Nous sommes saisis en première lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux réseaux des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA). Ses dispositions, dont la majeure partie avait déjà été examinée dans le cadre de la discussion de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, permettent aux réseaux des CCI et des CMA de poursuivre l'entreprise de rationalisation et de mutualisation engagée depuis plusieurs années.
Depuis près de dix ans, des efforts considérables ont été fournis par ces deux réseaux pour se réorganiser autour de l'échelon régional. Les CCI ont toujours eu un ancrage territorial et une influence variables, liés aux caractéristiques du bassin économique dans lequel elles évoluent et à la qualité de leurs ressortissants. Ce n'est qu'à compter de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises qu'un réseau mieux coordonné de chambres a pu se développer. Mais c'est surtout la loi du 23 juillet 2010, relative aux réseaux consulaires, qui a donné l'élan et les moyens nécessaires à la structuration des CCI autour de l'échelon régional, conduisant à une régionalisation à la carte. Cette loi a renforcé les compétences propres des CCI régionales (CCIR), a assuré les moyens d'une coordination entre les stratégies régionales des chambres et l'application locale des politiques nationales et a posé un principe de mutualisation, au niveau régional, des fonctions exercées par les membres du réseau.
De création plus récente, les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) ont été organisées autour de l'échelon départemental, mais la loi du 23 juillet 2010 a également entendu faire de l'échelon régional le niveau structurant de leur réseau en permettant trois modes de regroupement : la réunion des chambres départementales au sein d'une chambre régionale des métiers et de l'artisanat (CRMA), structure de coordination et de mutualisation des fonctions supports des chambres départementales, qui conservent leur personnalité juridique comme la majeure partie de leurs compétences ; la création d'une chambre de métiers et de l'artisanat de région (CMAR), établissement public unique se substituant aux chambres départementales mais composé de sections départementales ; enfin, un dispositif mixte faisant cohabiter, dans une même région, d'une part, une CMAR issue de la fusion de certaines chambres départementales et, d'autre part, des chambres départementales conservant leur statut juridique et l'essentiel de leurs compétences - on parle alors de CMAR partielle.
Le mouvement de rationalisation initié reste inabouti, notamment en raison de l'absence de caractère contraignant des schémas régionaux d'organisation. Le rapport de MM. Jean-Claude Lenoir et Claude Bérit-Débat en juillet 2014 a ainsi démontré que la réorganisation des réseaux pouvait se heurter à une volonté d'autonomie encore très marquée des chambres infrarégionales. Or, la poursuite de la rationalisation des réseaux est rendue nécessaire par l'érosion des ressources publiques octroyées aux réseaux : par les CCI, la baisse des recettes issues de la taxe pour frais de chambres a été de l'ordre de 35 % entre 2012 et 2016 ; pour les CMA le plafonnement de la taxe pour frais de chambre a baissé de 12,5 % entre 2013 et 2016. Enfin, la nouvelle carte des régions implique une réorganisation des réseaux des CCI et des CMA. Le principe d'une structuration des réseaux au niveau régional a en effet pour conséquence de rendre inévitables des fusions de CCIR ou de CMAR ou une modification des CRMA ou CMAR dans les nouvelles grandes régions.
Afin d'approfondir cette rationalisation, le Gouvernement a déposé, au cours de l'examen du projet de loi Macron, des amendements insérant plusieurs articles additionnels - rédigés de concert avec les têtes de réseaux - relatifs à la gouvernance des CCI et des CMA, et adoptés sans opposition par les deux chambres. Dans sa décision du 5 août 2015, le Conseil constitutionnel a néanmoins estimé que ces dispositions devaient être censurées, étant dépourvues de lien avec les dispositions initiales du projet de loi. La loi a donc été promulguée sans ces articles. Le Gouvernement a cependant indiqué, au lendemain de cette décision, qu'il présenterait au Parlement, dans les meilleurs délais, un texte reprenant la substance des dispositions censurées : tel est l'objet du texte déposé à l'Assemblée nationale le 25 novembre dernier.
