Intervention de Sophie Primas

Commission des affaires économiques — Réunion du 27 janvier 2016 à 10h35
Accès au logement social pour le plus grand nombre — Examen du rapport pour avis

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, rapporteur :

Nous sommes saisis pour avis de la proposition de loi favorisant l'accès au logement social du plus grand nombre. Afin de répondre à la crise du logement mais aussi favoriser la mixité sociale, nos collègues du groupe CRC souhaitent favoriser l'accès du plus grand nombre au logement social prônant une solution qu'ils avaient déjà défendue lors de l'examen de la loi Macron par le dépôt d'amendements majorant les plafonds de ressources applicables aux demandeurs de logement social et supprimant le supplément de loyer de solidarité.

Le logement constitue le premier poste de dépenses des ménages, devant l'alimentation et les transports. En 2010, un ménage sur deux y consacrait au moins 18,5 % de ses revenus.

Le nombre de logements en France métropolitaine augmente d'environ 1 % par an depuis 30 ans. Après avoir reculé jusqu'au début des années 1990, la part du parc locatif privé s'est stabilisée autour de 22 %. Il s'agit surtout de petits investisseurs, possédant un ou deux logements ; la part des bailleurs institutionnels, divisée par quatre, s'établit à 2 %.

Le parc de logement social est en constante augmentation et atteint 17 % du total. Les logements sociaux sont principalement financés par des prêts locatifs à usage social (PLUS). Les bailleurs sociaux doivent de plus en plus utiliser leurs fonds propres pour financer la construction, la part des aides de l'État dans le financement des logements sociaux étant passée de 7 % à 1 %.

2,6 millions de logements seraient vacants, soit 7,7 % du parc total - chiffre à prendre avec précaution, le ministère y retravaille.

Les mal-logés seraient entre 2,7 et 3,5 millions ; en juillet 2015, on enregistrait 1,8 million de demandes de logement social.

L'objectif était de construire 500 000 logements dont 150 000 logements sociaux chaque année pour répondre aux besoins. Nous en sommes loin ! Fin novembre, 351 000 logements étaient commencés, et en 2015, seuls 120 000 logements sociaux auront été construits.

Les aides publiques au logement s'établissent à 40 milliards d'euros environ. En 2016, l'État y consacrera 18 milliards d'euros, en grande partie destinés au financement des aides personnalisées au logement (APL), l'Etat se désengageant depuis plusieurs années du financement des aides à la pierre. Il faut ajouter 12 milliards d'euros de dépenses fiscales en direction des organismes HLM ou des particuliers : prêt à taux zéro (PTZ), dispositif d'investissement locatif...

L'article 1er de la proposition de loi abroge le dispositif « Pinel». Depuis 1984, les gouvernements successifs ont mis en place des dispositifs d'investissement locatif privé, afin de soutenir ou relancer la construction. Instauré par la loi de finances pour 2013, le dispositif « Duflot », qui a pris le relais du dispositif « Scellier », permettait de bénéficier d'une réduction d'impôts de 18 % pour la construction ou l'acquisition d'un logement neuf destiné à être loué pendant neuf ans, sous conditions de plafonds de loyers et de ressources du locataire. Le Gouvernement a veillé à ce que le dispositif soit plus particulièrement orienté vers les zones tendues. Alors que le nombre de ventes en investissement locatif aidé atteignait environ 58 000 par an, le nombre de logements ayant bénéficié du dispositif « Duflot » était estimé en 2013 à 35 000 seulement - l'un des niveaux les plus faibles sur les dix dernières années.

Afin de renforcer son attractivité et mieux prendre en compte la diversité des projets, la loi de finances pour 2015 a aménagé le dispositif, rebaptisé dispositif « Pinel ». Les investisseurs peuvent désormais choisir la durée de location - six ou neuf ans, prorogeable pour une durée de trois à six ans ; 21 % des investisseurs ont opté pour une durée de six ans et 79 % pour neuf ans. Les avantages fiscaux sont proportionnels : 12 % ou 18 %. Lorsque l'engagement initial de location est prolongé, le contribuable peut bénéficier d'une réduction d'impôt complémentaire. Les investisseurs peuvent également louer le logement à un ascendant ou un descendant, c'est une bonne disposition.

Selon nos collègues, abroger le dispositif « Pinel » permettrait de réaffecter 1,8 milliard d'euros vers des politiques de logement social - aides à la pierre, réhabilitation du parc existant pour réduire le nombre de logements vacants.

L'article 2 de la proposition de loi majore de 10,3 % les plafonds de ressources applicables aux demandeurs de logement social, annulant la diminution opérée par la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (Molle) en 2009. Le Gouvernement souhaitait neutraliser les conséquences de l'augmentation importante du Smic au cours des années 2002-2009, qui avait porté la part des ménages éligibles au logement social de 61 % en 1998 à 70 % en 2007. Cette majoration des plafonds permettrait selon nos collègues de favoriser la mixité sociale.

