapter. Elle porte la marque d'un certain nombre de grands représentants français, notamment Albert Thomas, le directeur du Bureau international du travail, et Léon Jouhaux, patron de la CGT avant de fonder la CGT-FO. La seconde convention sur le sujet est la convention n° 105, adoptée en 1957, qui est également très marquée par le contexte historique de la lutte contre le travail forcé dans les camps de prisonniers et les camps d'internement, notamment dans les camps de la Kolima.

Depuis, aucune autre disposition n'avait été adoptée sur ce sujet, même si ces deux conventions avaient été, entre-temps, intégrées dans le bloc des « huit conventions fondamentales » de l'OIT, ce qui signifie qu'elles sont obligatoires pour tous les États membres de l'OIT, qu'ils les aient ou non ratifiées.

Le travail forcé représente encore aujourd'hui une réalité importante. On estime qu'il touche 21 millions de personnes, dont une majorité de femmes. Les profits illicites qu'il génère, chaque année, s'élèvent à 150 milliards de dollars. Deux tiers de ces profits proviennent de l'exploitation sexuelle qui concerne 22 % des victimes.

Le travail forcé se rencontre sur tous les continents. L'Asie détient le record en chiffres absolus mais l'Europe n'est pas épargnée. L'Europe centrale et l'Europe du Sud-Est ont la prévalence la plus élevée, soit le nombre le plus élevé de victimes pour 1 000 habitants. Il s'agit essentiellement de victimes de l'exploitation sexuelle. La lutte contre l'exploitation sexuelle reste un enjeu considérable sur notre continent.

Le protocole, que nous examinons, a été adopté le 11 juin 2014 par la Conférence internationale du travail à une très large majorité et seulement 8 voix contre et quelques abstentions. Il a pour objet d'actualiser le dispositif adopté en 1930. Il supprime ainsi les dispositions de transition qu'il contenait, ce qui est la moindre des choses. Il crée des obligations supplémentaires à la charge des États, notamment l'élaboration d'un plan d'action national de lutte contre le travail forcé et la traite des personnes, ce dont la France s'acquitte déjà depuis plusieurs années. Il précise que les États doivent renforcer les mécanismes de contrôle. À cet égard, la France a déjà modifié sa législation en 2013, pour introduire l'infraction de travail forcé dans le code pénal. Une seconde modification devra être faite pour renforcer les compétences de l'inspection du travail et lui permettre de constater l'infraction de travail forcé, ce qui n'est pas le cas actuellement. Cela devrait se faire par le biais d'une ordonnance qui devrait être prise prochainement par le Gouvernement. La troisième série d'aménagements prévue par ce protocole vise à renforcer la protection des victimes en faisant évoluer les législations nationales pour mettre ces victimes à l'abri des poursuites et des sanctions pour avoir pris part à des activités illicites, sous la contrainte. Enfin, ce protocole oblige les États à mettre en place des mécanismes de recours et d'indemnisation.

La France pourrait être le troisième État à ratifier ce protocole. Il est prévu qu'il entre en application douze mois après les ratifications de deux États membres. Le Niger, puis la Norvège, le 9 novembre 2015, l'ont déjà ratifié. En conséquence, il entrera en vigueur le 9 novembre 2016.

Après avoir procédé à plusieurs auditions, je vous recommande l'adoption de ce projet de loi. Deux dispositions toutefois auraient pu être précisées. Ainsi, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) m'a fait savoir qu'elle souhaiterait que son rôle d'évaluation de ces politiques soit confirmé par la loi. Si vous en êtes d'accord, j'en ferai mention dans mon rapport. Une telle disposition pourrait être introduite lors de l'examen du projet de loi sur le travail qui devrait venir prochainement devant le parlement. Ma seconde préoccupation, qui relève davantage de la compétence de la commission des affaires sociales, a pour objet de faire en sorte que les entreprises françaises s'impliquent davantage dans la lutte contre le travail forcé - le travail forcé existe aussi en France, les ONG signalent des centaines de cas. On pourrait ainsi imaginer un dispositif, semblable à celui déjà mis en oeuvre par certaines grandes entreprises multinationales, qui consiste à passer des accords-cadres internationaux dans lesquels ces entreprises s'engagent à lutter contre le travail forcé dans leurs implantations à l'étranger et/ou vis-à-vis de leurs sous-traitants. On pourrait aussi envisager de renforcer l'obligation des entreprises d'informer leurs salariés en la matière, dans le bilan social ou dans le cadre des autres communications obligatoires, pour que la lutte contre le travail forcé, en dehors du continent européen pour ce qui nous concerne, puisse se faire avec la mobilisation des partenaires sociaux. C'est un objectif que l'on peut espérer atteindre. Il y a d'ailleurs eu récemment un débat sur le devoir de vigilance à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi. Cela reste un enjeu important dans la négociation sociale et en tout cas dans l'évolution législative des prochains mois. Je vous renouvelle donc mon invitation à autoriser la ratification de ce protocole.

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