Cette reprise n'est toutefois que partielle. L'article 303 censuré de la loi Macron permettait, avant même le 1er janvier 2016, de procéder à des regroupements de chambres pour tenir compte de la nouvelle carte régionale. Pour mettre en oeuvre ces dispositions, une adoption rapide s'imposait. Le Gouvernement a donc choisi, sur ce point, d'intervenir par ordonnance, ce que lui permettait l'article 136 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Par une ordonnance du 26 novembre 2015, il a introduit les dispositions nécessaires à une recomposition des CCI et des CMA avant le 1er janvier 2016. Sur son fondement ont pu être opérées plusieurs fusions de CCIT et de CMA.
L'article 1er du projet de loi, qui traite des CCI, rend opposables et prescriptifs les schémas directeurs adoptés par les CCIR. Il prévoit également le cumul des mandats de président d'une CCI départementale d'Ile-de-France et de président de la CCIR de Paris-Ile-de-France, l'augmentation du nombre d'élus au sein des chambres afin d'y assurer une meilleure représentation de tous les territoires, et des schémas d'organisation des missions dans chaque CCIR, opposables aux chambres territoriales ou départementales rattachées. Il prévoit aussi que la représentation d'une CCI au sein de la CCIR à laquelle elle est rattachée est uniquement fonction de son poids économique.
L'article 2, relatif aux CMA, réduit le nombre d'établissements du réseau afin d'assurer des économies d'échelle par des mutualisations. Il prévoit ainsi la création de chambres de métiers et de l'artisanat interdépartementales (CMAI), mettant un terme aux CMAR partielles. Il définit enfin les conditions dans lesquelles les chambres peuvent décider de se regrouper, tout en préservant les spécificités du droit local alsacien et mosellan pour les chambres du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, et de la Moselle.
Les dispositions qui figuraient dans le texte adopté par le Parlement en juillet 2015 relatives à la fixation provisoire du nombre des élus des CMA dans les nouvelles régions n'ont pas été reprises. Pour éviter de potentielles contestations, le Gouvernement a, en effet, préféré conserver une égalité de traitement pour l'ensemble des élus des CMA, dont les mandats sont donc tous maintenus dans le cadre de la nouvelle organisation régionale. À l'Assemblée nationale, le projet de loi n'a donné lieu qu'à une modification de fond à l'initiative du Gouvernement : la ratification sans modification de l'ordonnance du 26 novembre 2015. C'est désormais l'article 3 du projet.
Ce texte s'inscrit dans une démarche de rationalisation par renforcement de l'échelon régional, rendu nécessaire par le nouveau poids des régions dans notre organisation territoriale. On peut en partager l'objectif, mais l'effet immédiat de l'approfondissement de cette réorganisation, couplée à la réduction des ressources des réseaux, sera d'abord une réduction importante du personnel des chambres : rien que pour le réseau des CCI, 1 660 départs volontaires ont eu lieu en 2015 ; un plan de départ du même ordre est à prévoir dans les années à venir. Compte tenu du niveau de chômage, c'est regrettable. Néanmoins, si cette rationalisation permet effectivement un meilleur accompagnement des entreprises, et donc un développement de l'emploi marchand, elle mérite d'être soutenue.
En outre, d'une ambition très mesurée, ce texte n'épuise pas toutes les problématiques que soulève l'organisation consulaire actuelle. Pourtant, il doit être adopté rapidement : les réseaux attendent ces mesures depuis plus de six mois, par le seul fait d'une regrettable erreur de procédure parlementaire commise par le Gouvernement. Si quelques personnes auditionnées ont émis des réserves sur des dispositifs très circonscrits, toutes ont insisté sur la nécessité d'une adoption rapide afin que la campagne pour les élections consulaires, qui auront lieu au dernier trimestre 2016, s'ouvre dans un environnement juridique stabilisé. Dans ces conditions, je ne vous soumets pas d'amendements et vous propose d'adopter le présent projet de loi sans modification.
Cela dit, la commission doit réaffirmer dans son rapport l'approche qui doit être suivie dans le cadre de la réorganisation des réseaux. Vu le renforcement des prérogatives de l'échelon régional, il faut insister sur la nécessité de maintenir une offre de services de proximité. La mutualisation des moyens entre les chambres ainsi que la centralisation de certaines prises de décision au niveau régional ne doivent pas réduire les implantations locales et le maillage territorial des réseaux consulaires. Il est donc essentiel que, dans la définition de leurs documents de planification, cet objectif de service aux entreprises et de formation au plus près des acteurs ne soit pas perdu de vue. Cette nécessité est encore renforcée après l'institution des grandes régions.