Si chacun est conscient de l'urgence d'agir, nous divergeons quant aux solutions à adopter, et celles prônées par nos collègues ne me paraissent pas être les plus adaptées.

S'agissant de l'abrogation du dispositif « Pinel », n'opposons pas l'investissement locatif privé et les aides à la construction de logements sociaux. Le dispositif « Pinel » poursuit un objectif différent de celui des aides à la pierre : encourager la construction et développer l'offre de logements locatifs, tandis que les aides au logement social encouragent le développement de logements à faible loyer pour les ménages à revenus modestes ou très modestes. Ces dispositifs sont complémentaires. Le dispositif « Pinel » favorise le développement de logements intermédiaires, dont le loyer se situe entre ceux des logements sociaux et ceux du marché libre.

Dans un rapport annexé au projet de loi de finances, le Gouvernement a reconnu que les dispositifs « Robien », « Scellier » et « Duflot » ont augmenté l'offre de logements et indirectement favorisé la détente du marché locatif. Les conditions de loyer du « Duflot- Pinel » devraient « contribuer à la production de logement à loyer modéré. » Une génération du « Duflot-Pinel » coûterait 1,75 milliard d'euros, 240 millions pour l'année 2016, à mettre en regard du nombre de constructions attendues : 50 000 logements en 2015, autant en 2016. Les promoteurs constatent une amélioration de la situation depuis la mise en place du dispositif « Pinel ».Son abrogation aurait des conséquences négatives sur le secteur de la construction, alors que la conjoncture demeure incertaine.

Nous n'avons aucune certitude qu'en cas d'abrogation du dispositif, l'État récupérerait effectivement 1,75 milliard d'euros. Les bénéficiaires se tourneront probablement vers d'autres niches fiscales...

S'agissant des plafonds de ressources, aujourd'hui, 65,5 % des ménages peuvent accéder à un logement financé par un PLUS, 30 % par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), et 81 % par un prêt locatif social (PLS). Selon le ministère du logement, une augmentation de 10,3 % des plafonds rendrait 72 % des ménages éligibles à un PLUS, 35 % à un PLAI et 86 % à un PLS. Faute de pouvoir satisfaire cette demande nouvelle, on allongerait la file d'attente des demandeurs. En outre, une telle majoration ne serait pas conforme au droit européen ; les Pays-Bas ont dû revenir sur leur décision d'élargir l'accès de leur parc social à tous, la Commission européenne considérant qu'il y avait distorsion de concurrence. L'État fait déjà l'objet d'un précontentieux pour les aides aux logements sociaux, n'aggravons pas la situation !

Cette majoration aurait des conséquences sur le supplément de loyer de solidarité que les organismes HLM perçoivent, sauf exception, lorsque les ressources des locataires dépassent les plafonds de plus de 20 %. Une majoration des plafonds diminuerait automatiquement ces cas de figure, et maintiendrait dans les lieux davantage de personnes aux ressources importantes, au détriment de personnes moins fortunées, obligées de se loger dans le parc privé. La loi de finances pour 2016 assoit la cotisation des bailleurs sociaux au Fonds national des aides à la pierre (Fnap) sur une part des loyers et sur les suppléments de loyer ; la proposition de loi obligerait donc les bailleurs à verser un produit plus important pris sur les loyers.

Pour répondre à l'objectif de mixité sociale, favorisons une certaine fluidité dans le parc HLM. Nous en débattrons plus largement lors de l'examen du projet de loi Égalité et citoyenneté - sur les conditions de maintien dans les lieux pour les ménages dépassant très largement les plafonds de ressources, la possibilité d'orienter 25 % des ménages aux revenus les plus faibles dans des logements hors des quartiers prioritaires de la politique de la ville, ou encore l'application de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). L'Union sociale pour l'habitat ne demande pas une telle majoration, qui présente, selon moi, plus d'inconvénients que d'avantages.

Je considère pour ma part qu'il faut lever les freins à la construction, dans le parc privé comme dans le parc social. Agissons sur les coûts afin de produire du logement abordable.

Facilitons la libération du foncier et agissons sur les règles de contentieux pour accélérer la production de logement. Selon la Fédération des promoteurs immobiliers, les délais d'examen des contentieux bloqueraient la construction de 30 000 logements ! Agissons sur les coûts de construction, qu'ils résultent du coût du foncier, de la fiscalité ou des normes. L'Union sociale pour l'habitat rappelle que le coût de production d'un logement social est passé de 80 000 à 140 000 euros entre 2000 et 2010, notamment en raison de ces normes. Analysons les causes du départ des investisseurs institutionnels du parc locatif privé. Pour renforcer la mixité, travaillons sur les commissions d'attribution de logements plutôt que de changer la législation. Enfin, mobilisons le parc vacant ; la commission des finances propose ainsi de renforcer l'attractivité du dispositif « Borloo ancien ».

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose de donner un avis défavorable à cette proposition de loi.

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