Le droit positif, modifié par le projet de loi, offre une large palette de solutions pour que le lien avec les territoires soit maintenu. La carte du réseau des CCI doit-elle nécessairement être calquée sur la carte infrarégionale ? En l'absence d'obligation d'un échelon départemental, la réorganisation des CCI au sein d'une même région peut en effet aboutir, selon le choix des élus consulaires, à ce que l'un des départements de la région soit dépourvu d'un établissement public ayant pour ressort le territoire de ce département. Tel est le cas, par exemple, du département de l'Orne, où la fusion de la CCIT d'Alençon avec la CCIT de l'Eure afin de créer la CCIT Portes-de-Normandie, d'une part, et celle de la CCI de Flers-Argentan avec les CCI Centre-et-Sud-Manche et Cherbourg-Cotentin, afin de créer la CCIT Ouest-Normandie, d'autre part, intervenues au 1er janvier 2016, laissent le territoire ornais dépourvu d'une CCIT propre.
Mais d'autres projets de réorganisation devraient aboutir à la même situation : en Alsace, où il est prévu une CCIT unique par fusion des trois CCIT actuelles (CCIT Strasbourg-et-Bas-Rhin, CCIT de Colmar, CCIT de Mulhouse) ; en Pays-de-la-Loire, où il est envisagé une fusion entre la CCIT de la Sarthe et la CCIT de la Mayenne. Ils n'en constituent pas moins, à ce stade, des exceptions, le découpage infrarégional du réseau opéré depuis 2010 ayant en général retenu comme ressort territorial les départements et la présence d'une CCIT par département.
Y a-t-il lieu d'interdire cette situation ou de la limiter ? L'esprit de la réforme de 2010 était d'inciter les CCI à se regrouper en adoptant des stratégies territoriales que, compte tenu des caractéristiques des bassins économiques concernés, les élus consulaires considéraient comme les plus pertinents, quand bien même elles ne s'avéreraient pas en stricte adéquation avec le territoire des départements. Il est essentiel que le choix des élus consulaires reste guidé par la volonté de continuer à assurer une offre de proximité sur l'ensemble du territoire de la région, ce qui devrait conduire, en l'absence d'une CCIT dans un département, à l'institution d'une CCI locale voire d'une délégation de la CCIR, structures non dotées de la personnalité morale mais qui relaieront les actions de la CCIR dans le département. Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause la souplesse d'organisation et l'autonomie reconnues depuis 2010 aux CCI, en imposant juridiquement que chaque département d'une même région dispose d'une CCIT, d'une CCIL, ni même d'une délégation de la CCIR. Il est préférable de s'en remettre sur ce point à la sagesse des élus consulaires, sous le contrôle de l'autorité de tutelle, - le ministre de l'économie - qui doit approuver les schémas directeurs.
Au-delà de la nécessité d'instituer des synergies au sein de chacun des réseaux consulaires, il faut souligner l'intérêt d'une meilleure coordination des réseaux consulaires entre eux : réseau des CCI, réseau des CMA et réseau des chambres d'agriculture dont j'ai souhaité auditionner les représentants.
Il ne s'agit pas de prôner une fusion de réseaux qui ont chacun leur légitimité propre et des domaines d'action spécifiques. Pour autant, ces réseaux ne doivent pas se regarder comme des concurrents - comme c'est malheureusement parfois le cas - mais comme des partenaires à même de développer des coopérations qui peuvent prendre plusieurs formes : regroupements d'antennes au sein d'une même implantation géographique, afin de favoriser un maillage plus dense des trois réseaux sur le territoire ; mise en commun de certaines fonctions supports ; développement d'offres communes, par exemple en matière de formation. Néanmoins, ces mesures appellent moins de nouveaux dispositifs juridiques qu'une volonté, sur le terrain, de mettre en place des solutions adaptées lorsque le service aux entreprises peut s'en trouver amélioré. De telles coopérations peuvent certainement être mises en place plus facilement dans certains territoires que dans d'autres, mais il faut encourager les réseaux à collaborer sur le terrain, comme ils le font, notamment, en Seine-et-Marne ou dans l'Oise.